dimanche 30 octobre 2016

DESMOND 60 . LE CORBEAU ET LE RENARD

    Bureau Ovale .

- Le Président : "Connaissez-vous La Fontaine ?"
- Moi : "Le poète français , Monsieur le Président ?"
- Lui . Il est affalé dans son fauteuil , noeud de cravate desserré … il déclame :
"Mister Corbeau , sur un arbre perché , tenait en son bec un fromage … vous
connaissez ?" . Il semble accablé .
- Moi : "Oui , Monsieur le Président … c'est une fable"
- Lui : "Une fable !? … a pure invention ? … no , Desmond , it's pure actuality" .
Furieux , fixant le mur derrière moi : "je tenais dans mon bec un fromage !"
- Moi : "………..?……….."
- Lui : "…… et j'ai ouvert un large bec …"
- Moi : "………..?……….."
- Lui : "…… j'ai laissé tomber ma proie !" . Il soupire … "Chou … ce renard …
il m'a flatté …" . Puis se tournant mollement vers moi en tirant sur sa cravate :
"Il a vanté mon plumage" . Il soulève deux bras désolés "je ne me suis plus
senti de joie … j''ai voulu montrer ma belle voix … et j'ai laissé tomber ma proie …"
- Moi : "……………………"
- Lui , s'accoudant au bureau et levant un index professoral , il me regarde dans les
yeux : "Desmond , apprenez que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute !"
Il se lève et me raccompagne à la porte du Bureau Ovale où , me serrant le biceps :
"Desmond , cette leçon vaut bien un fromage !"

samedi 29 octobre 2016

LE ROI DES BELGES (suite) . LE DÉCRET E42

    Les autoroutes … les autoroutes belges infiniment éclairées , à toute heure du jour !
Moi , Couteau à Droite Ier , je décidai de les plonger dans le noir , non par souci d'éco-
nomie mais par amour de l'obscurité . Sortir de l'aveuglante clarté , c'était donc sortir du
nucléaire bien que je ne susse - et comment l'aurais-je sucé de mon pouce ? - quelle part
de lumière l'autoroute qui relie le Comté de Sailly lez Lannoy à la ville de Tournai (E42)
doit à l'impact des neutrons .

    J'ordonnai par le décret dit E42 que l'on démontât les autostrades et qu'on marteau-pi-
quât (cf Bescherelle : verbes du 1er groupe) leurs consternants enrobés ; qu'afin d'en finir
avec ces nuits blanches , on tronçonnât à leur base leurs milliers de lampadaires ; qu'on
pendît haut et court les entrepreneurs d'éclairage public et leurs sous-traitants . Ainsi
assurai-je à Eric de la Jonquille qui faisait la moue , nous ferons revivre la Belgique éter-
nelle , celle de l'Antiquité , des voies romaines , des chemins creux que les myrtilles
sauvages luisant de lampyres débordaient . Enfin , tonnai-je , taillons dans le vif Mon-
sieur le Grand Chambellan ; restaurons les nuits de la Belgique préhistorique , éclatantes
de lunes et de voies lactées !

    Je fis les gros yeux : approuvez ! . Mon Conseil trembla dans sa culotte et il approuva
(je ne lui demandai pas son avis) . Le Grand Chambellan parapha mais je flairai dans ce
consentement à contre-coeur les germes de la trahison . Renfrogné , il approcha de mon
trône l'encrier et la plume d'oie . "J'ai failli attendre" dis-je , royal . Et je signai .

    Je regagnai mes appartements de-fort-méchante-humeur . Astrid repassait mes che-
mises . "CAD-chéri (CAD , prononcer kâd , mon pseudo dans l'intimité) , ta couronne
est toute de travers , sais-tu ?" dit-elle en tendant vers mon front son fer Calor . Elle avait
raison : ma couronne était de guingois . Chère Astrid ! j'eus envie de la battre .

                                                                           (à suivre)

jeudi 27 octobre 2016

KRANT 72 . LE COPRIS ESPAGNOL

    Krant est l'homme de l'infiniment grand - le ciel , la mer - et je suis celui de l'infiniment
petit . Je dis un jour à Krant que l'infinité du monde se trouve dans une mare derrière chez
moi car le capitaine s'étonnait qu'on pût se cloîtrer pour la vie dans le périmètre de si
petites parcelles .

    Je l'entrepris sur le Copris Espagnol . Je lui décrivis l'insecte courtaud , le terrier de la
grosseur d'une pomme signalé par une taupinée , le travail de cet enfouisseur du crépus-
cule , tirant sa récolte par brassées et à reculons avant de disparaître sous terre , et là ,
dans son antre à fond plat et aux parois de terre fraîche inlassablement lissées en voûte ,
le Copris façonnant des gâteaux ovoïdes avec les débris amassés , circulaires , ellipsoïdes
ou aplatis comme nos pains lettons , le Copris copulant , les moeurs de la mère et com-
ment elle enfouit ses oeufs et comment elle s'occupe de sa progéniture et comment elle
sort de terre aux premières pluies d'automne … j'étais intarissable … capitaine ! …
un monde de la grosseur d'une pomme !

- Krant , haussant les sourcils : "Chef ! … il y a tout ça dans la mare derrière chez vous !?"
- Moi : "Sur la berge ou dans l'eau , capitaine ! … c'en est le milliardième !"

mercredi 26 octobre 2016

PARADIS 66 . DU GAZ DANS LA TRINITÉ

    Réunion au sommet , une sorte de conseil de famille : le Père , le Fils et le Saint-
Esprit se sont enfermés dans l'atelier de Dieu . Ça barde ! . Ève , petite curieuse ! ,
colle son oreille contre la porte .

