Je suis entré dans le Palais par une porte dérobée , de celles qui ouvrent sur
les dalles poreuses du pouvoir . Par lentes imbibations , je me suis approché du
trône , à l'ombre du Prince . Là , patient et tapi , j'ai observé le Maître Absolu qui ,
depuis sa naissance , régissait le monde . Qu'il eut une ombre ce monarque éblouis-
sant , le savait-il ? … il l'ignorait . Or , le soleil projette son double obscur dans les
passages les plus oubliés des palais . C'est cette zone noire que je décidai d'investir :
je devins l'ombre du Prince . Et cette zone s'épaissit , se ramassa , quitta les coulisses
et expira au pied du trône . Nul ne connaissait mon visage et nul mon nom mais tous
savaient que j'étais entré dans les gestes du Maître , dans ses paroles , ses décrets ,
ses verdicts . J'étais le Mythe , j'étais le Grand Manipulateur . A l'intérieur des fron-
tières , qu'on me haïsse ou qu'on me vénère , on me craignait ; on me respectait hors
d'elles .
Mais on ne peut vivre sans ombre . L'Empire peu à peu prit la forme d'un baobab
creux où on peut s'arrêter pour pisser .
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