C'était un de ces soirs annonciateurs de tempête . Des nuages chargés d'eaux
arctiques filaient à ras d'horizon contre un ciel bleu pâle . Toutes choses projetaient
des ombres géantes sur la darse n°5 jusqu'au mur des entrepôts où elles bondissaient
à la verticale . Chaque objet présentait sur sa face ouest un anormal éclat . Krant venait
vers moi , non pas avec intention mais parce que nos chemins allaient inévitablement
se croiser . Nous étions distants encore d'une quinzaine de mètres quand : "Chef …
ne vous ai-je pas dit l'autre jour que Dieu n'existe pas ?"
- Moi : "Oui , capitaine , vous l'avez dit ! … nous étions au bout du môle …"
- Krant . Il s'était arrêté de marcher pour agencer ses pensées avant que je sois près de
lui . Les boutons de son plastron étincelaient comme l'or et ses sourcils étaient un
buisson ardent . Rallumant sa pipe éteinte : "J'ai eu tort …"
- Moi . J'ai 61 ans . À cet âge , on ne plaisante pas avec l'inexistence de Dieu , vu que
s'il existe un Dieu de compassion , prêt à concéder à un marin rongé par le sel un
potager pour solde d'éternité , ce marin est preneur . Aussi dis-je : "Parce qu'Il existe ?"
- Krant , tirant deux bouffées inaugurales ; "Je n'en ai aucune idée !" . Une zone sombre
passa à toute vitesse sur la darse . "Avez-vous l'idée d'infini , chef ?"
- Moi : "Oui , bien entendu capitaine !"
- Krant : "Vous l'avez vu ?"
- Moi : "Non , capitaine , c'est impossible !"
- Krant : "On a donc l'idée de choses impossibles à voir ?"
- Moi . Le froid maintenant passait à travers ma vareuse : "… Ainsi , Dieu n'existe pas ?"
- Krant : "Je n'ai pas dit ça ; chef … ce qui existe , c'est l'idée de Dieu … mais la question
de son existence est aussi idiote que de savoir quel temps il fera ici dans trois mois …"
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