samedi 29 septembre 2018

DESMOND 86 . ARLINGTON 2

    Je suis assis face au Président . Il a l'air soucieux . Les coudes posés sur le bureau ,
il tripote ses lunettes de vue .
- "Desmond … hier je voulais vous parler de Pat … elle est allée au marché aux puces
d'Arlington … Stafford Street … ça devait être vendredi et …"
- Moi . Je corrige : "Samedi , Monsieur le président"
- Lui lève un oeil sceptique sur ma petite personne : "Samedi ? … comment le savez-
vous ?"
- Moi . Je balbutie : "Euh … Monsieur le Président … le marché aux puces d'Arlington ,
c'est le premier samedi de chaque mois"
- Lui , incrédule : "Vous êtes sûr ?"
- Moi : "Euh … oui , Monsieur le Président"
- Lui , reprenant le tripotage de ses branches de lunettes et balayant ma confirmation d'un
mouvement dédaigneux des épaules : "Peu importe , vendredi ou samedi ..."
- Sonnerie sur la ligne 3 .
- Le Président : "Damn it !" … Il décroche : "Maryline ! … yes … passez-le moi …
Leonid ? (mine enjouée) … happy birthday to you ! … comment !? … (désenchante-
ment) … pas aujourd'hui !? … nous ne sommes pas le 6 décembre ? … non … non …
le 19 … (confusion) … le calendrier grégorien … depuis quand , Leonid ? … 1918 ! …
ah … (dépité) … oui … mes services , Leonid … on ne peut compter sur personne ,
vous savez bien ! … vous en avez de la chance … le KGB … Leonid , vous exagérez !
… non … n'en profitez pas … (fâché) Leonid ! … oui … oui … à plus tard !" . (repose
brutale et atterrée du combiné) . "Le salaud ! … bastard !"
- Lui , à moi , plus exactement à la communauté des services incompétents avec coup du
plat de la main sur le cuir du bureau avec tressautement de la lampe , du plumier , de la
paire de lunettes , du cendrier et des bandes magnétiques : "Shit !!"
- Ensuite , grand calme et reprise du contrôle de soi : "Qu'est-ce que je disais ?" …
(éruption secondaire de la chambre magmatique sous pression : "Bastard !") … reprise
de contrôle : "De quoi parlait-on avant ?" (légère explosion finale , sans interjection ,
sans production de fumerolles , simple corroboration d'un fait largement établi :
"Bastard !") … "Je vous parlais de Pat … Pat … pourquoi ? … je ne sais plus …
ça me reviendra …"

                                                                                                         (à suivre …)

vendredi 28 septembre 2018

DESMOND 85 . ARLINGTON 1

- Le Président . Il m'interpelle dans le couloir des toilettes , au sous-sol : "Ah , Desmond ! …
hi ! … Pat est allée hier à Arlington … au marché aux puces … Stafford Street … vous
connaissez ?"
- Moi : "Oui , Monsieur le Président … le premier samedi du mois … j'y vais quelquefois
avec …"
- Lui . Une avidité souriante et féroce ensoleille son visage : "Avec ?"
- Moi : "Euh … j'y vais quelquefois , en effet"
- Lui . Il m'attrape par la cravate : "Ce petit cachotier de Desmond n'avouera jamais !" .
Il me lâche et , brusquement impérieux : "Desmond , je vous somme de me révéler le nom
de l'élue ! …" . Puis , dans l'instant , aussi vite qu'il a disparu , son terrible sourire élastique
réapparaît comme un plissement de terrain brutal au point chaud de deux plaques tectoni-
ques : "Je blague , Desmond ! … baisez avec qui vous voulez , ça ne me regarde pas !" .
Le Président met ses mains sur ses reins et les épaules de sa veste lui font un profil de
bossu . Il dodeline de la tête en regardant ses chaussures : "Où en étais-je ?" …
 
