vendredi 27 avril 2018

LES ANÉMONES PULSATILLES

    C'était dans une forêt .

    Madame Delplanque avait disparu derrière ces arbres si hauts , aux troncs si nus ,
pour confectionner me dit-elle un mini-bouquet d'anémones pulsatilles . Quelque
chose - ou quelqu'un ? - me parlait ou tentait de me parler et ce charabia me venait
par un étroit passage quand elle (Madame Delplanque avec un fil de fer) me serra
le cou . La nuit était-elle trop belle ? . Elle l'était et c'est elle (ou peut-être  Madame
Delplanque) qui me tenait la tête renversée . Oui , cette grammaire d'étoiles je la
savais par-coeur , je connaissais toutes ses règles mais , protestai-je , on (qui que ce
soit) pouvait me lâcher : quelque chose - tout ? - m'échappait . Madame Delplanque
desserra le fil de fer et me mit dans les narines des étamines jaunes .

    "Pulsatilla Vulgaris" , dit-elle en m'embrassant .

AMOURS MOUSSEUSES

    On peur mourir d'amour .

    Je suis mort d'amour , de blondes , de brunes , de rousses , mille fois , dans tous
les bars du monde . "Eau Bénite" au Québec qui , jamais , ne me dit son nom , "Hite"
à Séoul avec qui je partageai chaque nuit un plateau de fruits de mer , "Bintang : Étoile" ,
elle descendait de colons néerlandais et sentait le malt , celles-ci et d'autres , "Flocon de
Neige , Snow" à Shangaï et cette anglaise expatriée à Pyongyang , "Taedonggang" était
son nom , anglaise ? … quel nom bizarre et comme elle était amère ! , "Skol" au Salva-
dor à Madre de Deus si je me souviens bien , dans l'arrière-salle d'un bistro minuscule ,
"Tembo" au Congo que j'eus un mal de chien à décapsuler , la douce ""Maccabi" ,
"Quilmes" que je consommai dans un hôtel de la Plaza Italia à Zàrate , c'est en Argen-
tine près de Buenos Aires , "Baltika" blonde et mousseuse que je connus à Voronej ,
je la serrais dans mes mains , son corps était glacé et je pouvais voir de la terrasse de la
brasserie le vaste flot du Don , mille fois je suis mort d'amour , à Hobart en Tasmanie
avec "Cascade" et son tatouage de tigre sur l'épaule , "Xingu" la noire sur un zinc du
Mato Grosso , merveilleux instants , minutes éternelles , des européennes aussi aux
noms charmants : "Chouffe" , "Kriek" , "Leffe" , "Tuborg" , "Carlsberg" , "Jenlain" ,
"Pelforth" , "Guinness" , "Amstel" … et j'en passe ...

jeudi 26 avril 2018

TROIS MOUCHES 122 . C'EST MOI QUI SOULIGNE

    Je m'asseyais auprès de Berthe . Trois mouches vermeilles et merveilleuses
bourdonnaient contre nos chapeaux de paille . Elle posait sa tête sur mon épaule
ou bien je posais la mienne sur ses genoux . Personne ne s'étonnait de nous voir
ainsi , bavardant durant des heures et incapables de nous séparer . Il était grand
temps que je rentre pour étudier mon latin et ma trigonométrie , et qu'elle aille se
coucher .

    Personne ne s'étonnait que Berthe étudiât le latin . La trigonométrie nous séparait
parce qu'elle bourdonnait dans sa tête et quand il était grand temps qu'elle aille se
coucher , elle rentrait les épaules et s'asseyait sur mes genoux en bavardant durant
des heures pour que les mouches se posent sur nos chapeaux de paille .

    J'étudiais la trigonométrie et Berthe le latin . Nous étions assis et nos chapeaux
de paille nous séparaient . Personne ne nous voyait . Les mouches bourdonnaient
durant des heures contre son épaule , sa tête et ses genoux , incapables de se poser .
"Qu'elles aillent se coucher" dis-je , "il est grand temps !" .

mardi 24 avril 2018

KRANT 128 . MES CARNETS

    Barbouiller des carnets .

    Voilà à quoi je passais mes nuits quand je ne regardais pas les étoiles .

