vendredi 25 avril 2014

KRANT 4 . LE DÉTROIT DE KURA

Nous avions passé le malaisé détroit de Kura et je donnai l'ordre de
réduire la pression . Je fis les quelques recommandations d'usage à
mon second et je fermai derrière moi la porte sur le bruit assourdissant
des 24 pistons Stirling et les 40° générés par les jets de vapeur . A chaque
quart , je vivais le passage de l'écoutille , celle qui sépare le pont des
entrailles du bâtiment et qu'on atteint par une échelle rongée , comme
une mise au monde , de la moiteur amniotique à l'air libre . La nuit
était tombée sur le golfe mais elle était tombée de façon légère et
immense : pas un nuage , pas de lune , mais le Lion , Orion et le Cygne
étalaient leurs incroyables constellations .

Je montai sur la passerelle . Le capitaine était adossé aux flancs de la
timonerie et je devinais son profil dans le rougeoiement de sa pipe dont
le fourneau lâchait des escarbilles minuscules qui tournoyaient dans le
flux engendré par notre vitesse , se mêlaient par l'arrière à la fumée du
steamer et se consumaient avant d'atteindre le sillage . Je m'approchai de
Krant et saisis à pleines mains le bastingage froid et humide ; ce contact
déchargea mes paumes brûlantes . Derrière le cordon dunaire , on voyait
sautiller les lumières de Pihtia . Nous longions les côtes basses de l'île
de Saaremaa et poursuivions notre route vers Pamu , notre destination .
La voix grave de Krant traversa cette nuit sans poids : "Chef !" ...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire