Pour atteindre Samarinda sur le fleuve Manakam , Krant a recours au savoir d'un
indigène dayak . Jaya est son nom . Nous embarquons ce personnage gris et misérable
à la porte du delta . Après un salamalec incompréhensible à l'adresse du capitaine ,
Jaya se poste en tailleur à la pointe du gaillard d'avant et procède à un rituel immuable .
Lorsque le Kritik s'engage dans le contre-courant du fleuve , notre homme tranche la
tête d'un pigeon qu'il tenait dans ses frusques et répand sur notre étrave le sang du
sacrifié . Krant commande au timonier de suivre au demi-degré la gestuelle de ce sorcier .
Soit ce dialogue invariable :
- Le timonier : "Dois-je m'en remettre à ce sauvage ?"
- Krant : "Au demi-degré près , timonier" , désignant du menton les superstructures
de trois cargos coulés dans ces redoutables parages . Le Manakam est l'un des plus
beaux cimetières marins de la marine marchande . A l'abord du cinquième méandre ,
un passage délicat à négocier , Jaya jette par-dessus le bastingage une grosse fleur rouge
à bâbord et , à tribord , un fétu de paille puis , quand nous avons laissé au sud le village
de Sangasanga , il se livre à une danse que , depuis le temps , nous connaissons par-coeur .
- Moi , un jour , n'y tenant plus : "Pensez-vous , capitaine , que ce pigeon , cette fleur ,
ce fétu de paille et cette pantomime guident notre navigation ?"
- Krant : "Vous savez , chef , qu'à chaque effet il y a une cause ?"
- Moi : "Oui , capitaine , je sais cela"
- Krant : "Ce qui se passe sur notre étrave , c'est la grande valse des causes"
- Moi : "……..?………."
- Krant : "Jaya sait que ce sacrifice , cette fleur , ce fétu de paille et cette danse que vous
appelez pantomime nous permettent d'atteindre Samarinda . A condition que la messe
soit dite avec rigueur et précision !"
- Moi : "Vous y croyez , vous , capitaine ?"
- Krant : "N'avons-nous pas accosté tant de fois à Samarinda ? … sans encombre" .
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