    Mer calme . Vent tiède …

    Ces gribouillages , c'était les pâtures que - distraitement et sans en conduire les contours -
je convoquais en pleine mer dans le halo circulaire de ma lampe à huile . Je meublais mon
exil de traits de couleur et de discours confus ; les formes qui encerclaient mes pages étaient
comme ces chats qui chassent en dormant .

    Nous avons deux consciences . Nous vivons dans deux mondes .

- "Qu'en pensez-vous , capitaine ?"
- Krant , à qui je n'ai jamais osé poser une question : "Vous avez peut-être raison , chef …"

lundi 23 avril 2018

QUE FAIRE DU POUVOIR ?

    Je suis entré dans le Palais par une porte dérobée , de celles qui ouvrent sur
les dalles poreuses du pouvoir . Par lentes imbibations , je me suis approché du
trône , à l'ombre du Prince . Là , patient et tapi , j'ai observé le Maître Absolu qui ,
depuis sa naissance , régissait le monde . Qu'il eut une ombre ce monarque éblouis-
sant , le savait-il ? … il l'ignorait . Or , le soleil projette son double obscur dans les
passages les plus oubliés des palais . C'est cette zone noire que je décidai d'investir :
je devins l'ombre du Prince . Et cette zone s'épaissit , se ramassa , quitta les coulisses
et expira au pied du trône . Nul ne connaissait mon visage et nul mon nom mais tous
savaient que j'étais entré dans les gestes du Maître , dans ses paroles , ses décrets ,
ses verdicts . J'étais le Mythe , j'étais le Grand Manipulateur . A l'intérieur des fron-
tières , qu'on me haïsse ou qu'on me vénère , on me craignait ; on me respectait hors
d'elles .

    Mais on ne peut vivre sans ombre . L'Empire peu à peu prit la forme d'un baobab
creux où on peut s'arrêter pour pisser .

samedi 21 avril 2018

PÉPÈRE

    Pour la première fois de ma vie , à 64 ans , je tombai dans ma douche .
J'avais glissé . Six mois plus tôt , me serait arrivée cette mésaventure , un
roulé-boulé m'aurait sauvé la mise . Je ne me suis pas vraiment fait mal
mais j'ai été surpris et très inquiet . Assis comme j'étais dans le bac en faïence ,
j'ai rassemblé mes esprits et décliné ma réflexion en trois points :

    Premièrement : m'étais-je fracturé le col du fémur et , si c'était le cas , le trait
fracturaire était-il de type vertical instable ou horizontal stable ?

    Deuxièmement et toujours dans le cas où il y avait fracture , l'angle cervico-
diaphysaire était-il ouvert (valgus) ou fermé (varus) ?

    Troisièmement : risquais-je une complication de décubitus et devrais-je passer
entre les mains d'un chirurgien pour un vissage ou la pose d'une prothèse de hanche ?

    J'évoquai ces trois scénarios dans le cadre d'un savoir tout neuf . En effet , je venais
de résilier mes abonnements à VSD et à un hebdomadaire dont le coeur est occupé
par une playmate sur double page et je recevais désormais "Doc'Domicile" et
"Soins-Gériatrie"  dont les contenus sont fort intéressants .

vendredi 20 avril 2018

PAR ICI LA SORTIE

   Pic et pic et colegram , bour … l'adulte un jour … et bour et ratatam …
quitte une chaude demeure … am , stram , gram … abandonne dans une haie …
pic , gram … comme une vieille chose … pic et pic … son nid … et colegram ,
bour et bour et … délaisse pour le grand large … ratatam … un abri de contes …
am , stram , gram … et de rêvasseries … pic gram . Pic et pic … ce lieu courbe …
et colegram … moulé à sa forme … bour et bour et ratatam … habit devenu trop
petit … am , stram , gram , pic , gram … et craquant aux coutures : … pic et pic et
colegram … le temps de l'enfance ...

jeudi 19 avril 2018

TROIS MOUCHES 121 . TIÈDE ÉTAIT LA NUIT

    La nuit était tiède . Trois mouches vermeilles et merveilleuses bourdonnaient
contre nos chapeaux de paille . Nous sommes allés nous baigner après le dîner .
Il y a eu un grand remue-ménage de feuilles malmenées de l'autre côté de la rivière
et Berthe est retournée aussi sec vers le chalet .

    Trois mouches se baignaient dans la rivière . C'était après le dîner ; la nuit était
tiède du côté des chalets . Un grand remue-ménage de feuilles bourdonna contre
nos chapeaux de paille et Berthe se retourna , aussi sec .

