LE ROI DES BELGES (suite) . MES OBSÈQUES ET CE QUI S'ENSUIVIT .

    Je coupai le courant le 10 novembre 20?? , jour de mon anniversaire : j'avais ?? ans .
Une rangée de gardes suisses à cheval - j'avais licencié les 132 cavaliers de l'Escorte
Royale parce que sous le poil d'ourson des bonnets ça sentait le putsch - avait abaissé la
hampe de ses hallebardes en signe de deuil . Le peuple se pressait sur la Place des Palais
des sanglots en travers de la gorge mais je n'ignorais pas ce que ce mouvement devait
aux réflexes conditionnés . Je savais du fond de mon cercueil ce que valaient ces pleurs
car la lucidité qui m'avait fait défaut pendant mon règne m'avait investi post-mortem ;
j'ouvrais les yeux au moment où on me les fermait . En vérité , le peuple ne m'aimait pas .
Je n'étais pas aimable , un Roi-Soleil peut-il être aimé ? et cependant on pleure un roi mort
comme on salive devant une salade convenablement assaisonnée , c'est pavlovien . La
Libre Belgique , quotidien humoristique et satirique (note pour mes lecteurs français)
faisait exception à cet automatisme . Elle titrait :

    "Le Roi Couteau A Droite Ier a passé la fourchette à gauche !"

    Avais-je des regrets ? que n'avais-je fait pour mon peuple ? . Je laissais une Belgique
plus opulente que jamais , où l'on vérifiait qu'elle se faisait aussi bien de l'absence de
gouvernement (je l'avais révoqué) que de la présence d'un monarque absolu . On appliquait
mes décrets avec désinvolture , on me léchait les pieds et on faisait semblant de conquérir le
Katanga . Pendant que je m'épuisais en desseins mirifiques , on faisait tourner la machine à
fric , on s'en foutait plein les poches . Sachant cela mais n'écoutant que les trompettes de la
renommée , le Grand Chambellan , Eric de la Jonquille devint Régent puis , comme tout
régent (à part les mal dégourdis dans le genre de Charles Prince de Saxe-Cobourg-Gotha) ,
il monta sur la première marche du podium et régna sous le nom d'Eric Ier de la Jonquille ,
9e Roi des Belges . La Reine était donc mon instructrice , Christine de la Jonquille . Elle
fut plus aimée encore qu'Astrid Sophie Louise Thyra Bernadotte et elle évita de circuler
en automobile sur les routes sinueuses du Canton de Schwytz (Suisse) .

L'ABBÉ TONIÈRES 9 . L'EXISTENCE PRÉCÈDE L'ESSENCE

    Finalement , l'abbé est passé en Suisse de nuit par le col de Balme . Marie-Madeleine
l'accompagnait , porteuse de la mallette du Diocèse de Versailles et son contenu : la recet-
te de la quête des Rameaux . L'abbé a placé cette grosse somme sur un compte numéroté
qu'il détient dans une banque de Lausanne et gardé une partie pour s'offrir le joujou dont
il rêve depuis le petit séminaire : un cabriolet Porsche 911S . En France , sur la N5 entre
Évian et Thonon , le 6 cylindres hoquète . L'abbé : "Par les clous du Christ ! … l'essence !"
Marie-Madeleine joint les mains : "Mon Dieu , nous allons tomber en panne !" . Elle se met
à pleurnicher : "Beuh , beuh !" . L'abbé :"Là-bas ! … une église ! … faites , Seigneur , que
nous arrivions jusque-là !" . M-M : "Une église !? … mon Père , c'est d'une station-service
dont nous avons besoin ! … beuh , beuh ! …" . Sur le parvis , l'abbé coupe le moteur tres-
sautant :"Sauvés ! … Dieu soit loué ! … allons-y !" . Il sort du cabriolet . M-M : "Mais …
mon Père … vous savez bien … elle est fermée … beuh , beuh … avec les vols , les églises
sont fermées … beuh !" . L'abbé : "Oui , triste époque ! … sortez de là Marie-Madeleine !
et cessez vos jérémiades ! … action !" . Il se dirige vers l'église , gravit les marches , fouille
les poches de sa soutane d'où il extrait un instrument qui ressemble à un crochet , qui res-
semble si fort à un crochet que c'en est un . Après quelques pressions sur les goupilles et
une poussée de l'épaule , la porte cède . L'abbé à M-M qui est restée debout près du ca-
briolet : "Marie-Madeleine … dans le coffre … le pied de biche … maniez-vous ! …"
M-M : "Beuh , beuh … une biche !? … dans le coffre ?" . L'abbé : "Faites pas votre
gourde ! … un pied de biche , c'est un outil coudé en forme de sabot de cervidé … vous
pouvez pas vous tromper" . M-M se dirige vers l'arrière de la Porsche . L'abbé : "Marie-
Madeleine ! … le coffre d'une 911S , c'est à l'avant !" et il s'engouffre dans l'église . Quel-
ques minutes plus tard , M-M le rejoint . Elle tend à l'abbé un pied de biche de 90 cms :
"C'est ça ?" . L'abbé hausse les épaules en s'emparant de l'outil : "Non , Marie-Madeleine ,
ça c'est un crayon à yeux waterproof … suivez-moi , c'est par là …" . L'abbé et M-M
traversent l'église , font une génuflexion et se signent devant le maître-autel , puis …
M-M : "Mon Père !? … qu'est-ce que vous faites !?" . L'abbé : "Ça se voit pas ? … je
force ce satané tronc … aidez-moi , nom de … nom d'une pipe !" . M-M pèse de toutes
ses forces sur le pied de biche et le tronc rend l'âme dans un scandaleux craquement de
chêne . M-M : "Beuh , beuh ! …" . L'abbé , penché sur le tronc ouvert : "Ah , les pingres !
des pièces de 10 centimes ! … Marie-Madeleine ! … comptez … faites des piles !" . M-M
fait 10 piles de 10 pièces . L'abbé : "10 euros … on ira jusqu'à Marinel … il y a une église
charmante dans ce patelin …" . M-M : "Beuh , beuh !" . L'abbé : "Écoutez-moi , Marie-
Madeleine ! … c'est dans Marc 3-28 : "Tous les péchés seront pardonnés aux hommes
et les blasphèmes qu'ils auront proférés"

