lundi 29 septembre 2014

KRANT 13 . LES NUAGES DE MAGELLAN

   Krant avait des étoiles une merveilleuse connaissance . Quand nous naviguions
vers Brisbane ou Nouméa , entre le Tropique du Capricorne et le 15e parallèle ,
il n'était pas rare que le capitaine nous convoquât sur le pont , officiers et hommes
d'équipage jusqu'aux mousses , pour nous lâcher un morceau de sa science ; la
voûte céleste australe qui , pendant que nous trimions , était un ciel nocturne trivial ,
devenait à ce moment une incommensurable scène de théâtre . Krant nous ordonnait
de nous allonger sur le dos et lui , debout , commentait sans le regarder (car il le
connaissait par coeur) ce bout d'univers du Pacifique Sud . Les Nuages de Magellan
étaient sa marotte et , lorsqu'il retrouvait sa ville nordique de Liepajà en Courlande
où nous recrutions nos équipages de long cours , le matelot , avant de poser sur le
quai son paquetage , d'embrasser sa femme et le rejeton né pendant son absence et
qu'elle lui tendait comme un miracle de la nature , racontait à la foule des amis et
proches venus l'accueillir que le Grand Nuage présente une barre lumineuse dans
un disque chaotique et que son plus bel amas d'étoiles est le Complexe 30 Doradus ,
encore appelé Nébuleuse de la Tarentule , que le Petit Nuage présente une énorme
excroissance baptisée Aile et qu'il pèse pas moins de deux milliards de masses so-
laires ! ; notre homme était intarissable et on l'entraînait vers une proche taverne pour
connaître la suite ...

samedi 27 septembre 2014

PARADIS 14 . LA CHUTE

   Dieu chassa Adam et Ève du Paradis et toute la Nature avec eux ; l'instant où
Dieu précipita dans l'Ether ce bric-à-brac d'Être , comme on balance le contenu
d'une poubelle dans un vide-ordures , nos cosmologues l'ont baptisé : "Big-Bang" .

   Dieu ne garda dans l'Eden que le mystère de son existence et Il lui donna la for-
me d'un fauteuil-relax avec accoudoirs , appuie-tête et bout de pieds , toutes options
réglables automatiquement .

   Alors Il écrivit une lettre à Sa propre attention (puisqu'enfermé dans Sa transcen-
dance , Il ne peut avoir d'autre correspondant que Lui-même) : Il laissait à l'Homme
l'entièreté de la Nature (sans rien retrancher , du genre : sauf les chats … ou : pas
les pommes … ou : exceptée la Galaxie spirale NGC 1365 … non : toute la Nature)
et cette renonciation à Sa propre création , bien qu'elle Lui coutât car ce qu'Il avait
fait était bon , dégageait Sa responsabilité en ce qu'il adviendrait d'elle .

   Dieu se donnait quitus (Il avait géré la création en bon père de famille et Il la léguait
en état de marche) et , pour solde de tout compte , donnait à l'Homme sa liberté .

   Cherchez l'erreur ...

vendredi 26 septembre 2014

COTE 137 . 12 . LA PROPOLIS

Cette nuit-là , l'artillerie ennemie s'était déchaînée . Elle avait pilonné nos lignes
au gros calibre .

Notre tranchée n'avait plus forme de tranchée . Aucun obus ne l'avait frappé di-
rectement mais quelques-uns avaient boursouflé ses abords et elle était en partie
obstruée par des parapets éboulés dans un fouillis de barbelés . Pendant l'accal-
mie qui suivit l'orage , à l'aube , nous tentions de dégager le boyau à la pelle de
terrassier . Puis il nous faudrait combler les sapes et colmater les brèches . Le
poilu est un maçon .

Martial , en expédiant par-dessus bord une pelletée de boue : "Connais-tu la pro-
polis ?"

Je m'appuyai sur le manche de ma pelle : "Qu'est-ce que c'est ? … de quoi parles-
tu , Martial ?"

Lui , sans s'arrêter de travailler : "De la propolis …"

Je crevais de soif : "Ça se boit ?"

Lui : "Non … les abeilles la fabriquent … c'est une savante cuisine … un mélange
de sécrétions et de substances végétales …" . J'aidai Martial à extraire du fond dé-
trempé de la tranchée un étai tordu par la puissance du feu … "L'écorce de pin …
ou les bourgeons de marronnier …" . Entre notre trou et la cote 137 , ce qui  res-
tait de l'ancienne forêt , c'était une dizaine de moignons … des pins … des mar-
ronniers … de tels arbres existaient-ils quelque part ? … Martial : "Les ouvrières
la transportent comme le pollen dans leurs pattes arrière" … Comment étaient donc
faites les abeilles ? … leurs rayures ? … bzz … bzz … . Martial : "et les maçonnes
la retravaillent avec leur cire et leur salive … elles font un mortier pour colmater
les fissures de la ruche …"

Moi : "D'où sors-tu cette science ? … tu es apiculteur ?"

Du fer de sa pelle , Martial toucha un bout de métal . C'était un casque . "Merde ! …
il y a quelqu'un là-dessous ! … hé , les gars … par-ici ! …" . Il fallut cisailler des
barbelés et dégager la terre … C'était Goncalvès , bel et bien mort pour la France …
ouvrier agricole dans le civil … sacré buveur ! … nous ne pûmes l'extirper … la
moitié de son corps était pris dans la glaise . Martial : "On trouve dans les ruches
de petits animaux morts … souris … mulots …" . Les mains sur les hanches , il
regardait la partie supérieure de Goncalvès . "Les abeilles sont trop faibles pour
les sortir … alors , un coup de propolis pour les momifier et éviter la décomposi-
tion …" . Martial était maintenant dans mes yeux et sur ses lèvres lanternait un
demi-sourire …

Il nous fallut deux bonnes heures de pioche pour détacher Goncalvès de sa gangue .

mercredi 24 septembre 2014

A BELOUCHIA GOUBA

J'etais à Belouchia Gouba le 30 octobre 1961 .

A 11h32 , l'île a tremblé .

Les vitres ont tinté et les catainers du tramway ont craché des flammes .

Puis tout s'est arrêté .

Ceux qui marchaient dans la rue se sont figés , ceux qui étaient chez eux sont sortis sur le
pas de leur porte , ceux qui circulaient à vélo sont descendus de leur monture et , comme
ceux qui réparaient leurs filets sur la darse , ils ont levé la tête vers le nord .

Quelque chose avait crevé notre ciel polaire , sombre ciel d'octobre tirant vers le noir car
Belouchia Gouba est sur le 76e parallèle , et par le trou qui s'agrandissait par à-coups ,
irradiait une lueur aveuglante . Les tristes lichens qui brunissent nos collines hors de la
ville giclèrent de bleu électrique et de pourpre ; les tôles grises du tramway et des bara-
quements du port blanchirent comme la cendre d'un volcan . Tous , nous mîmes nos mains
en visière car les murs , les rails du chemin de fer , les poutrelles métalliques du pont
renvoyaient sur nos rétines l'intolérable éclat . Sur les façades , sur les chaussées , nos
longues ombres immobiles imprimaient leurs formes .

Un silence minéral tomba sur la ville .

A 11h41 , soit 9 minutes après l'apparition du phénomène , une bourrasque brûlante
s'engouffra dans les rues . Les casquettes volèrent dans la poussière , les poubelles rou-
lèrent , sur le port les grues tournèrent en grinçant sur leur axe , le vélo que j'avais posé
sur la bordure du trottoir tomba dans un bruit de sonnette . Au bout de la rue , une force
invisible poussait l'eau hors du port et , pour la première fois de ma vie , je vis nos
bateaux versés sur l'immonde cloaque . Là-bas , dans la toundra , les joncs étaient
couchés .

L'eau du port revint en trombe à 11h43 , charriant des tonnes d'ordures et le vent tomba .
Au jour terrible succéda la nuit noire .

"Tsar Bomba" , l'impératrice des bombes , venait d'exploser .

DESMOND 7 . JACKIE K.

- "Desmond !" . Voix du Président . Il m'apostrophe sur le chemin de l'incinérateur C .
- "Desmond ! … encore avec vos saloperies de paperasses ! … ah , ah ! … les Services
Secrets ! … Services Secrets mon cul ! … des racontars , Desmond , des racontars ! …
brûlez-moi ces saletés et venez prendre un scotch en repassant par là !" . Rigolard :
"J'en apprends de belles sur vous !"
- Moi : "De belles sur moi , Monsieur le Président !?"
- Le Président : "Allez Desmond , Grand Prêtre du feu … allez brûler ces cancans …
réduisez en cendres ces contes à dormir debout … et revenez-moi vierge et immaculé …"
Je passai 30 kgs de documents strictement confidentiels dans l'incinérateur C .
Le Président m'attendait à la porte de son bureau et tendait son bras droit vers l'intérieur :
"Entrez , Desmond , j'ai soif … scotch ?"
- Moi : "Coca , Monsieur le Président"
Le Président , farfouillant dans son réfrigérateur : "Toujours aussi sobre ! … asseyez-
vous … sobre … sobre ! … j'en apprends de belles sur vous … j'ai vu cette nuit ce cher
Henry , cette vieille commère … sacré Desmond !"
- Moi : "Monsieur le Président ?"
- Le Président : "Be quite , Desmond … vous me plaisez de plus en plus … ah , ah …
vous êtes un vrai bonheur … vous m'épatez , Desmond ! …"
Il se redresse , pose sur le bureau en face de moi un verre de Coca . Il se sert un double
scotch . "Cheers !" … Le Président est debout … J'ai devant moi l'homme le plus puissant
de la terre . Il s'enfile sans faiblir trois gorgées de Chivas Regal 25 ans .
- Le Président : "Jackie K. ?" , dit-il
Je sursaute : "Oui , Monsieur le Président ?"
- Le Président . Un spasme labial (çà doit être en français un rictus) découvre ses dents de
requin : "Çà vous dit quelque chose ?"
- Moi : "Oui , bien entendu … qui ne connaît pas Jackie Kennedy , Monsieur le Président ?"
Le Président . Il est resté debout . Il tourne son verre dans sa main droite : "Oui , Desmond …
qui ne connaît pas Jackie Kennedy ? … mais tout le monde ne couche pas avec !"
- Moi . Je rougis . Je bredouille : "Certes , Monsieur le Président !"
- Le Président . Il s'esclaffe : "Certes ! … certes ! … vous avez de ces expressions ,
Desmond ! … comment c'était ?"
- Moi : "Euh , Monsieur le Président … c'est-à-dire que …"
- Le Président : "Là où il est ce vieux John , il doit lui pousser des cornes … ah , ah ! …
bravo Desmond … cheers ! …"

lundi 22 septembre 2014

MA GUITARE .

Il y a des jours où je gratte ma guitare à contre-coeur . Elle ne s'accorde plus
aux choses , le ciel est trop bleu , les ombres impossibles et la présence de mes
amis incompréhensible . Tout s'évertue à exister en somnolant , les gestes sont
petits , ils hésitent sans raison et ne sont causes de rien . Du vent dans le feuil-
lage , il n'y en a pas , et de respiration au bord des lèvres , non plus . Choses
à l'arrêt , temps immobile , je pose ma guitare et dors .

CHARLES X , L'ARCHEVÊQUE ET MOI . ( histoire du Saint-Chrême )

IMPÉRATIF PLURIEL ET PASSÉ-SIMPLE :
Charles était en attente d'onction . A l'Archevêque et à ses sbires , je dis : "L'oignons !"
et nous l'oignîmes .
PLUS-QUE-PARFAIT DU SUBJONCTIF :
A l'Archevêque : "Vous l'eussiez oint deux fois , ç'eut été une de trop"
IMPARFAIT DU SUBJONCTIF :
Que nous oignissions Charles était une chose . Que nous régnassions à sa place en était
une autre .
PARTICIPE PRÉSENT :
Oignant Charles , l'Archevêque prit son pied dans le tapis du maître-autel et c'est de
justesse que nous le rattrapâmes Charles et moi .
INFINITIF PASSÉ :
L'avoir oint était notre fierté . (La mienne et celle de l'Archevêque) .
CONDITIONNEL PASSÉ 1ere FORME :
Si nous avions su , nous ne l'aurions point oint .
FUTUR SIMPLE :
Les Rois futurs , nous les oindrons .
IMPÉRATIF PRÉSENT :
A l'Archevêque , je dis : "Oins-le … et il l'oignit .
FUTUR ANTÉRIEUR :
"Quand nous l'aurons oint" , dit l'Archevêque , "nous nous servirons une bière-pression" .
INFINITIF PRÉSENT :
Oindre Charles était du ressort de l'Archevêque . Je l'assistai .
CONDITIONNEL PASSÉ 2e forme :
Que nous l'eussions oint ou pas , Charles s'en foutait .
PARTICIPE PASSÉ :
Ayant oint Charles , l'Archevêque ferma les portes de la cathédrale et il me pria de jouer
avec lui à chat-perché .
IMPARFAIT :
Après la Révolution , l'Archevêque oignait à tours de bras .
CONDITIONNEL :
Nous savions qu'un jour ou l'autre nous l'oindrions .
PASSÉ-COMPOSÉ :
Ils l'ont oint dans la bonne humeur .
PRÉSENT . (Forme pronominale) :
Je me oins , tu te oins , il se oint ...