    La paille du chalet , malmenée par la nuit , bourdonnait comme des mouches .
Berthe fit le ménage , retourna son chapeau et , après le dîner , elle alla se baigner
aussi sec dans la tiède rivière . De l'autre côté , vermeilles et merveilleuses , les
feuilles remuaient .

mercredi 18 avril 2018

KRANT 127 . BAGARRE À BORD

    Il arriva sur le Kritik que des hommes en vinssent aux mains . L'étroitesse
de notre monde en était la cause . Après une de ces empoignades entre deux
soutiers , Toms me dit :

- "Tu as vu leurs yeux ?"
- Moi : "………………"
- Toms : "Des yeux de bêtes sauvages"
- Moi : "………………"
- Toms : "L'instinct , mon vieux … l'instinct"
- Moi : "………………"
- Toms : "Nous sommes des bêtes"
- Moi : "………………"
- Toms : "Tu ne dis rien ?"
- Moi : "Nous ne sommes même pas des bêtes"
- Toms : "…….?………"
- Moi : "Nous sommes des plantes"
- Toms : "…….?………"
- Moi : "Ou des cailloux"
- Toms : "Des cailloux ?"
- Moi : "Oui , Toms … on nous a semé là , sur ce pont de bateau … et nous ne
retrouvons pas notre chemin …"

lundi 16 avril 2018

LOLITA

Quatorze ans .

Pas encore tout à fait femmes
Mais déjà tout à fait femmes

Elles suscitent
Ces demoiselles
Le pur amour .

dimanche 15 avril 2018

CIRCULATION

Y a-t-il des sentiers
Qui ne mènent nulle part ?

J'en ai suivi un
Dimanche dernier
Qui ne menait à rien d'autre
Qu'à lui-même .

En vue ,
Pas de pâture
Pas de point d'eau
Pas de paisibles ruminants .

Des fossés de chaque côté
Et l'impénétrable fouillis de buissons
Où , semble-t-il , j'ai tourné en rond
Me trouvant après une longue marche
Sur ce genre de courbe
Qu'en mathématiques
On appelle une spirale .

Plus j'avançais
Plus je m'éloignais
D'un indiscernable terminus .

Pourtant ,
Sans savoir comment
Je revins en un point ,
Immobile .

samedi 14 avril 2018

TROIS MOUCHES 120 . DOS AU MUR

    Nous marchions à grandes enjambées ; de temps à autre , je me retournais
pour m'assurer que Berthe me suivait bien . Arrivé au bout de la ruelle , je
m'arrêtai et me glissai dans l'ombre d'une porte pour regarder l'heure . Trois
mouches vermeilles et merveilleuses bourdonnaient contre nos chapeaux de
paille .

    Au bout de trois heures , je m'arrêtai pour m'assurer que la mouche vermeille
qui suivait Berthe comme son ombre arriverait à temps . Elle me regardait et
glissait dans la ruelle d'une porte à l'autre . Je retournai mon chapeau de paille
et marchai vers elle à grandes enjambées .

    A l'ombre de nos chapeaux de paille , trois mouches merveilleuses bourdon-
naient . Elles glissaient contre l'heure vermeille et Berthe et moi qui la suivait ,
nous marchions à grandes enjambées . Je m'arrêtai , me retournai et m'assurai
que , de temps à autre , les portes du bout de la rue nous regardaient .

vendredi 13 avril 2018

KRANT 126 . L'UN ET L'AUTRE

    Cet homme guidant l'araire à l'orée d'une forêt de bouleaux , c'est moi ;
et cet autre buttant à l'aube ses pommes de terre , c'est moi aussi . Je suis ce
promeneur caressant au-dessus d'une haie le museau des vaches , je taille
mon chemin dans les hautes herbes à coups de badine ; je suis cet homme ,
chez moi , jetant aux poules leur grain ou , au fond d'une cabane grossiè-
rement peinte , dépiautant un lièvre …

    Un autre navigue à longueur de jours , colporte épices , bois ou matières
premières de toutes sortes dans des ports étranges aux noms imprononçables .

    Cet officier mécanicien , posé sur l'Atlantique Sud , n'est presque pas moi .

jeudi 12 avril 2018

PARADIS 86 . GJ-504b

    Adam et Ève observent le ciel . Dieu a disparu d'entre les étoiles . Idem sur les
écrans-radars : plus trace de Lui .

- Adam et Ève : "Père , Père … pourquoi nous as-tu abandonnés ?"

    Pas de réponse …

    Car Dieu a quitté le monde observable . Pour où ? . Nul ne le sait et nul ne peut
le savoir .

- Adam : "Père … où es-tu ?"
- Ève : "Di-Di ?"

    Silence . Quelque chose cependant (ou quelqu'un ?) vibre dans le vide : de transe
en danse , Dieu s'en est allé .

    Pratiquement au même moment , à Mauna Kea (Hawaï) , Masaho Okamoto ,
astrophysicienne formée à Kyushu University . Department of Physics (ça ne rigole pas) ,
calée derrière le télescope optique infrarouge Subaru (NLT) 8.30m , détecte en imagerie
directe (donc : elle voit !) un objet rose orbitant autour de GJ-504 .

- Ève à Masaho : "C'est peut-être mon Di-Di !?"
- Masaho : "Non , Ève ! … c'est une exoplanète … une géante couleur fleurs de cerisier …
dans la Constellation de la Vierge !"
- Ève : "Zut !"
- Masaho : "Une exoplanète … à 57 années-lumière ! … c'est génial !"
- Adam et Ève : "Et Dieu dans tout ça ?"
- Masaho : "Mais de quoi parlez-vous , nom de … nom d'une pipe !?"
- Adam : "Dieu ! … le Créateur de toutes choses !"
- Ève : "Mon Di-Di !"
- Masaho : "GJ-504b ! … elle s'appellera GJ-504b !"

    Ainsi fut fait : Dieu disparaît à tout jamais du monde physique … et , dans le cadre
du projet SEEDS (Strategic Explorations of Exoplanets and Disks with Subaru) , Masaho
Okamoto baptise une exoplanète en orbite autour de l'étoile 59Virginis (GJ-504) du nom
ô combien affriolant de GJ-504b !

mardi 10 avril 2018

EN ORIENT

En orient ,
Les ponts ont ceci de particulier
Qu'ils n'ont pas pour fonction
Comme chez nous
De franchir un obstacle :
Fossé , rivière ou voie ferrée .

Ils traversent l'air .
Telle semble être leur utilité .

Quoique ,
De l'une à l'autre rive ,
On s'active à convoyer
Toutes sortes de marchandises .

NIELS

    Le lendemain des débats , je proposai à Albert une promenade en tandem
dans la campagne bruxelloise . Son expérience imaginaire dite de "L'Horloge
dans la Boîte" m'avait perturbé et elle m'avait empêché de dormir . Elle remettait
en cause mon interprétation de la mécanique quantique . Albert insista pour tenir
le guidon ; je lui abandonnai bien volontiers car , pour argumenter , je me sentais
plus à l'aise à la place du stocker qu'à celle du pilote . Alors que nous pédalions
du côté d'Anderlecht , je fis remarquer à mon compagnon que pour mesurer le
poids de la boîte sans le photon , il fallait mesurer une élongation du ressort .
Ma réflexion ne parut pas le troubler , aussi je poursuivis . Il fallait donc faire
intervenir les inégalités d'Heisenberg sur la position et la vitesse et … "Regarde !"
me coupa Albert en tendant son bras droit , "une vache !" et il freina . Nous mîmes
pieds à terre . Une vache paissait et elle nous regardait .

- Albert : "Que disais-tu ?"

dimanche 8 avril 2018

TROIS MOUCHES 119 . ABERTHOL

    Le petit cimetière de Cwmbrân était plein à craquer ; Berthe me chuchota que
tout ce que comptait la ville de gallois vivants se compressait ici , autour du cercueil
de ce vieil Aberthol . Il avait tiré sa révérence à un âge respectable et je pleurais .
Trois mouches vermeilles et merveilleuses bourdonnaient contre nos chapeaux de
paille .

    Trois mouches se pressaient contre le cercueil de Berthe . Le vieil Aberthol pleurait
et j'étais prêt de craquer . Ainsi , Berthe tirait sa révérence au cimetière de Cwmbrân .
On comptait les chapeaux : un d'âge respectable , un vermeil et merveilleux , un gallois
en paille … soit trois .

