samedi 21 février 2015

PARADIS 28 . PHALLUS

    Dieu a posé sa tête entre ses mains toutes puissantes . Il est accoudé à l'établi
où pétille , dans un verre d'eau , un cachet d'Alka-Seltzer . Ève entre .

- Ève : "Ça va pas ?"
- Dieu . Il tourne la tête vers sa plus belle créature . Les yeux de Dieu sont bouffis
et cernés : "Ah , Ève ! … ça pourrait aller mieux …"
- Ève : "Quoi-qui-gna ?"
- Dieu , dans un soupir : "… talibans …"
- Ève : "C'est quoi ? … c'est un mignon oiseau ?"
- Dieu . Il lève les bras à sa mi-hauteur céleste et désarmée : "Pas exactement …"
- Ève : "Avec des mâles et des femelles ?"
- Dieu : "Non , Ève … des mâles exclusivement …"
- Ève : "Y a pas de … de ? …"
- Dieu : "… non …"
- Ève : "Y a pas de talibans femelles ? … comment qui font pour se reproduire ?"
- Dieu : "J'en sais rien …"
- Ève . Elle tape sur l'épaule de Dieu : "Si tu veux , je peux t'aider"
- Dieu . Il tient la main d'Ève sur sa propre épaule divine : "Tu ferais ça pour moi ,
ma chérie ?"
- Ève , enthousiaste . Elle sautille sur place , ses lolos tressautent : "Oui-oui-oui-oui !!!"
- Dieu lui montrant un outil sur une étagère : "Tu vois ça , Ève ?"
- Ève : "C'est quoi ?"
- Dieu : "Une tronçonneuse à chaîne … à moteur thermique … une Mac Culloch 842 …
attention , Ève ! … va pas te blesser ! …"
- Ève . Bouche bée . Yeux écarquillés : "Oh , chouette , j'adore les nouveaux jeux ! …
qu'est-ce que je fais avec ? …
- Dieu . Geste tranchant de la main : "Tu coupes tout ce qui dépasse !!"

   

COTE 137 . 26 . DIEU ARTILLEUR

- Martial : "L'abbé , croyez-vous en Dieu ?"

    Martial s'adresse à l'aumônier qui parfois nous visite . Ce jour-là , l'artillerie
boche vise notre position .

- L'aumonier : "Bien sûr que j'y crois , mon fils !"

    Un obus de 150 tournoie au-dessus de nos casques . Il est pour nous . Nous
nous jetons les uns sur les autres dans la boue . Cette saloperie perfore la tranchée
à moins de deux mètres où nous sommes embourbés … et oublie d'exploser .

- Après une minute de stupeur , Martial : "Peut-on parler de miracle , l'abbé ?"
- L'aumonier . Sa voix tremble : "Non , mon fils … c'est un incident technique …"
- Martial : "Dieu n'est pour rien là-dedans ?"
- L'aumonier : "……………………"
- Martial : "L'abbé ! … Dieu est-il pour quelque chose ?"
- L'aumonier : "Mon fils … à ce que je sais , Dieu n'entend rien aux explosifs …"
- Martial : "Il a tort …"
- L'aumonier : " …………?………."
- Martial : "Dieu devrait mettre son nez dans nos jeux"
- L'aumonier : "Quels jeux ?"
- Martial : "L'abbé … nous sommes des enfants … les boches aussi sont des enfants …
nous jouons à des jeux dangereux … nous ne sommes pas sages …"
- L'aumonier : "………….?……….."
- Martial : "Je crois que votre Bon Dieu a bricolé celui-là … on devrait être en miettes …"
- L'aumonier : "Ne croyez-vous pas , mon fils , que le percuteur était défectueux ?"
- Martial : "C'est ce que je dis , nom de Dieu ! … il a saboté le percuteur ! …"

