vendredi 1 août 2014
LISA DEL GIOCONDO
Cette année-là ( en quelle année était-ce ? ) , Francesco Del Giocondo m'invita à
passer le mois d'août dans sa villa des environs de Florence . Francesco était un ami ;
son notaire était mon père et je le rencontrais tous les dimanche à l'église de la Santis-
sima Annunziata où il est aujourd'hui inhumé . En revanche , je ne connaissais pas sa
jeune épouse Lisa . C'était une femme bien faite mais un peu boulotte et - malice de
la nature - elle avait des cheveux horriblement crépus qui la faisaient voir comme une
araignée noire .
Au début de mon séjour , Francesco m'emmenait dans la montagne . Je lui avouai
que ces pérégrinations qui n'avaient d'autre but que remuer les jambes m'assomaient
et que , passés les premiers lacets , j'avais le vertige . Francesco , en véritable ami ,
cessa de me tourmenter avec ses trekkings et il m'installa dans son patio où je passai
des heures à remplir des carnets de vis aériennes , diagrammes scientifiques , études
anatomiques , calculs algorithmiques , plans de cités imaginaires , aménagements hy-
drauliques , machines de guerre et toutes sortes d'absurdités comme ce que j'appelai
"une auto-mobile" qui , bien entendu , ne verra jamais le jour !
A la fin d'une journée caniculaire , Francesco m'apporta un panneau de peuplier de
77cm x 53cm , des tubes de couleur et des pinceaux . Par jeu , il me proposa de pein-
dre sa femme . Je refusai : j'étais nul en peinture et je ne voulais pas ( dis-je en dési-
gnant d'un geste hypocrite les bouclettes de Mona ) pervertir la pure beauté . Mais
Francesco et Lisa ne me lâchèrent pas de la soirée . Je pris à part mon ami et lui ex-
pliquai avec tact que la tignasse ébouriffante de sa femme n'entrait pas dans le cadre .
En quelques traits de plume dans un coin de carnet , je dessinai un fer à braises , ins-
piré de la pince à croques-monsieur , propre à lisser les mèches les plus rebelles .
Si toutefois la belle ébouriffée acceptait ce traitement , je m'engageais à lui tirer le
portrait .
Ainsi fut fait . Le lendemain matin , je menai par la main une Lisa défrisée à l'arrière
de la maison . Elle se tordait de rire en voyant dans les glaces son double à cheveux
raides et des larmes couraient sur ses joues en rigoles de plaisir . Je la fis asseoir dans
une loggia qui donnait sur la campagne toscane où fumait déjà l'été et Francesco la
pria de se calmer . Pendant le temps de la pause , le fou-rire réfréné qui lui secouait
les seins emplit sa bouche jusqu'aux commissures des lèvres .
C'est dans ces circonstances que je peignis Lisa Del Giocondo , en moins d'un
quart d'heure .
Io , Leonardo
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