    L'echo sonore d'un pas haut-talonné (érotique donc) lui fait relever la tête . Derrière moi ,
au bout du couloir , dans le nimbe des néons , ce qui lui apparaît - c'est une apparition quoti-
dienne et de ce fait dévaluée de l'effet de surprise et d'une partie de sa sacralité - est le
corps de Maryline pelliculé dans une robe aussi rouge qu'époustouflante , ondulation écar-
late sur fond de carrelage blanc , apparition journalière mais néanmoins apparition .
- Le Président , à moi (dans une double , triple attention , dans l'ordre décroissant : Maryline
- son corps , ses hanches - et moi ex-aequo avec Pat , et ses yeux allant de l'onde frisson-
nante qui s'approche à moi , distraitement , à moi dans mon costume insipide de fonction-
naire) : "Oui … Pat … elle est allée au marché aux puces d'Arlington …"
- Le Président , à moi . Maryline est maintenant à nos côtés : "Pat est allée à Arlington …
au marché aux puces … c'était hier ? … vous me dites que c'est le samedi … donc ça n'était
pas hier ! … quel jour sommes-nous ? … damn it ! … lundi !? … il faut que j'appelle Leonid
… c'est son anniversaire"
- Le Président , à Maryline qui se trémousse comme si le feu avait pris à ses talons :
"Maryline , où courez-vous comme ça ? … et que signifie ce frétillement ?"
- Maryline : "Je dois faire pipi , Monsieur le Président … c'est urgent"
- Le Président : "C'est bien l'anniversaire de Leonid aujourd'hui ? … 6 décembre …"
- Maryline serre les cuisses et agite les mains : "6 décembre 1906 … dans le calendrier julien
… 19 décembre dans le grégorien … Monsieur le Président , je n'en peux plus !"
- Le Président : "Je ne comprends rien à cette histoire de calendrier … vous y pigez quelque
chose , Desmond ?"
- Moi , didactique : "Monsieur le Président , le grégorien corrige la dérive séculaire du calen-
drier julien et …"
- Le Président : "La quoi ?" . A Maryline qui se rue dans les toilettes dames : "Maryline ,
quand vous aurez fait pipi , vérifiez les dates s'il vous plaît …" . Soucieux et contrarié :
"Desmond , j'avais quelque chose à vous dire … j'ai oublié … il s'agissait de Pat , je crois …"
                                                                                                             
                                                                                                            (à suivre …)

jeudi 27 septembre 2018

TROIS MOUCHES 135 . L'ÉTAT DES LIEUX

    Berthe se tourne , jette un coup d'oeil à la pièce , puis tend le bras devant moi et éteint
la lumière , nous plongeant dans une obscurité totale , plus proches l'un de l'autre que nous
ne l'avons été depuis des lustres . Trois mouches vermeilles et merveilleuses se mettent à
bourdonner contre nos chapeaux de paille .

    Trois lustres jettent contre nos chapeaux de paille des mouches bourdonnantes dans une
lumière totalement obscure . Je les éteins d'un coup quand Berthe , devant moi , tend ses
bras merveilleux en plongeant dans la pièce . C'est l'été et nous sommes si proches l'un de
l'autre qu'elle se met à tourner de l'oeil .

    Trois mouches plongent depuis les lustres et , d'un coup d'oeil , jettent contre nos cha-
peaux de paille leurs bourdonnements dans une merveilleuse lumière totale . L'autre pièce
est dans l'obscurité . Berthe l'a éteinte car , tournée vers moi et si proche , elle s'est mise à
tendre devant elle ses bras vermeils .

mercredi 26 septembre 2018

KRANT 142 . ABSTRACTIONS

    La mer , rien que la mer . Nulle terre émergée . La mer comme l'Un , immense
emballage de la rotondité et la carte aplatie sur la table du capitaine . Beau temps calme .
Nous filons des noeuds immobiles . Où sommes-nous ?

- Krant , l'index pointé sur un quartier bleu du papier : "Quelque part par là … là …
22°26' de latitude nord . Tropique du Cancer "
 
    Hume bondit sur la table à cartes et pose son cul sur le désert de Namibie . Le bout
grège de sa queue frétille sur le pays tamoul . Hume suit des yeux le doigt du capitaine
dans ses circonvolutions .

- Krant : "Nous naviguons sur des concepts"
- Nous trois officiers : "…….?………"
- Krant penché sur la planisphère : "Où est la mer ?"
- Nous trois officiers nous penchons aussi . Toms : "….?….. Mais , là et ici , capitaine !"
et il pose une main aux doigts écartés sur les surfaces azurées . Nos quatre têtes se touchent
- Krant se redresse , bourre sa pipe puis , tendant le bras vers la porte ouverte : "Ne serait-
elle pas là ?"
 