DESMOND 58 . DO IT YOURSELF

- "Entrez , Desmond !"

    Le Président est assis à son bureau . Il trace des traits à la règle sur une feuille de
papier . La boîte de crayons Caran D'Ache que Pat lui a offert (je crois me souvenir
que c'est elle) et la gamme des stabilos que Maryline a ordre de tenir complète et en
bon état de marche , un compas , sont déployés sur la table .

- Le Président : "Regardez ça , Desmond … venez voir" . Il me fait signe d'approcher
et de faire le tour du bureau . Il y a sur la feuille des figures géométriques : carrés ,
rectangles , cercles … un triangle aussi , et dans chacune de ces formes , des points
alignés : des lignes de points orange , des verts , des rouges , des bleus , etc …
- Le Président : "On ferait ça sur South Lawn" (pour mes lecteurs français , c'est , à la
Maison Blanche , la pelouse sud du parc)
- Moi : "…………?……….."
- Lui : "Qu'en pensez-vous ?"
- Moi : "Pouvez-vous m'expliquer , Monsieur le Président … euh … je ne …"
- Lui , paumes en l'air de chaque côté de son dessin , comme énonçant une évidence :
"C'est un potager , Desmond ! … ne voyez-vous pas !?"
- Moi : "Un potager ? … sur South Lawn ? … oui … oui …"
- Lui . Il retourne et pose ses paumes sur le bureau . Sur ses épaules , soudain , un
surcroît de pesanteur : "Ouais … mais ça va être du boulot ! … j'ai peut-être vu un peu
grand …" . Il se tourne vers moi . Je suis toujours debout à son côté . "Pat me dit de
commencer par un carré … de ne pas m'emballer … un carré de … de 6 pieds … des
radis … des salades … 6 pieds … c'est déjà très fatigant … vous , Desmond , vous
êtes un intellectuel … vous ne savez pas ce que c'est que biner … vous ne savez pas
ce que c'est que se pencher sur la terre"
- Moi : "Monsieur le Président … si je puis me permettre … votre L5 ? ..."
- Lui : "Ma L5 ? … qu'est-ce que ma L5 vient faire …" . Explosant de rire : "Vous
n'y pensez pas sérieusement , Desmond !? … je ne vais pas faire ça moi-même !! …
il y a des jardiniers à la Maison Blanche !"
- Moi : "…………………."
- Lui , n'en pouvant plus : "Ah , ah , ah ! … elle est bonne ! … Desmond , ah ,
Desmond ! … vous me voyez sur South Lawn avec un chapeau de paille ! …
ah , ah , ah ! "

KRANT 67 . VINC

    J'ai dit quelque part que Vinc était un accordéoniste supportable ; ou honorable ? …
je ne me souviens plus mais , à dire vrai , il valait mieux que ça . Supportable ? . Non ,
nous l'écoutions avec passion ; et ce n'est certes pas la gloire qu'il cherchait en pratiquant
son art . Quand , à l'écart de l'estrade où il allait se produire , il s'échauffait les doigts sur
les boutons de son instrument , je m'asseyais à côté de lui et Hume se roulait en boule sur
le toit de la timonerie hors d'atteinte de ces prédateurs que sont les enfants excités . Vinc
faisait ses gammes ou improvisait puis interrompait ces voies nouvelles et laissait le son
filer sur ses élongations , reprenait un autre thème , rejoignait parfois un air connu et
l'abandonnait pour une divagation déroutante . Nous préférions , Hume et moi , ces mo-
ments à ceux , officiels , du concert . Vinc , l'oeil à demi-clos , la bouche entrouverte ,
à moitié chantonnant et comme pâmé , était , dans ses préludes , le Vinc le plus vrai .
Nous ne parlions pas et savait-il même que j'étais là ? et où était-il lui ? à Onslow Bay
dont je devinais derrière le port la courbe molle ? à Madjene où les montagnes tombent
à pic dans l'océan ? au bord des dunes du désert de Nubie ? . Vinc , en vérité , nous
menait aux portes d'un continent où lui seul s'enfonçait et les paysages si divers de nos
périples , de quelque manière , s'accordaient à ses aléatoires mélodies .

