Un général vint . Il en venait parfois dans notre tranchée .
On nous fit nettoyer le boyau de fond en comble . Nous le débarassâmes de ce qui
l'encombrait : des ferrailles tordues , des sacs de sable éventrés , des éclats d'obus , des
rats gazés , des restes humains et des cadavres entiers . Mais il pleuvait , et quoique nous
eussions pelleté jusqu'à l'arrivée du général , notre tranchée n'avait rien du Boulevard
Malesherbes . C'était un cloaque et nous ne pûmes dérouler le tapis rouge .
Ce général était un grand homme sec , impeccable sur lui , moustache gominée et le
torse jeté en arrière . Une automobile à chenilles le déposa au bord de la casemate . Nous
étions alignés dans la tranchée . Le général nous passa en revue . Sur chacun il fixait son
beau regard bleu et hochait la tête d'un air grave et entendu : nous étions entre braves ...
Un obus de 105 passa très haut . Le général rentra la tête dans ses épaules luxueusement
galonnées et il ferma les yeux . Nous ne bougeâmes pas d'un poil car nous savions à
l'oreille que cet obus n'était pas pour nous mais peut-être (et probablement) destiné à nos
artilleurs . Le général reprit sa progression dans un bruit de succion . Il tenait ses gants
serrés derrière le dos .
Une marmite passa nettement plus bas en sifflant gravement . Le général s'accroupit au
fond de la tranchée . Il lâcha ses gants et mit les deux mains sur sa tête . Nul ne cilla ni ne
tressaillit car , dans cette octave , la marmite était une erreur de tir et elle s'écraserait 500
mètres derrière nos lignes . Le général se releva , fit demi-tour , ne ramassa pas ses beaux
gants de peau , salua promptement notre capitaine et s'engouffra dans son auto-chenilles .
Nous remarquâmes que le fond de sa culotte était tâché de boue .
Martial sortit de la tranchée et se mit à courir derrière l'automobile qui s'éloignait en
cahotant . Il criait :
"Mon général , mon général ! … nos médailles , nos médailles !? … vous oubliez nos
médailles !"
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