dimanche 21 septembre 2014

LE SAINT-CHRÊME . DO IT YOURSELF

   Prendre l'avion pour Tel Aviv , puis un taxi pour une ville de Judée au choix ,
Bethleem par exemple .
   A Bethleem , louer une chambre à l'Holiday Inn , près du Coca-Cola Park et
passer une bonne nuit .
   Le lendemain , louer un âne . C'est ici , depuis 2000 ans , le moyen de locomo-
tion le mieux approprié . Lent , mais c'est la lenteur qui fait son intérêt .
   Sortir de Bethleem et prendre la direction de Jerusalem . Franchir le check point
de l'armée israélienne et contourner les Vasques de Salomon , jusqu'au Wadi Artas .
C'est dans cette vallée où coulent le lait et le miel que pousse l'arbre que nous
cherchons : Commiphora Opobalsamum , sapin baumier originaire du sud de
l'Arabie , naturalisé en Judée il y a 3000 ans .
   Près de la tombe de Rachel , sur le chemin d'Ephrata , entre les vignes encloses
et les figuiers nimbés de lumière biblique , choisir un pin de taille moyenne .
   Avec la pointe d'un couteau , inciser le tronc . Un liquide jaune doré suinte par
la plaie : c'est la myrrhe de Melchior le Roi-Mage . Son odeur rappelle celle du
citron, l'odeur de sainteté . Sa saveur est amère , sa vertu astringente .
   Remplir le contenu d'une bouteille de 37,5 cl . La tenir au frais dans le sac à
dos d'âne .
   Revenir à Bethleem par le même chemin . Retraverser les colonies juives de
Gilo et Har Gilo sur les terres de Beit Jala et Al'walaja , contourner les Vasques
de Salomon , exhiber le laissez-passer au check point et vous rendre directement
au Tikva Market de Wad Ma'ali street .
   Acheter un litre d'huile d'olive en tête de gondole et trois sachets de safran ,
cannelle et essence de rose au rayon épices .
   Dans la kitchen de l'Holiday Inn , verser le contenu des trois sachets dans un
demi-litre d'huile d'olive , mélanger et tenir à feu doux dix minutes . Transvaser
doucement le baume liquide sans cesser d'agiter jusqu'à obtenir une pâte onctueuse .
   Laisser reposer sept jours et sept nuits puis répartir la pâte dans une dizaine
de fioles .
   Vous avez do it yourself le Saint-Chrême .
   Le Saint-Chrême , à quoi çà sert ?
   À oindre le front des Rois de France .




LE SAINT-CHRÊME . MODE D'EMPLOI

COMPOSITION : Huile d'olive 88% . Baume myrrhique 10% . Safran , cannelle,
essence de rose 1% . Colorant 1% .
SUPPORTS : Exclusivement le front des Rois de France .
PRÉPARATION DES SUPPORTS : Passer sur le front du Roi un papier de verre
fin et lustrer à la peau fleurdelisée
APPLICATION : Uniquement avec le pouce . Proscrire absolument l'utilisation des
brosses , pinceaux , rouleaux et pistolets électrostatiques .
RENDEMENT : 1 cm2 par Roi de France .
DILUTION : Prêt à l'emploi .
SÉCHAGE : Un règne moyen .
CONSERVATION : Tenir dans la fiole d'origine fermée . Un bidon de 37,5 cl de
Saint-Chrême peut durer 2000 ans à condition d'être conservé à l'abri des régicides ,
des révolutionnaires et des démocrates .
NETTOYAGE DES OUTILS : Le pouce et le vase aux Saintes Huiles seront
dégraissés à l'eau bénite .
PRÉCAUTIONS D'EMPLOI :
   Ne pas ingérer .
   En cas d'ingestion , consulter immédiatement un médecin spécialisé dans l'interpré-
   tation des Saintes Écritures en lui montrant l'emballage et l'étiquette .
   Utiliser seulement dans les cathédrales agréées pour les sacres : Soissons , Saint-
   Denis , Reims , Orléans , Compiègne , Laon , Ferrières en Gâtinais .
   L'emploi du Saint-Chrême dans une synagogue ou une mosquée peut provoquer
   une réaction allergique .