    Nous trois officiers tournons la tête vers l'océan . Est-ce à notre bord un Atlantique et
sous la quille un océan ?

- Krant : "La sagacité d'un chat , voyez-vous ?"
- Nous trois officiers : "…….?………."
- Krant : "Hume est assis sur un bout de papier bleu …"
 
    Nous quatre regardons Hume et il nous regarde et baille comme un chat du haut de
l'échelle de la clairvoyance , comme si nous étions quatre idiots fourvoyés .

- Krant : "Hume n'est pas assis sur la mer … ni d'ailleurs sur la Namibie … pas plus sur le
pays tamoul …"
- Nous trois officiers : "………………."
- Krant : "Une carte marine n'est pas la mer"
- Le timonier , haussant les épaules : "Ce chat est un crétin !"
- Krant : "Ce chat est un chat … et vous , un timonier"

mardi 25 septembre 2018

L'ÉTÉ IX

Palindrome :
Été par-ci ,
Été par-là .

A l'endroit ,
A l'envers ,
Toujours l'été .

Me suis posé contre lui ,
Accablant de chaleur .

Le ciel , strié …

Et mes fleurs écrasées
Au bas de mon échelle .

lundi 24 septembre 2018

LE MÉLAMPYRE DES CHAMPS

- La fille de Herz (56860 Séné) : "La voiture est là" . Je suis le sens indiqué par sa main
manucurée et son index au faux ongle violet . "De l'autre côté de la rue … Opel … Zafira …
blanche" . Elle me donne les clés . "La pochette est dans la boîte à gants" .
- Moi : "Merci Mademoiselle"
- La fille : "Bonnes vacances"
- Moi : "Nous ne sommes pas en vacances … pas vraiment"
- La fille : "………."
- Moi : "A propos … savez-vous où on peut trouver le mélampyre ?"
- La fille : "Le quoi ?"
- Moi : "Le mélampyre" . A Madame Delplanque qui consulte un prospectus qu'elle a tiré
d'un présentoir : "Le mélampyre … comment l'appelle-t-on en langage de tous les jours ?"
- Madame Delplanque , sans se distraire de sa lecture : "Le blé de vache … ou la rougeotte"
- La fille : "Je ne vois pas"
- Moi , à Madame Delplanque : "Vous n'avez pas votre bouquin ? … avec les photos"
- Madame Delplanque , toute à son prospectus : "Dans mon sac , poche droite"
- Moi . Le sac de Madame Delplanque est posé sue une chaise genre salle d'attente , en
plastique rouge . J'ouvre la fermeture-éclair de la poche de côté d'où j'extrais , fortement
serré , un livre écorné . Je consulte l'index en revenant vers la fille : L-L-L … Ma-Me …
Mélampyre … Page 124 . A la fille , livre ouvert sur le comptoir à la page idoine :
"Voilà … c'est lui … le mélampyre … ses fleurs sont roses , pourpres ou jaunes …
celles-ci sont jaunes"
- La fille , attrapant ses lunettes , se penche sur la photo : "Ça me dit quelque chose …"
- Madame Delplanque lève enfin le nez de son prospectus .
- La fille : "Il y en a … il me semble qu'il y en a dans le champ en face de chez moi …
ça ressemble à ça"
- Madame Delplanque : "Vous habitez où ?"
- La fille : "Euh … mais vous savez , il y en a partout de ce truc-là"
- Madame Delplanque , irritée (je la connais par-coeur) : "Ce truc ? "
- Moi . J'interviens : "Oui , Madame Delplanque est un peu botaniste … enfin … botaniste
amateur … mais éclairé"
- La fille : "Ce truc … euh … cette fleur pousse sur le bord des champs , ou des routes …
c'est une espèce annuelle de 10 à 30 cm de haut … ses feuilles sont lancéolées … Monsieur
a raison : fleurs jaunes , rouges ou pourpres … elle fleurit de juin à septembre … ses
graines , on dirait des grains de blé … les fourmis adorent le miellat qu'elle secrète … ses
racines s'accrochent aux radicelles de ses voisines et en sucent la substance nutritive …
oui , je vois ce que c'est …"
- Madame Delplanque et moi : "????!!!!"

dimanche 23 septembre 2018

FIN DU MONDE

La comète Iras-Alki-Alcock
(2014DD45)
Est aujourd'hui visible
Dans le ciel de La Loge-Pomblin
(10210 . Aube) .