CONJECTURES

    L'équipe du Professeur B.H. Hodgson a capturé sur King Island dans le Détroit
de Bass , au nord de la Tasmanie , trois marsupiaux d'une espèce non répertoriée .
Trois femelles dotées comme toute femelle marsupiale de deux utérus , deux vagins
et d'une poche ventrale à incubation . Bien que hautement improbable , leur morpho-
logie les fait tenir pour un croisement de deux marsupiaux : le wombat (phascolomis)
et l'échidné à long nez (zaglossus bruijni) . Si le wombat est indigène , on n'a jamais
vu ici d'échidné à long nez et on n'en a pas vu ailleurs que dans les montagnes inté-
rieures de Nouvelle-Guinée . Mais cette découverte n'aurait pas franchi la discrète
frontière des chroniques cryptozoologiques si la genèse supposée des trois animaux
pris au piège les avait limités au poids raisonnable de 20 kilos . Or nos trois femelles
frôlent la demi-tonne et leur aspect est un spectacle : leur pelage rose saumon est
parsemé de piquants vert fluo , leur tête est ornée d'une crète jaune de cobalt et , de
leur étroite mâchoire , jaillit à la vitesse de la lumière une langue collante d'environ
trente mètres dans sa plus longue élongation , capable d'attraper les insectes les plus
minuscules . Il semble d'ailleurs que ce yéti à poche - c'est ainsi que l'a baptisé l'équipe
du Professeur B.H. Hodgson - dédaigne les mouches et les papillons et que son ordi-
naire soit exclusivement de caraphractus cinctus , ces guêpes parasites d'à peine un
dixième de millimètre . Les questions qui sont aujourd'hui posées : comment un tel
animal , au demeurant peu farouche , est-il resté caché aux yeux des hommes ? …
et : existe-t-il des mâles ?

vendredi 20 février 2015

TROIS MOUCHES 30 . B52

    Une vague de B52 était annoncée . Trois mouches vermeilles et
merveilleuses bourdonnaient contre nos chapeaux de paille . Soudain
une sirène hurla et Berthe me serra la main .

    Une vague de B52 bourdonnait . Berthe hurlait . Une sirène serra nos
chapeaux et trois mouches de paille , vermeilles et merveilleuses , s'annoncèrent .

    Trois mouches vermeilles annonçaient une vague . J'hurlai , mais une
sirène merveilleuse me serra la main : c'était Berthe !

lundi 16 février 2015

DESMOND 21 . JEU DE CARTES

- "Entrez , Desmond !"
    Le Président est assis . Il a aligné sur l'acajou du Wilson Desk , figures retournées ,
un jeu de 52 cartes .
- Moi : "Bonjour , Monsieur le Président"
- Le Président : "Asseyez-vous, Desmond … et retournez une carte …"
    Je m'asseois et je retourne une carte .
- Le Président : "Valet de pique ! … Desmond , vous faites fort … c'est ce Dear Henry ,
mon âme damnée … allez-y … une autre … vous êtes doué mon cher !"
    Je retourne une carte : trois de trèfle …
- Le Président : "Trois de trèfle ! … incroyable , Desmond ! … c'est moi ! … trois de
trèfle , un batard !"
- Moi . Je proteste : "Monsieur le Président !"
- Le Président . Il balaye mon objection : "Allez , Desmond … une autre … c'est
passionnant !"
    Je retourne une carte .
- Le Président : "Dame de coeur ! … Marilyn ! … mon vieux , vous avez un de ces
coups de patte ! … allez … allez-y … retournez ! …"
    Je retourne une carte .
- Le Président : "Ah ! … roi de coeur ! … c'est vous Desmond ! … il n'y a pas meilleur
homme que vous ! …"
- Moi , modeste : "Monsieur le Président !"
- Le Président : "Si , si … allez-y …"
    Je retourne une carte : as de pique .
- Le Président . Il réfléchit : "Tiens !? … as de pique ! … qui ça peut-il être ? … Chou
En Laï … ou Mao ? … je les confonds … peut-être Chou … allez-y , Desmond"
    Dix de carreau .
- Le Président : "Carlota … dix de carreau …"
- Moi : "Carlota , Monsieur le Président ?"
- Le Président : "Carlota … la femme de ménage … une portugaise … dix de carreau-
Carlota , bien entendu … vous ne vous intéressez pas au petit personnel , Desmond ? …
allez …"
    Cinq de coeur .
- Le Président . Il recule sur son siège : "Ah , celui-là je le déteste … c'est physique ! …"
- Moi : "Qui est-ce , Monsieur le Président ?"
- Le Président , étonné : "Vous ne voyez pas qui c'est ? … enfin Desmond , c'est lui ...
Arafat !"
    Je retourne une carte : neuf de pique .
- Le Président : "C'est curieux , Desmond … vous ne trouvez pas ?"
- Moi :"…………………."
- Le Président : "Vous ne trouvez pas curieux que sous chaque carte il y ait une personne ?"