COTE 137 . 65 . UNE MUSIQUE POUR TOI

    Martial est assis au fond de la tranchée . Il semble se recueillir .

- Moi : "A quoi penses-tu ?"
- Martial : "Rien … j'écoute …"
- Moi : "… ? … hein !? ..."
- Martial : "Tais-toi donc ! … ne vois-tu pas que j'écoute !? …"
- Moi à Catteau , un rigolo qui mourra trois jours plus tard dans la énième tentative
contre la cote 137 : "Catteau !" . Ce joyeux drille qu'une minenwerfer de 77 posée
quelque part près de son canon dispersera après-demain vient de conter la dernière
blague au reste de la compagnie .
- Catteau à moi : "Ouais ? … elle est bonne , non ?"
- Moi : "Catteau , tais-toi … Martial écoute"
- Catteau : "Et qu'est-ce qu'il écoute notre bonhomme ?"
- Moi : "Qu'est-ce que j'en sais !"
- Moi , à Martial : "Qu'est-ce que tu écoutes , tête de mule ?"
- Martial immobile et les yeux révulsés sous sa capote (il pleut doucement) : "………."
- Moi : "Martial !"
- Martial , furibard : "Mais taisez-vous !! … j'écoute"
- Catteau , rigolard : "Oh , Martial ! … dis-nous !"
- Martial : "Catteau … cher Catteau … écoute ! … cette musique … c'est sublime et
triste !"
- Catteau , moi , la compagnie tendons l'oreille : "…………………"
- Martial . Il a refermé les yeux : "Écoute , Catteau … c'est une musique pour toi …"
- Catteau et nous : "…………….."
- Martial : "Minenwerfer de 77 … du côté de Montrepont ..."

TROIS MOUCHES 67 . FERRY

    Dans la cabine , Berthe me dit qu'on aurait pu attendre le ferry suivant . L'hôtel
où nous avions réservé une suite ne serait pas ouvert avant le soir et , tant qu'à faire ,
autant profiter de l'anticyclone . Ça n'allait pas durer : un temps maussade était an-
noncé pour demain . Pour l'heure , trois mouches vermeilles et merveilleuses bour-
donnaient contre nos chapeaux de paille .

    Tout à l'heure , Berthe m'a dit : "Trois anticyclones en suivant , ça ne va pas
durer ! … autant profiter de ce merveilleux temps ouvert sur nos chapeaux de paille".
On annonçait pour demain une suite maussade et le ferry où nous avions réservé une
cabine bourdonnait dans le soir .

    "Anticyclone d'un soir , demain maussade" , annonça Berthe . A l'hôtel , trois mou-
ches attendaient le ferry où nous avions réservé une merveilleuse cabine . Contre nos
chapeaux de paille , elles profitaient d'un temps vermeil . Elles bourdonnaient et l'heure
durait , mais qu'y faire ? .

L'ABBÉ TONIÈRES 8 . LA CHAUX DE FONDS

    Refoulé à Genève (cf épisode 7) , l'abbé tente sa chance au poste frontière de
La Chaux de Fonds dans le canton de Neuchâtel .

- Le douanier suisse : "Nom … profession ?"
- L'abbé : "Tonières … abbé … appelle-moi Bob"
- Le douanier suisse : "…?… je ne me permettrais pas , mon Père ! … que transportez-
vous dans cette mallette ?"
- L'abbé : "Mon bréviaire … les Saintes Huiles … des préservatifs et un sacré paquet de
pognon !"
- Le douanier suisse : "Mon Père … le montant est-il supérieur à 10.000 francs suisses ?"
- L'abbé : "Tu rigoles !? … tu m'as bien regardé !?"
- Le douanier suisse : "Vous comprenez , mon Père , l'une des missions de l'Administra-
tion Fédérale est de lutter contre le blanchiment d'argent"
- Marie-Madeleine : "Monsieur … c'est l'argent de la quête …"
- Le douanier suisse : "Plus de 10.000 CHF ! … c'est la quête des trois dernières années ?"
- Marie-Madeleine : "Non … celle du Dimanche des Rameaux (elle se signe) … à Versail-
les , les paroissiens sont généreux"
- L'abbé : "La ferme , Marie-Madeleine ! (il soupire) … généreux ! … des exploiteurs ,
de l'argent piqué aux pauvres …" . Au douanier : "Bon , tu me laisses passer ou je remballe
ce trésor ?" (il tapote le ventre tendu de la mallette)
- Le douanier suisse . Il décroche son téléphone : "Je consulte mon chef , mon Père"
- L'abbé : "Dis-lui à ton chef que je finance un état terroriste"
- Le douanier suisse ; "…………?…………."
- L'abbé : "Je te dis lequel ?"
- Le douanier suisse : "…………?…………."
- L'abbé : "Le Vatican …"