Elle entrera en collision avec la terre
Mardi ,
A 13h44 (temps universel) .

C'est pourquoi , aujourd'hui ,
Dimanche ,
J'ai emmené Vénus , ma dernière conquête ,
A la fête foraine
Et nous tournons , tournons à en perdre la tête
Sur un cerf de style Bayol .

samedi 22 septembre 2018

SCOT

J'ai dit à Mike :
"Prends-le … on dirait un fusillé !"

Le dos plaqué sur le mur d'une ferme abandonnée ,
Scot , livide et pas rasé .
Sa veste chiffonnée ,
Son pantalon en tire-bouchon ,
Les pans de sa chemise flottaient ,
Son col ouvert ,
Son air  hagard .

Et Marthe , sa femme ,
Toute vêtue de noir ,
Tendait vers lui ses bras de pleureuse .

Il faut dire
Que Mike avait adapté à son boîtier Canon 50D
L'impressionnant objectif de la même marque :
EF 400 mm F/5 , 6L USM .

Celui qu'il utilise pour traquer sur le lac
(Huron . Etat du Michigan)
A l'embouchure de la Rivière au Sable
Les goélands à bec cerclé .

vendredi 21 septembre 2018

TROIS MOUCHES 134 . C'EST ELLE QUI SOULIGNE

    J'avais beau me tenir sur mes gardes , il m'arrivait rarement d'avoir le dernier mot .
Mon côté primaire , charmant et démodé , amusait Berthe et éveillait en elle l'envie
espiègle de ferrailler avec moi , même si trois mouches vermeilles et merveilleuses
bourdonnaient contre nos chapeaux de paille . Mon style , terre à terre et un peu
simpliste , lui paraissait ridicule .

    Les trois gardes ferraillaient rarement . Ils s'éveillaient avec l'envie espiègle et un
peu simpliste d'avoir un style terre à terre et primaire et ils avaient beau se tenir contre
Berthe , leurs mots démodés n'amusaient que les mouches . Elles bourdonnaient sur
la paille de leurs charmants chapeaux . Même s'ils nous paraissaient merveilleux ,
il nous arriva de les ridiculiser .

    Berthe s'amusait à bourdonner et à paraître ridicule en gardant sur elle ce beau
chapeau vermeil de style démodé , aux pailles charmantes . Je tenais son côté espiègle
pour l'envie primaire , dès l'éveil , de ferrailler avec moi et d'avoir le dernier mot .
Même moi , un peu simpliste et merveilleusement terre à terre , j'arrivais rarement à
la moucher .

jeudi 20 septembre 2018

KRANT 141 . BOUGIE ET AUTRES

    Nous présentâmes le Kritik devant Bougie où nous allions relâcher quelques jours
à cause d'une avarie . Toms était sur la passerelle . Il relayait les ordres du capitaine .

- Moi : "Toms , connais-tu cet endroit ?"
- Toms : "Sûr que je le connais !"
- Moi . Je m'étonnais … jamais je n'avais entendu ou lu sur le livre de bord que le Kritik
avait abordé ici avant que j'y fus embauché : "Es-tu sûr , Toms ?"
- Toms : "Oui , chef ! …"
- Moi : "C'est curieux … je n'ai lu ça nulle part"
- Toms : "Bougie … Tamatave … Karlshamm … Ketapano … des ports , chef …
des darses … des quais … des capitaineries … des douanes … des grues … des entrepôts
… des soucis , toujours les mêmes …"
- Moi : "……..…….."
- Toms : "Peut-être que je n'ai jamais mis les pieds à Bougie … mais qu'importe … c'est
comme si … c'est partout pareil …"
- Moi : "……..…….."
- Toms : "Faut être bien naïf pour s'émerveiller …"
- Moi : "……..…….."
- Toms : "Il n'est pas besoin d'aller dans quelque endroit pour y être déjà allé …"
- Moi : "……………"
- Toms : "J'ai abordé mille fois le même port …"

mercredi 19 septembre 2018

L'ÉTÉ VIII

L'été
Par soleil interposé ,
Nous envoie ses herbes en général vertes ,
Ses crachats en général jaunes
Et toutes sortes de lettres de l'alphabet
Dans le désordre , bien entendu
Parce qu'on n'est pas l'été pour rien .