- Le Saint-Esprit : "J'en ai plus qu'assez !"
- Le Père : "Tu t'énerves ! … tu prends la mouche pour deux fois rien ! …"
- Le Saint-Esprit : "Pour deux fois rien !?" . Il tape du poing sur l'établi et s'adresse
au fils : "Deux fois rien ! … qu'est-ce que t'en penses ?"
- Le Fils : "Moi ?"
- Le Saint-Esprit : "Ben oui , Toi ! … ça fait 2000 ans qu'ils t'ont lynché et …"
- Le Fils : "Non … c'était une crucifixion tout ce qu'il y a de légale …"
- Le Saint-Esprit : "Oui … enfin … c'est pareil"
- Le Fils : "Ah , non ! … c'est pas pareil ! … je t'assure … le lynchage , c'est sans
jugement régulier … moi , c'était réglo … le Grand-Prêtre Caïphe et le Sanhédrin …
ensuite , le Prétoire et le Gouverneur en personne : Ponce-Pilate ! … du point de vue
du droit , c'était ficelé … rien à dire !"
- Le Saint-Esprit : "Bon , ça va ! … tu vas pas nous faire un cours ! … le résultat , c'est
que t'en a pris plein la …"
- Le Père : "Surveille ton langage Esprit-Saint !"
- Le Saint-Esprit : "Mais enfin !!"
- Le Père : "Les hommes sont des enfants ! … comme dit Luc (23-34) : "Ils ne savent
pas ce qu'ils font !" … mon cher , pardonnons-leur"
- Le Saint-Esprit : "Facile à dire … d'autant que ton fils , tu l'as abandonné !"
- Le Fils : "Oui , c'est vrai , Père … pourquoi m'as-tu abandonné ? (Matthieu 27-46)"
- Le Père . Il lève les bras au ciel : "Mais je ne t'ai pas abandonné ! … je t'ai rapatrié !"
- Le Fils : "Oui , mais dans quel état !" . Il montre ses stigmates .
- Le Père au Saint-Esprit : "C'est facile les reproches … moi , tous les jours je suis aux
manettes ! … demande à Ève … qu'est-ce que tu fais , Toi ?"
- Le Saint-Esprit : "Au printemps , je …"
- Le Père : "Quoi , au printemps ?"
- Le Saint-Esprit : "Un aller-retour sur la terre déguisé en colombe ! … ou en langue de
feu (Actes 2:3) … je me tape les bouchons du week-end de la Pentecôte … un des plus
meurtriers de l'année !"
- Le Père : "C'est pas tout ça … finalement , qu'est-ce qu'on fait ?"
- Le Saint-Esprit . Il s'approche du Tableau de Commande et pose son index virtuel sur
le bouton d'extinction : "J'appuie sur OFF"

mardi 25 octobre 2016

L'ABBÉ TONIÈRES 14 . DES CATHÉDRALES ET DU BIEN-FONDÉ DE LEUR ÉRECTION

- Jeanne-Marie à l'abbé : "Quelle belle église ! … immense !"

    L'abbé et Jeanne-Marie sont sur le parvis de Notre-Dame de Paris .

- L'abbé : "Ceci n'est pas une église , Jeanne-Marie … ceci est une cathédrale …"
- J-M : "Une cathédrale ! … elle est immense"
- L'abbé , haussant les épaules : "Forcément ! … c'est fait pour …"
- J-M : "C'est fait pour ?"
- L'abbé : "On a besoin d'énormes cathédrales"
- J-M : "Pourquoi pas des petites ?"
- L'abbé . Il lève les yeux au ciel et se signe : "Il eut fallu que le mensonge fut petit"
- J-M : "Le mensonge ? … quel mensonge ?"
- L'abbé : "Le mensonge avec un M majuscule … les petits mensonges ne valent pas
qu'on construise des petites cathédrales … la Sainte Église y perdrait bêtement son
pognon … tandis qu'un gros mensonge , ça justifie une grosse cathédrale … c'est
comptable … c'est de bonne guerre financière … vous me suivez ?"
- J-M . Elle pleurniche : "Non … je ne comprends pas"
- L'abbé . Il re-hausse les épaules : "Ça ne m'étonne pas … aussi ne m'esquinterai-je
pas à vous expliquer"

LE ROI DES BELGES (suite) . L'AUDIENCE

    Il (Jacques Brel Ier) m'attendait juché sur son trône . C'était un ouvrage en or massif
incrusté de pierres fines : agates , épidotes rouges , opales de feu , topazes ; la rampe
dispersait les reflets noirs de quelques jaspes . Je gravis les marches : j'en comptai
septante . Jacques Brel Ier me tendit sa main où brillait l'anneau papal . Au moment où
j'allais la baiser , mon téléphone portable sonna : c'était Eric de la Jonquille , mon Grand
Chambellan : "Il est arrivé dans la Cour du Palais 30 m3 de téléphones filaires . Qu'en
fais-je ?". J'hésitai . J'avais au bord des lèvres mon petit déjeuner (on servait au Sweet
Home Roma des petits déjeuners copieux et indigestes . Ça , combiné à l'escalade du
trône !) , la main de Jacques Brel Ier à portée de lèvres et , à l'oreille , ce souci incessant
de mon règne : que faire des téléphones filaires ? . C'est dans ces situations où des pres-
sions qui n'ont rien à voir entre elles s'accumulent que le Grand Homme se révèle .
"N'avons-nous quelque place à décorer , Monsieur le Grand Chambellan ?" . Je fis à
Jacques Brel Ier un signe de la main en guise d'excuse car je savais son temps aussi
précieux que le mien . "Sire" dit le Grand Chambellan , "toutes les places de Votre
Royaume sont dotées d'une statue équestre à votre effigie". Une idée géniale me vint
(d'où viennent-elles ces idées géniales ?) ; je m'adressai au Pape : "Une statue de Votre
Sainteté sur la Grand Place de Bruxelles , à côté de la mienne ? … c'est une idée
chouette , non ?" . Jacques Brel Ier : "Chouette ? … mon fils , en quoi sera-t-elle faite ?"
Moi : "En téléphones filaires compressés … c'est tendance" . Jacques Brel Ier : "J'ai
beaucoup mieux … une trouvaille post-moderniste … un retour aux matériaux antiques :
le vinyle … compressons le vinyle … qu'en pensez-vous ?" . Moi : "……?…….." .
Jacques Brel Ier : "J'ai dans ma discothèque , à Castel Gandolfo , par mon Saint Patron
la version du "Port d'Amsterdam" en 6512 langues … je suis las de l'écouter … ces
33 tours m'encombrent … mais avant que je vous donne l'adresse , baisez donc mon
anneau … je fatigue avec le bras tendu" . Moi , baisant l'améthyste : "Avec ou sans
cheval ?" . Jacques Brel Ier : "Quel cheval ?" . Moi : "Votre statue … équestre ou en
pied ?"