    Le vieil Aberthol chuchotait que les mouches avaient tiré leur révérence . Toutes les
pailles que comptait Cwmbrân , jadis vermeilles , craquaient dans trois cercueils . Berthe
pleurait car les gallois qui vivaient autour du petit cimetière avaient le bourdon : ils
compressaient leur chapeau .

samedi 7 avril 2018

KRANT 125 . QUAND DANSE-T-ELLE ?

- Toms : "Là-bas , c'est l'automne"

    Nous venons de passer le 32e parallèle .

- Toms : "Hilde danse … ses petits pieds font crisser les feuilles mortes"
- Moi : "Qui est Hilde ?"
- Toms : "Ma fille aînée …"
- Moi : "Elle danse ?"
- Toms : "Oui … à la fin de l'automne … quand les feuilles sont tombées"
- Moi : "Elle ne danse pas en été ?"
- Toms : "Non …"

    Nous suivons des yeux un vraquier qui fait route vers Perth .

- Moi : "Mais pourquoi ?"
- Toms : "Pourquoi quoi ?"
- Moi : "Pourquoi Hilde ne danse-t-elle qu'à la fin de l'automne ?"
- Toms : "Parce que les feuilles ont fini de tournoyer"
- Moi : "……..?………."

    Le vraquier a disparu .

- Toms se tourne vers moi : "… et parce que c'est l'hiver , pardi !"

DESMOND 85 . SUR ÉCOUTE

    J'ai égaré mon "Sceptre d'Ottokar" version originale 1947 . Je le cherche partout .
Il n'est pas chez moi , dans mon minuscule studio de H Street . Peut-être dans mon
minuscule bureau à la Maison Blanche … peut-être sur l'étagère la plus haute , hors
de portée de mon 1m70 . J'emprunte son escabeau à Maurita , une femme de ménage :
"Deux minutes , Maurita , et je vous le rends … je cherche mon "Sceptre d'Ottokar" …
j'y tiens énormément !"
- Maurita rigole : "Votre sceptre , Monsieur Desmond !? … votre sceptre de quoi ?"
    Je fouille , je furète et , derrière le tome I de "La Richesse des Nations" d'Adam
Smith , pop ! , un petit cylindre métallique se décroche du mur , roule sur l'étagère ,
tombe sur le sol , toc … brrrr … et disparaît sous mon bureau . Je me mets à quatre
pattes , je tâtonne et je récupère un petit cylindre froid : un micro !! … abasourdi ! …
je suis abasourdi … je me laisse tomber dans mon fauteuil avec ce truc au creux de la
main . "C'est un micro … on m'espionne … mind blowing ! … on m'espionne … no
way ! … qui ?" . Je sors en courant de mon bureau , je bouscule Maurita .
- Maurita : "Mon escabeau , Monsieur Desmond !"
    J'entre comme un dingue dans le bureau de Maryline , je me plante devant elle ,
tenant entre le pouce et l'index l'affreux mouchard .
- Maryline : "Qu'est-ce que c'est ?"
- Moi : "Un micro !!"
- Maryline : "Un micro dans ton bureau !?" . Elle se marre : "Pauvre Sucre d'Orge ! …
le KGB ? … tes amis français ? … le MI6 ? … la CIA ? … c'est que tu es un homme
important !"
- Moi : "Mais , Maryline , c'est sérieux ! … mes conversations … dans MON bureau …
c'est très grave ! … Haldeman … il faut que je voie Haldeman !"
- Maryline : "T'affole pas mon chéri ! … j'en parle au Patron"
- Moi : "Au Président !? … non , Maryline … euh …"
- Maryline : "Il va te rassurer "
- Moi : "Me rassurer !?"
- Maryline . Elle décroche son téléphone . Sonnerie : "Mister President … j'ai Desmond
dans mon bureau … il est retourné ce pauvre chéri … oui … un micro … oui … bien
Monsieur le Président" . Elle raccroche : "Monte ! … le Président t'attend … Bureau
Ovale … entre sans frapper"
- Je monte . Mon coeur bat . Avant que j'aie le temps d'ouvrir la porte : "Entrez , mon
cher Desmond !" . J'entre . Le Président est assis derrière le beau Wilson Desk en acajou .
Il me sourit de toutes ses dents . Jamais je n'ai remarqué qu'il en avait autant : "Desmond !
… venez par ici … faites le tour de mon bureau … un bureau du XIXe siècle … vous
savez qu'il a appartenu au Président Woodrom Wilson … fabriqué au XIXe siècle , rem-
dez-vous compte ! … mais je l'ai sacrément modernisé !" . Je contourne le meuble pres-
tigienx que je vois tous les jours mais que je découvre comme si c'était la première fois .
Le Président ouvre les tiroirs , de part et d'autre de son fauteuil : "Qu'est-ce que vous
voyez là , Desmond ?"
- Moi . Ce que je vois ce sont des magnétophones : "Euh , Monsieur le Président … ça
ressemble à des magnétophones"
- Le Président : "Ça ressemble tellement à des magnétophones que ce sont des magnéto-
phones … des enregistreurs …" . Il lève vers moi un index complice : "Enregistreurs
secrets ! … cinq …"
- Moi : "………!? ………."
- Lui , définitif : "J'ai besoin … je veux tout savoir , Desmond !"