Surtout pas
Pour faire de l'ordre !

Points de suspension …

Le soir
(Sur fond rose car le soleil se couche) ,
L'été
Encore un peu , égaye nos massifs .

PARADIS 90 . C9H8O4

    Dieu est assis devant son établi . Il pose ses lunettes de lecture (car Dieu , tout Dieu
soit-il , utilise des lunettes . Il est presbyte comme on l'est statistiquement vers 43 ans ,
alors Dieu , vous pensez ! , Dieu , éternel , à vrai dire jamais né , a dépassé l'âge de
43 ans depuis la nuit des temps) à côté d'un journal déplié entre l'étau et le serre-tubes .
Dans l'étau : un cactus du genre Pereskia (Pereskia Aculeata ou groseiller des Barbades)
en construction (= en phase de création) . Mais , pour le moment , Dieu se soucie des
nouvelles les plus fraîches :

- Dieu . Il bougonne : "Marre de tout ça ! … marre !" et il frappe le journal du dos de la
main .
- Ève , en pleine action dans un hamac . Dieu lui a confectionné cet appareil pour qu'elle
se repose de ne rien faire . Nous sommes avant la Chute , avant le coup de la pomme
quand la femme n'était pas rivée à ses fourneaux , asservie à des tâches ménagères ou
accouchant dans la douleur d'une marmaille délurée : "T'en as marre de quoi ?"
- Dieu : "De l'Homme"
- Ève : "D'Adam ?"
- Dieu : "D'Adam et de ses descendants"
- Ève : "C'est quoi des descendants ?"
- Dieu pose son front dans le creux de ses mains : "Ève , excuse-moi … j'ai mal à la tête
… ce que fait l'Homme ! … c'est inadmissible …"
- Ève : "Tu veux un cachet d'aspirine ?"
- Dieu . Il extrait de ses paumes deux yeux rougis de fatigue : "Un quoi ?"
- Ève : "Un cachet d'aspirine"
- Dieu pivote sur son tabouret (plus exactement , il fait pivoter son tabouret . On se
souvient que le tabouret de Dieu est monté sur une vis sans fin ce qui l'autorise , en un
clin d'oeil , de signifier Sa Présence ou Son Absence) : "Qu'est-ce que c'est ?"
- Ève : "L'aspirine ? … c'est un médicament … on en prend quand on a mal …"
- Dieu : "Tu en prends ?"
- Ève : "Non … j'ai jamais mal … mais Adam quelquefois … quand il a trop travaillé à
la sueur de son front"
- Dieu : "Comment as-tu dit ?"
- Ève : "As-pi-ri-ne"
- Dieu : "Qui a inventé ça ?"
- Ève : "L'Homme"

lundi 17 septembre 2018

LES LAMPOURDES DE MAGELLAN

    Elle est folle . Et je suis fou de la suivre . Elle progresse devant moi , ouvrant une
brèche dans ce fouillis végétal à coups de machette . "Han-han !" . Je ne vois d'elle
que ses mollets piqués de moustiques et où sont roulées des chaussettes de montagne ,
et la paire de Pataugas (j'ai les mêmes) que nous avons achetée à Puerta Natales .
Qu'est-ce que nous faisons ici , en Patagonie ? . Elle faisait de la balançoire dans son
jardin de Marcq en Baroeul (59) (je la poussais) quand elle s'avisa du haut d'un battement
extrême de son mouvement pendulaire qu'une de ses plates-bandes exposée mi-ombre
manquait de couvre-sol . Elle m'ordonna de ralentir la cadence et quand elle fut revenue
sur terre entre mes bras , elle me souffla dans l'oreille : "Lampourdes de Magellan …
c'est un couvre-sol à feuillage persistant … il fleurit rouge en été" . Et nous prîmes deux
allers-retours pour Puerto-Natales . Depuis que nous avions laissé le 4x4 au pied de la
pente , nous avions à peine progressé de 50 mètres ! . En plus d'une heure ! . Je compre-
nais maintenant le sourire de la fille de Hertz sous-tendu de déboires : "Ce secteur est
difficile d'accès" . Je m'assis , épuisé , dépité , pendant qu'elle sabrait la muraille
lianescente .
- "Savez-vous ce que coûte ce voyage ?" .
- "Non … han-han ! … . ".
- "L'avion , l'hôtel , la voiture , les Pataugas , l'équipement … les cartes postales ?" .
- Elle se retourna , coupe-coupe brandi : "Nous n'avons pas acheté de cartes postales ! ".
- "Je plaisantais … savez-vous ce que ça coûte , notre expédition ?" .
- "Je ne sais pas , et je m'en fous … han-han ! …" .
- "Des … comment dites-vous ? … ce que nous cherchons … des Lam … des Lam …" .
- "Des Lampourdes de Magellan … han-han ! … Acrena Buchananii … han-han ! …" .
- "On en trouve dans toutes les jardineries … à Jardiland par exemple" .
- "Han-han !" .

