vendredi 30 juin 2017

KRANT 95 . ET DIEU DANS TOUT ÇA ?

    Nous naviguions sur une mer bouleversée au large de l'Écosse . Des paquets de mer
transperçaient les lueurs blêmes calées sur le gaillard-d'avant avant de s'abattre sur le
pare-brise de la timonerie . Des rafales de vent hurlaient et quand on croyait qu'elles
avaient craché toute leur puissance contre le ciel déchiré , elles poussaient encore leur
clameur exaspérée dans nos pauvres oreilles .

    Krant , le quartier-maître et moi nous tenions autour du timonier accroché à sa barre .

- Le timonier : "Par le Saint Fiel ! … nous avons fâché Dieu le Père !"
- Krant : "Où donc voyez-vous Dieu le Père , timonier ?"
- Le timonier : "… Mais … capitaine … derrière cette lame de six mètres … droit devant …"
et une lame de six mètres percuta notre étrave et envoya sur nos superstructures une volée
de clous …

- Krant : "Les hommes pensent que la mer est la mer … mais vous - timonier - êtes sur la
voie de l'illumination …"

    Une vague énorme traversa le pont .

- Krant : "… et vous pensez que - peut-être - la mer n'est pas la mer … ou qu'elle cache
une force … Dieu le Père par exemple …"

    Un panneau de cale , arraché par la tempête , passa en chuintant comme un jet de vapeur
au-dessus de la timonerie et - d'instinct - nous rentrâmes la tête dans les épaules .

- Krant : "… mais un jour , vous serez illuminé … vous saurez que la mer EST la mer et
qu'elle n'est que cela … totalement … ni plus ni moins …"

    Une vergue , libérée de ses câbles , pivotait follement autour de son axe .

- Krant . Il allumait sa pipe : "… Autre chose … Dieu ne hurle pas , timonier …
Il murmure …"

    Krant me fit un clin d'oeil .

KRASNOÏARSK

    Kolia occupait une chambre meublée au bout d'une perpendiculaire au périphérique-
est . Il mit d'abord sur le compte du knik la rumeur inaccoutumée qui s'immisçait par le
vasistas des toilettes . Kolia savait d'expérience que ses longues rafales portent le bour-
donnement des camions de minerai quand ceux-ci , retardés par la panne des barrières
ou la météo , se pointent à l'heure où la ville dort sur l'échangeur de Jeleznogorsk .

    Or , cette nuit-là , il n'y avait ni vent ni convoi : Kolia vit par son unique lucarne que
les archives empilées par les employés du rez-de-chaussée formaient sur le trottoir un tas
aussi immobile qu'un magma pétrifié et - tordant le cou vers le périphérique - que le peu
de vie éveillée s'était rassemblé sous un lampadaire au sodium , dans le corps de trois
péripatéticiennes .

    Ce vrombissement , ce ne pouvait être le métro dont les bouches ferment à 22 heures ,
et ce ne pouvait être l'aéroport d'Iemelianova , situé à 37 kms au nord-ouest de la ville .

    Les vitres se mirent à cliqueter faiblement , à la façon des cancrelats , comme si ceux
qui infestaient l'immeuble depuis des décennies et avaient résisté à toutes les campagnes
de désinsectisation s'étaient mis en tête de le fuir à la minute et , de fait , ils le fuyaient ,
mais sans bruit , et si Kolia était resté à sa lucarne , il aurait peut-être deviné leur long
cortège sur la façade .

    Puis , tout ce qui pouvait tintinnabuler tintinnabula : les bouteilles de vodka à-moitié
vides dans les réfrigérateurs , les statuettes de Sainte-Olga sur les buffets et , aux murs ,
le métal repoussé des icônes .

    Kolia s'assit au bord de son lit et il pressa le bouton-poussoir de la poire . Chacun ,
dans la ville , était assis au bord de son lit et chacun observait au plafond l'ampoule qu'il
venait d'allumer et tournait autour de son fil dans le sens contraire des aiguilles d'une
montre .

    En amont , le barrage de Kasnoïarsk venait de céder .

lundi 26 juin 2017

EMMANUELLE ZEXTAPIL , REINE DU SEXE

    Le samedi 2 août 2008 , papa et maman s'aperçurent qu'il manquait quelque chose
sur le territoire belge . Entre deux draps de lit , ils sélectionnèrent leurs gamètes les
plus charmantes et me conçurent vers 10 heures , au moment où - légèrement voilé
(très légèrement) - le soleil entrait par la fenêtre ouverte de leur chambre . Neuf mois
et quelques jours plus tard , ils remirent au bourgmestre les dix lettres de mon prénom :
E.M.M.A.N.U.E.L.L.E , en souvenir d'un film à l'eau de rose des années 70 , au XXe
siècle .