    Ce projet grandiose resta dans les cartons car , à peine avais-je quitté les marbres lustrés
du Vatican que Notre Saint Père le Pape Jacques Brel Ier rendait l'âme , victime du coryza
qui sévissait à Rome .

dimanche 23 octobre 2016

KRANT 71 . VENTE AUX ENCHÈRES

    L'histoire du Kritik sous le long règne de Krant - sa deuxième vie - commence comme
une farce dans un bassin de radoub du port français de Dieppe , à l'ombre des grues bana-
nières et elle serait comique si elle n'avait livré nos deux soutiers aux travaux forcés . Le
Kritik appartenait aux Douanes depuis que cette administration l'avait saisi au large des
côtes avec une cargaison illicite et les lenteurs de la justice s'étaient combinées à l'action de
la rouille pour faire de ce bâtiment une apparence d'épave . Enfin , il fut mis à l'encan .

    Deux marins lettons , pauvres hères et ivres comme il se doit , poussèrent les enchères
jusqu'à la somme ronde de 100.000 francs-or . Bien entendu les deux hommes n'avaient
pas le premier sou et on les mit au trou . Ils arguèrent qu'ils n'entendaient rien à la langue si
compliquée de la France et qu'au demeurant , ils étaient saouls et ne savaient pas compter .
Le consul que nous avons en place dans cette ville pria les armateurs lettons qu'ils se subs-
tituassent à leurs compatriotes pour le paiement du prix , qu'ils effaçassent pour la bonne
réputation de notre nation cette regrettable folle enchère et qu'ils sauvegardassent ainsi les
facilités portuaires et commerciales qu'on leur avait accordées ; ce que fit l'un d'eux , de
Koenigsberg , qui exigea cependant que les deux hommes lui fussent livrés et qu'ils exer-
çassent , en réparation de leur faute , sur ce navire et à titre gratuit , le métier de soutier
jusqu'au jour de leur retraite . Cet armateur avait calculé sur la base du salaire minimum
que , s'ils payaient , ils auraient remboursé le prix exorbitant qu'on lui demandait pour
cette épave vers le mois de mars 2010 ! . Les deux malheureux acceptèrent le marché
car ils préféraient trimer dans une soute pour des clous que se ronger les sangs dans un
cul de basse fosse .

    Le Kritik fut remorqué à Koenigsberg où on le réarma. La Compagnie des Armateurs
engagea un jeune capitaine tout juste sorti de l'école et qui cherchait un commandement :
Krant .

PARADIS 65 . UN ROMAN PASSIONNANT

- "Ève ?" . C'est Dieu . Il cherche Ève .
- "……………………"
- "Ève ?"
- Ève : "Oui ?" . Elle est allongée entre les tiges de Cistus Salvifolius .
- Dieu . Il s'accroupit et écarte les fleurs blanches : "Qu'est-ce que tu fais ?"
- Ève : "Je lis"
- Dieu , effaré : "Tu lis !?"
- Ève : "Ben oui"
- Dieu : "Tu sais lire ?"
- Ève : "Voui"
- Dieu : "Qu'est-ce que tu lis ?"
- Ève : "Une histoire d'amour"
- Dieu : "………………"
- Ève . Elle lit . Le zéphyr frissonne entre les pages . 
- Dieu : "C'est intéressant ?"
- Ève : "Mmmmm …"
- Dieu : "C'est une belle histoire ?"
- Ève : "Mmmmm …"
- Dieu : "Je te dérange ?"
- Ève : "……………….."
- Dieu : "Tu n'as pas envie de te promener ?"
- Ève : "……………….."
- Dieu : Le Paradis est superbe aujourd'hui"
- Ève : "……………….."
- Dieu : "Tu n'as pas envie ?"
- Ève : "Si … attends … je finis mon chapitre"
- Dieu . Il soupire : "J'attends …"

vendredi 21 octobre 2016

L'ABBÉ TONIÈRES 13 . EXCÈS DE VITESSE

    Le CRS intercepteur de la brigade motocycliste de l'A7 , entre Avignon et Arles ,
pose son engin sur sa béquille :
- "Papiers , s'il vous plaît"

    Il consulte le document rose . Vérification d'identité :
- "Nom . Prénom . Profession ?"
- L'abbé : "Tonières - Jean-Marie - Abbé" . Il sort sa croix de son polo High Society .
- Le CRS : "Vous avez été flashé à 212 km/h , mon Père … radar Mesta … c'est
beaucoup …"
- L'abbé : "Normal , mon fils … Porsche Carrera … V 10 position centrale …
cylindrée : 5.7 l …"
- Le CRS : "Quand même … 212 km/h !"
- L'abbé : "Je priais …"
- Le CRS : "Vous priiez !?"
- L'abbé : "Mes pensées allaient aux victimes de la route … j'intercédais pour elles
auprès de Saint-Christophe"
- Marie-Madeleine , véhémente : "Vous rouliez trop vite , mon Père !" … et au CRS :
"Et il me caressait le genou !"
- Le CRS : "Il vous en coûtera 2000€ et 10 points … vous avez de la chance …
j'aurais pu saisir l'automobile …"
- L'abbé , bénissant le CRS : "Il t'en sera tenu compte au Jour du Jugement , mon fils"