jeudi 5 avril 2018

10 NOVEMBRE 1947

Une tempête ce jour-là
Poussait les murs de la maternité .
C'était l'automne , un vilain automne .
Il faisait noir et des nuages
Plus noirs encore
Et à ras-bord remplis d'eau
Croisaient dans le ciel
A la vitesse grand V .
La sage-femme s'impatientait :
C'était le baby- boom et elle avait du boulot ailleurs .
Elle m'intimait de sortir de là
Et faisait avec ses mains
Cliqueter les outils obstétriques .
"Sortez de là !" disait-elle
Et je voyais son oeil bleu mauvais .
"Sortez de là , mon garçon !"
Et la tempête dehors
S'appuyait sur les murs .
Maman criait ,
Les nuages noirs sur les vitres
Jetaient des gouttes énormes
Et l'ampoule au plafond
Vacillait .
"Sortez de là , sacripan !"

J'hésitais à naître .

mercredi 4 avril 2018

L'ÉTÉ V

Peut-être à quelques femmes flamboyantes
L'été se livre-t-il totalement .

C'est une hypothèse hardie
Car une partie de sa nature est inaccessible
Aux poètes , même aux plus performants .

Peut-être que ces femmes ,
Par disposition naturelle ,
Penchant
Ou vocation ,
Ou les trois ,
Voient les yeux de l'été
Et sentent sur leur peau sa peau

Pendant que le poète ,
Bancal et mal voyant ,
Aligne sur le papier des mots approximatifs .

mardi 3 avril 2018

L'ÉTÉ IV

Imaginons le pur été
Ou essayons de le faire …

Pas le prosaïque été
Brûlant ses canicules
De solstice en équinoxe ,
Ou téléguidant ses garçons de café
Sur des terrasses surpeuplées ;

Ou l'été charmant
Producteur d'éphélides
Sur la peau de celles que vous savez ,

Mais le pur été .

Un été qui n'existe pas ,
Rêvé , imaginaire et cependant sans images ,
D'où les images se seraient retirées
Au profit exclusif de la conscience de lui-même .

Ici , le poète rend son tablier :
L'affaire dépasse ses compétences .

L'ÉTÉ III

    L'été enroule autour des fleurs ses rubans de bourdons et du coup ,
par mimétisme , les spirales d'air ne se retiennent plus de bourdonner ;
une rotation des sens se met en place autour des fleurs , autour de leurs
pétales , de leur parfum , leur calice , scandaleusement autour de leur
pistil . L'été , à force de bourdonner , perd la boule . Il prend pour bour-
don sa turbulente légèreté et pour fleurs les filles si belles dans la lumière
ronde (cf L'été I) et c'est ivre d'amour qu'il tourne autour d'elles , oublieux
des lois immuables de la nature . Car l'été n'a qu'un temps à ne pas perdre
à compter fleurette quand , tapi sous le plan de l'écliptique , déjà l'horrible
hiver attend son heure .

dimanche 1 avril 2018

L'ÉTÉ II

L'été sera rond .
L'été sera large , c'est obligatoire ,
Et débordant d'un soleil féminin ,
Éclatant donc ,
Et houleux si possible
Comme un coeur de fille
Peu douée pour l'automne , l'hiver ,
Et leurs brumes incompréhensibles .

Mais , plus qu'immense et plus que féminin ,
L'été sera rond .
Il devra l'être .
Rond sans preuves ,
Rond d'évidence , rond-primitif ,
Non pas géométriquement rond
Mais d'une rondeur métaphysique …

En somme , rond d'être .