CHAMP D'HONNEUR

    A Biaches (Somme) , quand , à 19h45 le 9 juillet 1916 , devant le fortin ,
la balle d'une mitrailleuse Maxim me perfora l'os frontal , j'eus la vision
éphémère de mon nom imprimé dans le ciment d'un monument glorieux
parmi les noms familiers de copains de l'école primaire (Colombé-le-sec .
Aube) , rangés de haut en bas par ordre alphabétique et d'une haie de vieil-
lards chargés de drapeaux , de médailles militaires et d'une nostalgie de l'enfer ,
dans un silence en rotation lente et qui serrait le coeur ; j'allais toucher le sol ,
le sol de France , qui cependant se dérobait lorsqu'un jeune homme emboucha
sa trompette : je tournoyai et sombrai dans le pavillon d'une sonnerie aux morts .

samedi 15 septembre 2018

CHICK

Chick a horreur qu'on le photographie …

Même Mike , son meilleur ami
(Enfants , ils pêchaient le crapet-soleil
A l'embouchure de la Rivière au Sable
Lac Huron . Etat du Michigan)
N'a jamais pu le prendre en photos .

Sauf une fois , en 1966 ,
(Kodak Instamatic 50)
Quand Chick enregistrait au piano
"Tones for Joan's bones" .

vendredi 14 septembre 2018

MIKE 2

Quand il a le cafard
Et que le temps est clément sur le lac
(Huron . Etat du Michigan) ,
Mike sort son vieux Kodak ,
Un Brownie Reflex .

Il me fait asseoir sur un banc ,
Toujours le même ,
A l'embouchure de la Rivière au Sable .

Puis il recule de deux ou trois mètres
Et me demande de ne pas bouger ,
Surtout ne pas bouger ! ,
Et de sourire .

Je souris ,
Presque immobile ...

jeudi 13 septembre 2018

TROIS MOUCHES 133 . OSSIP E. MANDELSTAM

   "L'été , à Terioki , il y avait des fêtes enfantines . Dieu que tout cela était absurde ,
quand on y pense ! . De petits collégiens et des cadets dans leurs vestes ajustées , saluant
cérémonieusement des demoiselles montées en graine , dansaient le pas de quatre et le
pas des patineurs tandis que trois mouches vermeilles et merveilleuses bourdonnaient
contre nos chapeaux de paille" . Ainsi parla Berthe ce soir là .

    C'était l'été . Contre les pailles montées en graine , des mouches vermeilles bourdon-
naient . Ce soir-là , à Terioki , il y avait une fête enfantine où Berthe dansait . Des petits
cadets en vestes de cérémonie parlaient de son chapeau tandis que quatre demoiselles
et trois collégiens-patineurs - quand on y pense , absurdement ajustés à leurs pas - la
saluèrent . Dieu , que tout cela était merveilleux !

    Des mouches en vestes de pailles vermeilles saluent de leur bourdon - Dieu que cela est
merveilleux quand on y pense ! - les collégiens , des demoiselles au pas cérémonieux et
des cadets montés en graine quand ils patinent le soir , ou Berthe qui , sous son petit chapeau absurdement ajusté , danse quand c'est l'été . Je parle là des trois ou quatre fêtes enfantines
à Terioki .