    Zextapil est un pseudo . Mon vrai nom , c'est Pluquet . Emmanuelle Pluquet ; dans
ma branche , ça l'fait pas ! . Car j'étais (comme ces enfants prodiges qui , à 6 ans ,
tirent d'un archet et de quatre cordes des joyaux d'harmonie et , de leur auditoire ,
des pleurs de joie) douée pour le sexe . J'étais , du lobe de l'oreille au petit orteil ,
une zone érogène ; le contact d'un cm2 de ma peau condamnait au priapisme le plus
rigoureux des ascètes …

    Le climat familial était porteur , hédoniste en diable et , pour tout dire , carrément
dévergondé . A la maison , tout ce qui touchait au sexe était permis et toute innovation
encouragée . Aussi , vers 10 ans , au vu de mes performances et sur l'insistance de mes
institutrices , papa et maman m'inscrivirent en classe sexe-étude où j'explosai les cadres
traditionnels .

    Je décrivis par la suite une trajectoire idéale ; celle d'une athlète de haut niveau
comblée : championne de Wallonie , vice-championne d'Europe (la tenante du titre ,
une bulgare , fut convaincue plus tard de dopage au shake wool) et je glanai une
médaille de bronze par équipes aux jeux olympiques de Ittoqqortoorrmilit (Groënland)
en 2024 .

    Aujourd'hui , à 40 ans , je suis au top du rendement-expérience . Je joue dans la
catégorie des vétéranes mais je peux en remontrer à la plus sexy des minimes ...

samedi 24 juin 2017

TROIS MOUCHES 90 . SANG D'ENCRE

    Trois mouches vermeilles et merveilleuses - mais se pouvait-il qu'on entendît des
mouches par une nuit d'encre ? - bourdonnaient contre nos chapeaux de paille . "Se
peut-il" demanda Berthe "que des mouches bourdonnent en pleine nuit ?" . Je lui
répondis que cela se pouvait puisqu'en effet elles bourdonnaient . Ça lui glaça le sang .

    Berthe se faisait un sang d'encre car la nuit bourdonnait . Elle me demanda pourquoi
une nuit si pleine bourdonnait . Je lui répondis que ce qu'on entendait c'était les mouches
dans la paille glacée de nos chapeaux .

    Par les nuits glacées , le sang des mouches bourdonne . "Cette merveille se peut-elle ?"
demande Berthe … "Des mouches peuvent-elles bourdonner comme l'encre d'une nuit ?" .
"Cela se peut" réponds-je "comme la paille de mon chapeau à plein bourdonne" ...

COTE 137 . 86 . LE CORBEAU

- "Il était une fois …" La voix de Martial s'impose sur le fond lointain d'un combat
d'artillerie . La moitié de la compagnie se tasse dans le boyau et fait cercle autour de lui .
- Martial : "Il était une fois sept poilus dans une tranchée ; on n'avait plus de quoi les
nourrir …"

    Nous n'étions plus ravitaillés depuis trois jours .

- Martial : "Les fridolins avaient réglé la hausse de leurs canons sur la boulangerie de cam-
pagne que nos géniaux stratèges avaient installée derrière les lignes près de la gare , cible
préférée de nos amis d'en-face . Ils avaient pulvérisé les fours roulants , les chariots-four-
nils , les pétrins , la farine , le sel , le fleurage , les panetons , les chevaux de trait et toute
la brigade des boulangers . Un carnage … Depuis les tranchées , on voyait dans le ciel
des milliers de pains , les tripes des chevaux et des morceaux de mitrons …"
- Le capitaine : "Attention , Martial , pas de défaitisme !"
- Martial , écartant les bras : "Ils restèrent des jours et des jours sans pain … Ils avaient
grand faim"

    Un obus égaré éclata à cent mètres .

- Martial : "Le capitaine décida d'envoyer les sept poilus en reconnaissance pour dégoter
de quoi bouffer . Là-bas , sur la cote 137 , derrière les barbelés et les chevaux de frise , il
y avait de la bonne choucroute , des saucisses de Francfort , des bretzels délicieuses , des
bières brunes de Bavière et du vin de Bade-Wurtemberg en barriques . N'allons-nous pas
nous paumer , mon capitaine ? , dit le plus petit des poilus … c'est qu'on y perd son latin
dans ce chambard de boyaux , surtout la nuit ! … Or le capitaine avait gardé dans sa case-
mate un quignon de pain . Il le donna au petit poilu . Tu sèmeras derrière toi des miettes de
ce croûton , ainsi tu retrouveras ton chemin . Les sept poilus applaudirent car ils pouvaient
compter sur leur capitaine pour les idées neuves"
- Le capitaine : "Merci , Martial"
- Martial : "Ils se mirent en route en pleine nuit pliés en deux pour échapper aux frelons des
mitrailleuses Maxim à tir automatique dont la piqûre est mortelle . Au moment où ils atta-
quaient les barbelés avec leurs pinces , un corbeau impérial vint à planer devant la lune"
- Le capitaine : "Un corbeau ? …"
- Martial : "Oui , mon capitaine … un corbeau"
- Le capitaine "Non , Martial … c'est un aigle"
- Martial : "Je vous assure , mon capitaine … c'était un corbeau …"
- Le capitaine : "……………"
- Martial , se tournant derechef vers l'auditoire de ses camarades : "Ce salaud se mit à
picorer les miettes du petit poilu"
- La compagnie , à l'unisson : "Meeeeerde !!"
- Le capitaine : "Bon ... Martial … j'espère que vous avez une chute heureuse !"