    Quelques minutes plus tard , à 220 km/h :
- Marie-Madeleine : "Vous n'avez plus de points , mon Père !"
- L'abbé : "Je n'ai pas de permis"
- M-M : "Mais … ce papier rose ?"
- L'abbé : " … un faux … l'imprimerie du Vatican …"
- M-M . Elle se signe : "Miséricorde !"
- L"abbé : "Accrochez-vous Marie-Madeleine … j'ai une messe à Antibes à 20h …"

jeudi 20 octobre 2016

LE ROI DES BELGES (suite) . DES PAPOUS DANS LA TÊTE

    Je me levai tôt car , si Sa Sainteté me recevait en audience privée , ce serait au point
du jour car Elle avait d'autres hallebardes à astiquer . Je me trouvai donc seul devant la
basilique Saint-Pierre à 6h du matin , coiffé de ma couronne . Un train de nuages en
charpie traversait l'esplanade à vitesse pontificale , haut dans le ciel déjà bleu et perdait
au fil de sa migration des fibres ouatées qui s'arrangeaient en archipels laiteux et fugaces .
L'un d'eux que je suivais des yeux et dont les îles dérivaient aggloméra leur limpidité en
un continent où je reconnus une sorte de papouasie . J'eus sur le champ le furieux désir
d'amarrer à mon propre tunnel de photons , celui de Roi des belges , cet autre où je serais
des papous le Souverain bien-aimé . Mais ma carte de visite ne portait pas ce titre et je ne
trouverais pas dans tout Rome une imprimerie ouverte à l'aube et assez réactive pour
composer en lettres d'or séance tenante que j'étais aussi Roi des papous . D'autant que si
le Pape m'accordait cette audience , c'est aussi que nous sommes compatriotes et sans
doute n'avait-il que faire des jungles embrouillées de Papouasie bien qu'il y eut là-bas
plus de catholiques que de casoars et que les sous-sols y continssent plus d'or que de
cuivre au Katanga . A 5h45 , je me présentai aux hallebardiers ; leur détecteur de métaux
détecta du métal . J'indiquai de l'index la couronne que j'avais sur le front . "C'est de l'or"
dis-je … "de l'or à 24 carats" et je m'impatientai : 'Messieurs , Notre Saint Père le Pape
Jacques Brel Ier (c'est le premier pape belge) m'attend !"

mercredi 19 octobre 2016

TROIS MOUCHES 71 . RAY

    A la Nouvelle-Orléans , un pianiste aveugle embaucha Berthe comme choriste
pour une tournée qui devait durer des mois . Tous les jours , l'orchestre se produisait
en plein soleil . A l'entracte , je partageais un hamburger avec ma chanteuse . Trois
mouches vermeilles et merveilleuses en profitaient pour bourdonner contre nos
chapeaux de paille .

    Je profitai du soleil d'Orléans pour tourner autour des trois chanteuses d'un orchestre .
Tous les jours , je faisais le plein de hamburgers car les choristes avaient embauché la
nouvelle pianiste de Berthe . Pendant les trois mois de ce merveilleux entracte , j'étais
aveugle .

    L'orchestre d'Orléans embaucha un nouveau pianiste et trois choristes aveugles .
Pendant des mois , ces merveilleuses chanteuses produisirent sur nos chapeaux un plein
soleil . Berthe profitait des hamburgers que tous les jours je partageais avec elles .

mardi 18 octobre 2016

KRANT 70 . PÉNINSULES DÉMARRÉES

    Jim est le vin clair de la lie européenne qu'on trouve au fond de ces ports d'orient ,
forcée de travailler pour vivre et vivant de combines . Où l'art consiste à gagner ce qu'il
faut - rarement plus - pour parfaire l'enflure du foie et apaiser les brûlures du sexe . Pour
le reste , il y a longtemps - depuis combien de temps ? - qu'on a jeté par-dessus les grosses
pierres du quai le linge propre et la mousse à raser . Le terrier , c'est ces chambres à l'étage
des gargotes et la moisissure des murs , les dix heures de pucier à cuver , les femmes
malodorantes et on se retrouve en bas à raconter les prouesses qu'on a accomplies en rêve
pour combler en rêveur obstiné l'écart entre l'homme qu'on aurait pu être et celui qu'on est .

    Au pied du mur , on cherche un naïf à escroquer - mais c'est ici un personnage
introuvable - et on tombe pour finir entre les pattes d'un exploiteur chinois pour un job à
quatre sous .

    Jim ne boit pas . Son travail est régulier ; son employeur , officiel . Sa chambre est
nette , le parquet ciré , le lit fait au carré dans la grande tradition , la cuvette et le broc
d'eau brillent . Une table , une chaise , un miroir , un couteau à raser , un blaireau et un
livre de comptes , c'est tout .

    D'autres blancs vivent ici . Mais en haut , à l'écart du port et du gagne-pain , dans des
villas aux jardins parfumés où le large porte ses fraîcheurs par les fenêtres ouvertes .

lundi 17 octobre 2016

DESMOND 59 . DANS LES CORDES

- "Vous faites du sport , Desmond ?" . Le Président m'interpelle dans le couloir ,
près de la Roosevelt Room .
- Moi , retour de l'incinérateur : "Monsieur le Président … oui …"
- Lui : "Oui … je me souviens … vous me l'avez dit … je vous l'ai déjà demandé …
euh … du water-polo , c'est bien ça ?"
- Moi : "Non , Monsieur le Président … non … du ping-pong"
- Lui : "Bah , c'est à peu près la même chose ! … avec une balle , quoi , mais au sec"
- Moi : "……………….."
- Lui : "Moi , je ne fais pas de sport"
- Moi : "……………….."
- Lui : "… mais je devrais"
- Moi : "……………….."
- Lui : "Ça vous dirait d'être mon partenaire ?"
- Moi : "Monsieur le Président … ce serait avec plaisir … vraiment honoré , mais …"
- Lui : "C'est Alexander … un faucon comme vous savez … il me conseille la boxe …
la boxe anglaise , évidemment … c'est un noble art , dit-il … vous seriez mon partenaire"
- Moi : "Euh … Monsieur le Président … je n'ai aucune …"
- Lui : "Ta-ta-ta , Desmond ! … la modestie vous perdra … moi , je ne suis pas modeste
et voyez où j'en suis ! … il paraît que je suis l'homme le plus puissant de la terre !"
- Moi : "…………………"
- Lui : "Alexander a fait suspendre deux sacs de sable dans la Vermeil Room … vous
verrez , c'est une pièce délicieuse . Ses fenêtres donnent sur la Pelouse Sud … Alexander
apporte les gants et les bandages . Il a commandé un ring démontable et des protège-
dents … je lui ai demandé de ne pas oublier mon scotch et vos Coca-light"
- Moi : "…………………."
- Lui : "Et devinez qui sera notre entraîneur … c'est … c'est ?"
- Moi : "………?…………"
- Lui : "Cassius himself !"

PARADIS 64 . LE MÉNAGE

- Ève : "C'est quoi "Faire le ménage" ?"
- Dieu : "…………?…………"
- Ève : "Tu sais pas ?
- Dieu : "Non … comment dis-tu ?"
- Ève . Elle répète : "Faire le ménage"
- Dieu : "D'où sors-tu cette expression ?"
- Ève : "C'est Adam"
- Dieu : "Adam ?"
- Ève : "Oui … il m'a dit de faire le ménage"
- Dieu : "Tu ne lui a pas demandé ce que ça veut dire ,"
- Ève . Elle hausse les épaules : "Non"
- Dieu : "Je suis désolé , Ève … je ne sais pas …"

    Note : Dieu en effet n'a pas idée de ce que "Faire le ménage" veut dire . Si nos
physiciens s'accordent sur la relative cohérence de l'univers régi par ses lois immuables ,
ils usent leurs microscopes à balayage , leurs miroirs à retournement temporel et leurs
carrières à chercher celles qui gouverneraient la multiplicité terrestre et son apparente
pagaille : débauche des couleurs , délire des senteurs , surabondance des formes et des
espèces , fioritures infinies , variation démesurée des spectres , orgie de beautés .

dimanche 16 octobre 2016

L'ABBÉ TONIÈRES 12 . HOMÉLIE EN L'ÉGLISE SAINT POGNON DE COURCHEVEL

    11h30 : L'abbé paraît en chaire entre la multitude des anges sculptés dans le chêne .
Le silence est d'or : cliquètent les diamants aux oreilles des dames et , aux poignets des
messieurs , gravite en secret le balancier à inertie variable des montres Rolex . L'église
est pleine comme le téléphérique de la Saulire à l'heure de pointe . Les exploiteurs du
peuple ont empilé les skis sous le porche et de chaque côté du portail . Les automobiles
dernier cri sont garées sur le parvis . Elles sont sous la protection de Saint-Pognon ,
Grand Argentier des Papes qui , du tympan , jette sur leurs chromes un oeil de granite .

    12h : Prône , où il est question en préambule d'actions de grâce et d'actions tout court .
L'abbé , compte tenu des turbulences boursières , conseille à ses ouailles d'investir dans
M6 et Casino . "Casino" , explique-t-il "est présent sur les marchés émergents et sa poli-
tique de dégraissage des effectifs commence à porter ses fruits" . Pour M6 , c'est plus
subtil mais "les 5% de capital qui étaient détenus par Suez ayant été cédés au Groupe
Compagnie Nationale de Portefeuille , la chaîne devrait bénéficier de retours de cash
importants" . Puis l'abbé glisse sur sa piste noire naturelle , en bosses et en imprécations :
"Négriers … buveurs de sang … gardiens du trône … marchands du Temple … requins …
profiteurs … esclavagistes … dévoreurs d'entrailles …" pour les messieurs et il en a autant
pour les dames : "Pétasses emperlousées … gonzesses ménauposées" … et j'en passe .

    12h30 : Pour conclure en freestyle , l'abbé tonitrue la quatrième lamentation (Jérémie) :
                              "Ceux qui mangeaient des mets délicieux
                                Expireront dans les rues ;
                                Ceux qui étaient élevés dans la pourpre
                                Étreindront le fumier !"

    12h45 : Au pied de la chaire est Marie-Madeleine . Elle pleure dans sa tignasse rousse
et son téléphone portable .
- L'abbé : "J'ai été bon ?"
- M-M : "Mon Père … j'ai l'Évêché au fil … il vous prie d'exercer vos talents à Svobodnyj"
- L'abbé : "Svobodnyj ?"
- M-M : "… en Sibérie orientale …"

vendredi 14 octobre 2016

LE ROI DES BELGES (suite) . L'INVITATION DU PAPE

    Mais avant de mettre fin à mes jours et , par voie de conséquence à mon règne ,
je répondis à l'invitation du Pape .

    Le 2 mars , à 7h12 , le train d'atterrissage de l'avion mis à ma disposition - un Dassault
Falcon 10 aux couleurs du Vatican , clefs de Saint-Pierre surmontées d'une tiare papale -
toucha le tarmac de l'Aeroporto Di Fiumicino où , déjà , le soleil romain faisait de toute
chose un éclat de lumière . Quand l'hôtesse , ange blond monté sur talons aiguilles , ouvrit
la porte , apparut dans son encadrement une limousine blanche dont le long capot portait
deux fanions aux tiare et clefs . Le chauffeur , un garde suisse en uniforme bleu , tenait la
portière ouverte et de la passerelle au cuir immaculé de la banquette arrière , je fis à peine
deux pas sur le sol de Rome . Je vis luire au fond de la boîte à gants , quand mon chauffeur
y jeta son i-phone , une hallebarde à hampe télescopique et un pistolet Sig-Sauer P226 .
Le taxi papal fila à travers la ville en éveil que je surprenais à travers les vitres blindées et
me déposa au Sweety Home Roma , hôtel de luxe situé à 200m de la Place Saint-Pierre
et dont les chambres sont dotées d'une connexion wi-fi . Malheureusement ma petite chatte
Filoche ne fut pas admise dans l'établissement car , s'excusait le réceptionniste , une épi-
démie de coryza avait investi le centre de la ville . J'eus beau expliquer à ce monsieur que
le coryza n'est pas transmissible à l'homme et brandir le carnet de vaccination , il demeura
inflexible et je dus louer pour Filoche une suite à la Residenza Paolo VI , un ancien mo-
nastère , où elle aurait joui d'une fabuleuse vue panoramique sur le Tibre et le Château
Saint-Ange si elle n'avait opté pour une sieste non-stop sur le tapis-mousse de la salle de
bain . Je donnai 30 € au liftier pour l'achat de croquettes light spéciales chatte fragile et je
retournai au Sweet Home Roma . Là , devant la fenêtre ouverte sur la Via Dei Cavallegeri ,
je branchai mon MacBook Pro tout neuf et ma carte 4G : demain , je rencontrais le Pape et
je devais réviser mon catéchisme sur Internet .

jeudi 13 octobre 2016

TROIS MOUCHES 70 . HOBART

    Il y a dans la chambre de Berthe une peau de lion . "C'est un lion de Tasmanie" ,
me dit-elle quand , par une après-midi torride , je la portais dans le lit . Trois mouches
vermeilles et merveilleuses bourdonnaient contre nos chapeaux de paille . J'objectai
qu'il n'y a pas de lions en Tasmanie … seulement des phoques et des cygnes de mer .

    C'était en Tasmanie par une après-midi torride . Je dis à Berthe qu'il y avait dans la
mer trois phoques à peau de lion et des cygnes merveilleux . Elle portait un chapeau
dont la paille vermeille bourdonnait dans la chambre . Elle objecta : "Pas seulement …
il y a aussi des lions en Tasmanie … et des mouches !"

    Je portai Berthe dans sa chambre . Sa peau était de paille vermeille , merveilleuse
comme un bourdonnement de phoque , torride comme trois mouches au lit au milieu
de l'après-midi . C'était en mer de Tasmanie où sont les cygnes-lions ...

KRANT 69 . JIM

    La première fois que je vis Jim , c'était à Patusan . Son canot , piloté par un malais ,
émergea du pullulement coloré qui , malgré l'heure - il était cinq heures - nous cachait
la forme des quais , leurs pierres et leurs pieux au ras de l'eau . Nous entrions à peine
dans le port quand le canot nous aborda . Jim monta par l'échelle de cordes que nous
avions lancée sur le flanc du Kritik comme si c'eut été un escalier en marbre orné d'un
tapis rouge ; il l'escalada au pas de course , passa par-dessus la lisse et sauta sur le pont .
L'homme était grand ; il mesurait "six pieds à un pouce près" est-il écrit . Il était jeune ,
carré d'épaules et pratiquement vêtu comme un officier de marine : casquette et pantalons
blancs , veste bleue . Il souriait . Il salua Krant resté sur la passerelle d'un geste militaire
et Krant lui rendit son salut . Puis il joignit les mains et s'inclina devant Monsieur Lee
qui fit de même . Je devais assister à des retrouvailles car , si Monsieur Lee était sur le
pont à ce moment de la manoeuvre , c'est qu'il attendait quelqu'un . Monsieur Lee ,
buste penché vers l'avant , souriant immuablement , bras droit replié sur la poitrine ,
indiqua du gauche le chemin à suivre . Moi , je m'essuyais les mains sur un chiffon en
regardant s'éloigner par la large coursive du pont ce couple singulier : Monsieur Lee
en tablier de cuistot et le grand Jim qui le dépassait au moins de trois têtes .

    Jim était ce commis maritime que nous allions rencontrer en d'autres lieux , plus tard
et plus à l'est .

mardi 11 octobre 2016

COTE 137 . 67 . LES CHIFFRES

- "Mon capitaine" . C'est Martial .
- Le capitaine : "Martial ?"
- Martial : "Puis-je vous poser une question , mon capitaine ?"
- Le capitaine : "J'écoute"
- Martial : "C'est une question d'arithmétique"
- Le capitaine : "Je ne suis pas mauvais dans cette branche"
- Martial : "…. d'arithmétique et de stratégie … ou … comment dit-on quand on a fait
des grandes études ? … comment dit-on à l'État Major ? … la science de la guerre …
un mot pas courant …"
- Le capitaine : "La polémologie ?"
- Martial : "Oui ! … c'est ça ! … la … comment dites-vous ?"
- Le capitaine : "La polémologie"
- Martial : "Donc , ma question est d'arithmétique et de pomélo … polémologie"
- Le capitaine : "Et quelle est cette question ?"
- Martial : "Elle est d'arithmétique , de pomé … polémologie … mais aussi d'une autre
science : celle de l'avenir"
- Le capitaine : "Vous parlez de prospective ?"
- Martial : "Puisque vous le dites , mon capitaine , ça doit être ça … ma question
atithmétique , polémolé… polémologique et prospective est celle-ci : sachant que
20.000 poilus et autant de fridolins se sont étripés pour le carré de boue qui sépare nos
tranchées , qu'est-ce qu'on fera quand on aura pris la cote 137 ?"
- Le capitaine : "……?……….."
- Martial : "Notez bien , mon capitaine , que je pose cette question par pur amusement …
pour tuer le temps"

L'ABBÉ TONIÈRES 11 . AU BAR DE SÉNÉ

    Bretagne . Morbihan . Août . L'abbé Tonières , Marie-Madeleine et Jeanne-Marie
encadrent une vingtaine de Guides de France . Les tentes sont plantées à K. ; aujour-
d'hui , la troupe se rend à pied au départ d'un jeu de piste . L'abbé ouvre la marche .
Il porte soutane , bâton noueux et chaussures Trappeur . C'est dimanche . Il est 10h .
Il fait chaud (30°) . La terrasse du "Séné Marin" déborde de clients : les hommes du
village qui n'assistent pas à la Grand-messe , soit la totalité de la population mâle à
l'exclusion de deux incurables catholiques pratiquants ; aussi le patron a-t-il disposé
tables et chaises sur le trottoir d'en-face . Surgit à ce moment la troupe .

- L'abbé : "Stop !" , et la troupe s'immobilise comme un seul homme , en l'occurrence
comme une seule Guide de France . "Mes chères petites , posez vos derrières sur ces
chaises . Nous avons soif !" . Dans un remuement de ferraille , la troupe asseoit là ses
derrières . L'abbé entre à l'intérieur du bar , lui aussi bondé , et commande 22 limonades
avec glaçons et un double scotch sans . Il reparaît sous l'écrasant soleil avec 10 grilles
d'Euromillions à 50 numéros qu'il distribue aux filles .
- L'abbé (il a expliqué le principe) : "Mais avant de gratter , prions …" . La troupe se lève .
L'abbé joint les mains : "Nous te prions Seigneur d'amasser sur nous la Fortune . Nous
attirons Ton Attention sur le montant de la cagnotte : 130 millions d'euros … et maintenant ,
grattons !" . La troupe s'asseoit et gratte ………………………………………………..
- Marie-Madeleine ramasse les cartes grattées et les tend à l'abbé qui sirote son Eddu
Diamant 44° . L'abbé : "Résultat des courses ?" . Marie-Madeleine , plaintive : "Zéro ,
mon Père … nous … nous n'avons pas été exaucés …"
- L'abbé , bouche bée , puis … : "Donnez-moi ça !" . Il se lève et se rue dans le bar ,
bouscule des épaules la foule des paludiers , palourdiers , marins-pêcheurs , paysans …
jusqu'au zinc . "Aubergiste !!" . Il déchiquète les cartes et jette les confettis à la tête du
patron : "Escroc ! … Exode 22 : Tu ne maltraiteras aucune veuve ni aucun orphelin ! …
et ça vaut pour les Guides de France ! … re-Exode : Que les sauterelles recouvrent ton
bar !" . Fonçant sur la terrasse pour récupérer son gourdin , à nouveau bondissant dans
le bar où la foule s'ouvre comme jadis la Mer Rouge , il balance son arme sous le nez du
patron qui se protège de l'avant-bras (il se souvient que le Père Le Floch lui a mis une
baffe en 1953 pour avoir actionné la sonnette de l'Élévation à contre-temps)
- L'abbé : "Mais peut-être , misérable , seras-tu pardonné car ton whisky est de première
bourre !"

dimanche 9 octobre 2016

PARADIS 63 . LE CAS JOSEPH

- Ève passe la tête par la porte de l'atelier . Elle brandit une enveloppe :
"Tu connais un Joseph ?"
- Dieu est assis à son établi . Il se tourne vers Ève : "Des Joseph ? … j'en connais
plein : Joseph d'Arimathie , Joseph , le fils de Jacob … Joseph Staline , Joseph
Goebbels , Joseph Bonaparte ..;"
- Ève : "C'est pas ceux-là … un Joseph de Nazareth"
- Dieu : "Ah , Joseph de Nazareth !"
- Ève : "Y a un joli timbre … avec le tampon de Bethléem ..;"
- Dieu : "Et qu'est-ce qu'il me veut ce bon Joseph ?"
- Ève : "Tu le garderas le timbre ?"
- Dieu : "Je te les gardes toujours … qu'est-ce qu'il me veut ?"
- Ève : "Il a eu un bébé avec sa copine : Marie … c'est un faire-part"
- Dieu . Son oeil se mouille : "Ben dis-donc … pas trop tôt ! … donne-moi ça …"
- Ève : "Y a une photo … il est mimine le bébé … c'est un garçon"
- Dieu . Il saisit le faire-part : "Jésus ! … ils l'ont appelé Jésus ! … " . Serrant le
faire-part sur sa poitrine : "Mon fils !"
- Ève : "Ben non , c'est pas ton fils ! … c'est le bébé de Joseph et Marie"
- Dieu : "Oui , Ève … enfin … c'est compliqué … Jésus , c'est aussi mon fils …"
- Ève : "C'est pas ton fils … tu nous a expliqué à Adam et à moi , au cours de …
comment déjà ?"
- Dieu : "Oui … au cours d'éducation sexuelle … oui , mais Jésus c'est un cas à part"
- Ève : "J'y comprends plus rien …"

samedi 8 octobre 2016

DESMOND 58 . EAUX TROUBLES

- Maryline au telephone : "Desmond ! … mon sucre d'orge ! … montez ! …
Green Room" . Elle raccroche avant que j'aie le temps d'en placer une , comme on
dit en français . Pour mes lecteurs qui ne fréquentent pas quotidiennement la Maison
Blanche , la Green Room est un salon utilisé pour les petites réceptions . Il est
décoré dans les tons vert . C'est Pat qui s'est occupée de la déco .

    La Green Room est au premier étage . Je monte , je frappe , je pousse la porte .
Dans un canapé il y a une veste d'homme et , disséminées sur le tapis turc Kilim ,
des chaussures et des chaussettes qui , sans doute , appartiennent à la même personne .

- Voix de Maryline , caressante : "Entrez , chérubin !"

    Elle est là , perchée sur une sensationnelle paire de talons-aiguille et comme fondue
d'une pièce dans une robe rouge hyper-moulante : "On allonge … on réunit … on
allonge … on réunit …" . C'est au détenteur de la veste qu'elle donne le rythme : "On
allonge … on réunit …" , un homme à plat ventre sur un pouf ; il est en bras de chemise
et le bout de sa cravate frôle le tapis . Il mime les mouvements qui sont approximativement
ceux de la brasse . C'est - stupéfaction ! - le Président .