dimanche 15 février 2015

KRANT 26 . TEMPÊTE DE SABLE

    Un vent d'est balayait les sables du Namib en bourrasques , les projetant
à dix miles de la côte . Les grains s'amassaient en tas dans l'angle des coursives
extérieures à bâbord ; ils s'immisçaient par les écoutilles et coulaient le long des
échelles de fer jusque dans les soutes et la salle des machines . Un ciel jaune
pâle s'était abattu sur la mer et bientôt on ne distingua plus l'un de l'autre ; il
sembla que la mer s'était figée bien qu'on sentît encore son lent mouvement
sous la quille du Kritik et qu'une écume souillée éclatât sur ses flancs .

    Par le chadburn , Krant m'ordonna de réduire l'allure autant qu'il était possible
et au timonier de mettre la barre à tribord pour sortir de cette panade avant que
les instruments de navigation s'affolassent . (J'étais bien aise d'avoir placé dans
mes mémoires l'équivalent prussien d'un subjonctif imparfait si spectaculaire et ,
en effet , y avait-il forme grammaticale plus adaptée pour décrire l'incertitude où
nous mettait cette tempête de sable ?)

    Quand nous fûmes au large , nous retrouvâmes une mer franchement liquide .
Le ciel était lavé . Je remontai sur mon front les lunettes de chauffeur et je remis
dans ma poche le chiffon où j'avais fourré ma bouche et mon nez .

    Krant se tenait sur la passerelle . Le pli de son pantalon était aussi tranchant
que l'horizon et les boutons de son plastron brillaient comme la constellation
d'Andromède .

    "Alors , Chef , que pensez-vous de cela ?"

samedi 14 février 2015

TOURNESOL

- Que faites-vous , Professeur ?
- Je pèse …
- ……………..?…………….
- Ah ! … vous ne voyez rien sur ma balance ?
- Et bien non … je ne vois rien …
- C'est normal
- ……………..?…………….
- … Je pèse le presque rien
- ……………..?…….. Ce qu'on appelle l'anti-matière ?
- Oui … il y en a très peu dans l'univers local …
- Parce qu'il en a !?
- Dans les rayons cosmiques par exemple … vous comprenez jeune homme ? …
il y a une asymétrie entre la matière et l'anti-matière … s'il y avait symétrie , il
n'y aurait rien … ni matière , ni anti-matière …
- …………….?……………..
- La violation de la symétrie CP … vous en avez entendu parler bien sûr ?
- … Euh … Professeur … non …
- Mais qu'est-ce qu'on vous apprend à l'école ? … les Rois de France ? …
l'accord du participe passé ? … l'imparfait du subjonctif ? … foutaises ! … vous
ne savez donc pas que la matière qui nous entoure est un résidu ridicule de la
quantité originaire ? … que la quasi-totalité de la matière et de l'anti-matière s'est
annihilée ? … que nous n'avons pas assez de zéros pour en déterminer le quotient ? …
- Professeur … si je vous suis bien … il y aurait un univers inverse … où il y aurait
plein d'anti-matière et une infime quantité de matière …
- …………….?…………….. oui … derrière la surface de dernière diffusion … ou
avant l'instant zéro … dites-donc , mon ami … l'école est nulle mais vous êtes doué !                      

PARADIS 27 . VIVE LES FILLES !

- "Dis , j'ai appris un nouveau mot …"

    C'est Ève . Elle s'adresse à Dieu .

- Dieu : "Diable (!) , un nouveau mot ! … qu'est-ce que c'est ma chérie ?"
- Ève : "… Fé-mi-niste …"
- Dieu : "Connais pas … c'est une invention à toi ?"
- Ève . Elle proteste : "Non , c'est dans le p'tit ksionère !"
- Dieu . Il corrige : "Le dictionnaire , Ève ! … tu m'étonnes ! … les mots ,
c'est moi qui les ai mis dans la nature … je ne me souviens pas de celui-là …
"féministe" as-tu dit ? …"
- Ève . Elle pleurniche : "Oui , je sui sûre ! … tu me crois jamais ! …"
- Dieu : "Calme-toi , Ève … j'ai peut-être oublié … qu'est-ce que ça veut dire ? …"
- Ève : "Je sais pas …"
- Dieu : "Tu me dis que tu as appris un nouveau mot et tu n'en connais pas le sens !?"
- Ève : "C'est quoi le sens ?"
- Dieu : "… Ce que ça veut dire … ça veut dire quoi ce mot-là ? … féministe …"
- Ève : "Je sais pas"
- Dieu : "Tu as demandé à Adam ? … il sait peut-être (Dieu pense : ce salaud doit
savoir)"
- Ève : "Oui … il sait … il a pas voulu me dire … c'est pas pour les filles qu'il a dit"
- Dieu : "C'est de la rétention d'infos , ça !"

vendredi 13 février 2015

COTE 137 . 25 . GENÊTS BORDÉS DE NOIR

    J'appris que Martial était breton .

- Moi : "Es-tu breton , Martial ?"

    Là-haut , nos obus croisent ceux des boches . Nos obus écrabouillent
des boches et les obus des boches écrabouillent les nôtres …
    Martial et moi sommes allongés au fond de la tranchée et nous devisons de
nos pays .

- Martial : "A l'heure qu'il est les genêts sont en fleurs … écoute ! … on leur
met du 250 …"
- Moi : "Les genêts , c'est des fleurs jaunes ?"
- Martial : "Ç'en est plein les chemins … plein la lande …"

    Tac-tac-tac-tac … la mitrailleuse d'en face fait ses gammes sur nos
chevaux de frise .

- Martial : "Jaune d'or … très odorantes …"

    Deux brancardiers passent à demi-pliés avec ce qui reste d'un poilu .

- Moi : "Comme le cytise ?"
- Martial : "Ça y ressemble … et dans ta campagne ?"
- Moi . Je réfléchis : "Je ne me souviens pas … chez nous , des sillons à perte
de vue … on retourne beaucoup la terre , tu vois ?"
- Martial : "Je vois très bien … un peu comme ici …"


dimanche 8 février 2015

FERLEC . COMPOSITION FRANÇAISE

    Rentrée des classes : racontez votre plus beau souvenir de vacances .

    Mon plus beau souvenir de vacances , c'est le dimanche 12 Août . Papa sort du
garage la 4 CV . Maman s'asseoit sur le siège à côté de lui et mes quatre frères et
moi nous entassons à l'arrière . Cette voiture est un modèle 1959 . Elle est équipée
d'un embrayage électromagnétique Ferlec . C'est une nouveauté et , comme dit
papa , un progrès "incontestable" : il n'y a plus de pédale d'embrayage . Elle est
remplacée par un interrupteur sous le levier de vitesses . Papa gare la voiture le long
du trottoir et , aussitôt , les promeneurs et les gens qui ont assisté à la grand messe
de Saint Joseph font cercle autour de nous car il est écrit sur le capot arrière : "Em-
brayage Automatique Ferlec" . Papa explique que le serrage du disque de friction
entre les deux plateaux se fait au moyen d'un électro-aimant alimenté par la dynamo .
Il n'y a plus de pédale d'embrayage ! . "Oh !" dit la foule . Un bouton inverseur est
placé sous le tableau de bord . Papa montre le bouton inverseur par le carreau baissé
et la foule se penche . Ce bouton permet de brancher l'embrayage sur la batterie pour
profiter du frein moteur dans une descente ou pour immobiliser le véhicule dans une
côte . A part ça , dit papa , le moteur est un 748 cm3 à 4 cylindres placé en porte-à-
faux arrière à 3 paliers . Il fait chaud . Maman sourit . C'est le plus beau souvenir de
mes vacances .

    Note de l'institutrice : Votre copie est nulle ! . Elle mérite un 2 sur 20 pour payer
l'encre … Vous ne racontez rien d'intéressant . Vous auriez dû évoquer les châteaux
de sable et toutes ces choses qui font de belles vacances ! … Mon ami , votre rentrée
est mal engagée !

vendredi 6 février 2015

TROIS MOUCHES 29 . DANS LA PAILLE

Je tirai à bout portant . Trois mouches vermeilles et merveilleuses
bourdonnaient contre nos chapeaux de paille . L'impact projeta Berthe
dans le tourniquet du jardin public .

C'est drôle ! … Berthe me tire dans le tourniquet et nous rions . La
paille de son chapeau est un jardin où un public merveilleux nous
porte à bout de bras .

Berthe tira son chapeau et je projetai le mien dans la paille . Un tour-
niquet de mouches bourdonnait quand je la pris dans mes bras .

jeudi 5 février 2015

DESMOND 20 . MOSHE

    Je croise le Président dans l'escalier . Il descend les marches que je monte ,
les bras chargés de documents à détruire .

- Le Président : "Ah , Desmond … Moshe vous fait ses amitiés"
- Moi : "Moshe ?"
- Le Président : "Dayan , Desmond … Moshe Dayan , bien sûr … vous
connaissez un autre Moshe ?"
- Moi : "Euh … non , Monsieur le Président … mais je ne connais pas Monsieur
Dayan personnellement … je ne l'ai jamais rencontré …"
- Le Président : "Vous plaisantez ? … Moshe m'a dit : faites mes amitiés à
Desmond … il m'a parlé d'une super partie de poker …"
- Moi : "Je ne joue pas au poker , Monsieur le Président … peut-être s'agit-il
d'un autre Desmond …"
- Le Président . Il croise les bras et se pince les lèvres : "Un autre Desmond ? …
je ne connais pas d'autre Desmond que vous , Desmond …"

    Dear Henry passe sur le palier .

- Le Président : "Henry ! … connaissez-vous à la Maison Blanche un Desmond ?"
- Dear Henry : "Vous l'avez devant vous , Mister President … si je puis me permettre"
- Le Président : "Voyez-vous , Desmond … Henry est mon plus proche collabora-
teur … a genius … une mémoire éléphantesque ! … si Henry me dit qu'il n'y a qu'un
Desmond à la Maison Blanche , je suis bien forcé de le croire … si Moshe me dit de
vous faire ses amitiés , c'est donc bien à vous qu'il les fait … n'est-ce pas bien
raisonné ? …"
- Moi : "………………………"
- Le Président : "Vous me cachez quelque chose , Desmond ?"

KRANT 25 . SUR LE QUAI N°3

- "Si vous trouviez sur le quai n°3 …" Le Kritik avait accosté là vers minuit
et lorsque Krant posa cette question , c'était aux premières heures du matin ;
des dockers indigènes chargeaient nos soutes de riz décortiqué "… 100 marks-or
tombés de la poche d'un marin , chercheriez-vous à rendre son bien à celui qui
se sera échiné à l'amasser ?"

- Le Quartier-Maître : "Certainement pas Capitaine ! … j'ai sept gosses à nourrir
à Koenigsberg … et une femme ! … 100 marks ! … il sera bien coupable ce
marin-là de n'avoir cousu sa fortune dans la doublure de son paletot ! …
100 marks-or ! …"

    Krant se tourna vers le timonier au comble de l'excitation comme si une bourse
de 100 marks était à ses pieds …
- "Moi , Capitaine ? … une pareille aubaine ? … 100 marks-or à l'effigie de
l'Empereur !! … sacré bon Dieu ! … ce marin est un sot et son bien , j'irais le
boire dans les tavernes d'ici … jusqu'à la dernière once ! … et je me taperais
toutes les femmes de Fort-Dauphin ! …"

    Les petits yeux de Krant maintenant m'interrogeaient .
- "Euh , Capitaine … 100 marks ! … c'est une somme ! … voyez ce qu'on peut
faire avec 100 marks … agrandir le potager … acheter une vache … des poules …
acquérir de la terre … une ferme ! … mais le bien d'autrui , c'est le bien d'autrui …
à la vérité , Capitaine , qu'est-ce que je ferais ? … je n'en sais rien …"

    Le Capitaine nous congédia .

- "C'est pour mes statistiques" dit-il , comme nous franchissions la porte .

AU ZOO

Au zoo …
Moi , chimpanzé .

Ce que vous venez voir dans mes yeux pour 6€ le ticket d'entrée
(2.50€ pour les enfants de moins de 10 ans) :

Les savanes de la préhistoire que nous partagions en cousins germains ,
ces lacs où - voisins suspicieux - nous nous abreuvions .

L'odeur des espaces anciens , le sifflement des lianes , le claquement de
bec du cacatoès dans la forêt primaire , des barrissements lointains , l'extase
des premiers matins , les jungles qu'ont décrites les explorateurs dans des
livres où vous avez appris à lire , les légendes parvenues à vos oreilles par
d'indémélables détours …

Paradis perdu . Paradis encagé .

Vous sonderez un bras mort de votre âme . Quelle faute inavouée ? … Ne
te tracasses pas mon fils , ça te coûtera un acte de contrition bâclé , mais
c'est trop tard … le mal est fait .

Vous chercherez dans mon regard ce monde fantôme , pour 6€ la place
(gratuit sur présentation de la carte enseignant) .

mardi 3 février 2015

PARADIS 26 . MACHINE INFERNALE

- Dieu est sombre : "Ève … l'Homme a trouvé un nouveau dieu et partout il
l'érige . Partout ces pierres dressées et ces danses !!"
- Ève : "……………………….."
- Dieu : "L'Homme ne croit plus qu'en lui … je suis mort , te rends-tu compte ,
Ève !? … l'Homme m'a tuer …"
- Ève . Elle corrige : " … m'a tué …" . Elle pose sa main exquise sur l'épaule
de Dieu .
- Dieu : "Je suis mort et fautif … un petit appendice de rien du tout … un acces-
soire technique … faute de mieux … je n'étais pas fier , tu sais … je n'ai rien
trouvé d'autre que ce bout de tuyau … et lui … ce crétin … il l'érige , il le caline ,
il en émaille ses propos … il en a fait un dieu … n'est-ce pas désolant , Ève !? …
faire d'un pauvre raccord un dieu !?"
- Ève . Elle crispe sa main sur l'épaule divine .
- Dieu : "Quelle déception ! " . Il se cale la tête dans les mains et pleure … "J'avais
une telle ambition !" . Il sanglote … "et ce crétin se prend pour un créateur … des
lances , des canons … des automobiles … des perceuses électriques … des déca-
peurs thermiques … et j'en passe … des pierres dressées … à l'image de son sexe !!!"
- Ève . Elle se penche et chuchote à l'oreille de Dieu : " Ne pleure pas … je te ven-
gerai … j'ai une machine infernale !"


COTE 137 . 24 . BERTIN EST TOUCHÉ

    Bertin est touché . Rien de grave . Un petit éclat d'obus s'est fiché dans son
mollet gauche . Le capitaine fait appeler un médecin . Par chance , il y a un major
dans les parages .

- Le capitaine , au téléphone : "J'ai un blessé"

    Dix minutes plus tard , un major se penche sur Bertin .

- Le major , après examen : "Rien de grave , mon gars … une égratignure …" .

    Bertin cependant beugle .

- Martial : "Vous allez lui couper la jambe droite , toubib ?"
- Le major : "La jambe droite ? … c'est au mollet gauche qu'il est blessé , votre
camarade …"
- Martial : "La patte gauche , le mal est fait … la droite , on peut encore la sauver …"
- Le major : "……………..?…………….."
- Bertin : "Ta gueule , Martial ! … je souffre …"
- Martial au capitaine : "Mon capitaine , vous vous souvenez de Mangin ?"
- Le capitaine : "Dieu ait son âme !"

    Le major entreprend de couper les bandes molletières de Bertin .

- Martial au major : "Mangin a reçu un obus de 120 en pleine poire … pulvérisé ! …
on n'a rien retrouvé de Mangin , hein capitaine … volatilisé … tous ses morceaux
en sécurité … on lui fera plus jamais de mal à Mangin …"
- Le major : "……………………….."
- Martial : "C'est pourquoi je vous suggère de couper la jambe droite de Bertin …
elle est intacte … il faut la mettre de côté … ici , dans le secteur , elle est en danger ."
- Bertin : "Quel con !"
- Le major au capitaine , désignant Martial avec sa paire de ciseaux : "Capitaine ! …
cet homme est-il sérieux ? … se moque-t-il ?"
- Le capitaine : "Martial ? … il est absolument sérieux !"