On nous attendait . Des troupes de gendarmes à pied - je regrettais qu'ils ne fussent
montés ou , à défaut , armés de hallebardes à la manière vaticane - arboraient des casa-
ques jaune fluo et agitaient au-dessus de leur tête des bâtons électrifiés . Dès que nous
eûmes posé sur le tableau de bord la carte VIP , sorte de sésame , ils nous ouvrirent une
route déserte ou - au moins - débarrassée des manants à qui étaient réservées en guise de
parking des pâtures cabossées situées au diable vauvert . Nous garâmes notre automobile
Renault type "Modus" (comme modeste) entre une berline rouge de marque italienne et
un cabriolet noir franchement germanique . A peine avions nous posé nos quatre pieds
sur un sensationnel gazon que des hôtesses de haut niveau triées sur un volet anthropo-
métrique nous portèrent avec les précautions qu'on prend avec la porcelaine de Saxe vers
la grille du château de Beloeil et nous mirent entre les ongles manucurés d'autres dames
aussi admirablement emballées . Ces nouvelles créatures nous saisirent les poignets car ,
disaient-elles , le bracelet rose inamovible qu'elles y fixaient devait nous distinguer du
commun puisqu'il était prouvé par la carte VIP que nous étions doués de distinction .
Cette menotte ranima en moi un souvenir obstétrique car j'avais porté en 1947 - c'était
dans une maternité - un bracelet de modèle approchant mais de couleur bleue . Puis ,
ainsi affublés de ce signe d'incontestable noblesse , les dames nous poussèrent dans le
tohu-bohu des gens ordinaires et , bien que nous cheminions sous un régime de monar-
chie constitutionnelle dans le parc d'un Prince ruiné par l'abolition des privilèges et afin
de les soustraire à l'envie , voire à la hargne du bon peuple , nous plongeâmes nos bra-
celets roses et la carte VIP au fond de nos poches . Toute la journée , nous déambulâmes
incognito entre bassins , parterres et bosquets et goutâmes au plaisir de n'être connus de
personne jusqu'à cet incident des chaises …
(à suivre)
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