- Martial : "Un lit !!"
- Moi : "Un lit !!"
Le capitaine nous a envoyé , Martial et moi , en patrouille au village de Montrepont .
Un village , c'est une façon de parler : il y a eu un village de Montrepont , mais c'était
avant . Avant la guerre . Aujourd'hui , l'endroit où nous patrouillons est une tranche de
l'atmosphère où il y a eu un village avec une église , une mairie , un café , peut-être une
fontaine ou un calvaire , des fermes , des pâtures , des vergers , un champ de foire , des
paysans , un curé et ce village avait un nom : Montrepont . Le capitaine : voir si , à Mon-
trepont , il y aurait pas des boches avec des mauvaises intentions . Non , mon capitaine ,
là où était Montrepont , il n'y a plus rien , sauf … sauf un lit !!
- Martial , s'exclamant à la manière chuchotée des patrouilleurs : "Un lit !!"
- Moi , en habituel rabat-joie : "Il y manque un pied"
Nous nous approchons , courbés en deux , et nous agenouillons près de cet objet
estropié mais miraculeux .
- Martial : "Avec un matelas … crin-laine"
- Moi : "Il est crevé … la bourre lui sort par la panse !"
- Martial rembourre le matelas : "Écoute , vieux , c'est un lit … éventré , à trois pattes ,
mais c'est un lit !"
- Moi . Il pleut faiblement . Je tâte la toile : "Et tout humide !"
A part le grondement d'une canonnade lointaine , c'est le silence .
- Martial : "Quelle aubaine !"
- Moi : "……..?………"
- Martial : "Tu te rends compte ?"
- Moi : "Quoi , Martial ? … quelle aubaine ?"
- Martial : "Vieux … un somme … on va faire un somme"
- Moi : "Tu es fou , Martial ! … entre les lignes ? … ça fourmille de boches !"
- Martial : "Il n'y a personne … tu vois bien" . Il se jette sur le lit qui bascule sur son pied
manquant et s'installe en chien de fusil : "Allez , viens ! … il y a de la place pour deux !"
- Moi : "Martial ! … tu es complètement fou !" . Je tourne la tête vers tout ce qui pourrait
dissimuler un fridolin : "Descends de là , nom de Dieu !"
- Martial : "Viens , je te dis ! … qu'est-ce qu'on est bien !" . Il me tire par la capote :
"Viens faire dodo !"
- Moi : "Pas question ! … tirons-nous d'ici !"
- Martial : "Laisse-moi" . Et ce crétin ferme les yeux et ce crétin se met à ronfler .
J'attends … cinq minutes … dix minutes … le Lebel pointé vers la brume qui s'est levée
sur la cote 137 . Cet enfoiré de Martial dort à poings fermés . Soudain : "Ach ! …" et des
cliquetis . J'agrippe Martial : "Foutons le camp !"
- Martial grogne et se frotte les yeux : "Où je suis ? … qu'est-ce qui se passe ? … qu'est-ce
que tu veux ?"
- Moi : "Foutons le camp !"
Sur le chemin du retour , je l'engueule : "Ils étaient à vingt mètres !"
Dans la tranchée . Le capitaine nous attend :
- "Alors , Montrepont ?"
- Martial : "Mon capitaine … il y a longtemps que je n'ai pas si bien dormi !"
- Le capitaine : "……….?…….."
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