samedi 12 décembre 2015

PERCEPTION

    Leonardo se prenait pour le Créateur , ce en quoi il n'était pas loin d'avoir raison .
Où qu'il tournât le regard , les choses advenaient . Il lui suffisait de pivoter sur son
tabouret et son chat, roulé en boule sur la table à tréteaux au milieu des pinceaux et
des tubes de gouache , venait à l'existence . A cette puissance s'en ajoutait une autre
aussi remarquable : celle de renvoyer ses créatures au néant . En un quart de tour ,
le chat retournait dans les limbes de l'Être avec les godets de peinture . Aussi Leonardo ,
pénétré de ses dispositions favorables , rassembla-t-il ses brosses et ses crayons dans
du papier journal qu'il roula en boule . Il descendit au sous-sol de son immeuble et mit
à la poubelle ces accessoires inutiles . Dans la rue , il se mit à créer des objets qui lui
étaient inconnus : une auto rouge de marque anglaise longeait le trottoir , une jeune
fille blonde était perchée sur d'immenses talons-aiguilles . Quand Leonardo tourna à
l'angle sur le boulevard Sebastopol , les créatures , dans leur profusion , semblèrent
lui échapper : l'ombre des platanes , le tramway , les terrasses bondées , les verres de
bière , les cendriers , les rires , le soleil de mai ...

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