- Le Président . Il s'arrête de brasser l'air , pose les genoux et les mains sur le tapis . Il est
essoufflé . Le visage est congestionné ; "Et bien quoi , Desmond ! … j'apprends à nager ,
vous en faites une tête !"
- Maryline : "Allons , Mister president … reprenons … montrez à Desmond … on allonge ,
on réunit …"
- Le Président . Il reprend les mouvements : "Maryline est un sacré maître-nageur … je
vous la recommande …"
- Moi : "Mais … Monsieur le Président … il y a une piscine à la Maison Blanche"
- Le Président : "J'ai horreur de l'eau"
- Maryline :"Joignez , joignez ! … vous ne joignez pas , Monsieur le Président"
- Le Président : "La seule eau que je supporte , c'est la politique"
- Maryline : "Une , deux … une , deux … allongez … bien , bien …"
- Rictus du Président : "Et croyez-moi , Desmond , dans cette eau-là je sais nager !"

jeudi 6 octobre 2016

LE ROI DES BELGES (suite) . ERIC Ier DE LA JONQUILLE

    Le premier acte du nouveau roi fut de souffler la poussière qui couvrait le cuir
ouvragé de mon bureau ; le second d'ordonner que fussent légués au Musée de la
Préhistoire et exposés dans une vitrine contiguë à la collection d'outils en os des
chasseurs-cueilleurs de Néandertal mon encrier et ma plume d'oie . Ce seront ,
dit-il , les témoignages d'une période balbutiante et révolue , place aux jeunes ! .
Libéré de cet héritage , le Roi Eric installa son Operating System (OS) et entreprit
de convertir en dossiers informatiques le fatras de papiers , classeurs , post-it ,
notes manuscrites et dactylographiées que je lui laissais . Quand il écrasa le fichier
Katanga et l'envoya dans la corbeille , je me retournai dans ma tombe . C'en était
fini de ce projet magnifique : un simple clic et des savanes sans fin s'évaporaient
avec un bruit virtuel de papier froissé ; les girafes , les éléphants , les phacochères
se dissolvaient dans les couches ferromagnétiques d'un disque dur et c'est en pure
perte que les habitants de Sint-Martins-Voeren avaient acquis des rudiments de
Tchokwé . La Reine Christine n'était pas en reste : dans son cyber-boudoir , elle
entrait sur Facebook les 11.283.751 amis soit , à l'unité près , l'ensemble de ses
sujets ...

L'ABBÉ TONIÈRES 10 . DANS LA MONTÉE DE COURCHEVEL

    Dans la montée de Courchevel , l'abbé met le paquet . Marie-Madeleine : "Vous roulez
trop vite mon Père" . L'abbé . Lunettes de soleil et gants de course : "4,9s de 0 à 100km/h !
z'avez votre permis Marie-Madeleine ?" . M-M : "… Non … j'ai raté 5 fois …" . L'abbé :
"Je vais vous apprendre" … il part en survirage dans la première épingle et remet illico le
bolide en ligne : "Voyez … pas compliqué … talon-pointe …" . M-M . Elle suffoque … :
"Talon-quoi ? …" . Elle crie . C'est qu'on ne s'entend pas dans l'étroit habitacle . Le six cy-
lindres est une fanfare à lui tout seul … et le sifflement du vent … . 4e … 5e … 8000 au
compte-tours . L'abbé , accélérateur au taquet : "3600 cm3 … transmission intégrale ! …"
Hurlant : "Z'avez quel âge , Marie-Madeleine ?" . M-M . Elle claque des dents … l'air glacé
des Hautes-Alpes se rue dans ses bronches à 157 km/h : "33 ans , mon Père …" . L'abbé ,
en glissade dans la deuxième épingle : "33 ans ! … l'âge du Christ quand ces crétins l'ont
crucifié … couple maxi 370 newton-mètres à 4250 t/mn ! … 33 ans ! …" . Court raidillon
avant l'épingle n°3 . L'abbé . Il explique : "Les mains à 9h15 , Marie-Madeleine … le coude
légèrement plié … à l'abord du virage , on déclenche l'action du volant avec les deux mains"
L'abbé part en glissade , il frôle le parapet en sortie . Marie-Madeleine braille . L'abbé :
"Comme ça ! … vu ?" . Plein pot . 400 mètres de ligne droite . A fond de 6e , l'abbé : "350cv
sous le capot … 6 cylindres à plat … 24 soupapes … double arbre à cames en tête … un
miracle … vous vous rendez compte , Marie-Madeleine !?" . M-M . Sa longue chevelure
rousse est dans la boîte à gants : "Non … mon Père … non …" . L'abbé : "Quoi , non ? …
j'ai une messe dans cinq minutes à Courchevel ! … vous croyez en Dieu , Marie-Madeleine ?"
M-M : "……………………………. . L'abbé , à fond de balle maintenant pour le finish :
"Dieu a tout créé , Marie-Madeleine … les oiseaux , c'est Lui … les herbes portant semences ,
c'est Lui … les pneus Michelin pilot super sport 24" , c'est Lui aussi … accrochez-vous !"
Longue courbe finale à l'entée de Courchevel . L'abbé vocifère : "Marie-Madeleine ! …
talon-pointe ! … avec les deux côtés du pied droit … tu commences à freiner avec le côté
gauche du pied et , chaque fois que tu rétrogrades , tu donnes un petit coup d'accélérateur
avec le côté droit … c'est biblique , non !?" . Marie-Madeleine est collée au fond du baquet .
Elle a confié ses yeux aux creux de ses paumes . Arrivée sur le parvis de l'église de Courche-
vel à 10h 59' 30" , tête à queue , moteur coupé . Marie-Madeleine . Elle pleurniche : "Mon
Père , j'ai fait pipi !" . L'abbé : "Je vais vous dire deux choses , Marie-Madeleine : vous
êtes une conne" , puis , frappant le volant : "ça , c'est de la bagnole !" . Il ouvre sa portière .
A Marie-Madeleine prostrée : "Pendant que j'enfile ma chasuble , écopez le baquet !"

lundi 3 octobre 2016

TROIS MOUCHES 69 . PRÉLUDES

    Berthe était au piano . Nous avions poussé son quart de queue sur le balcon .
Elle adorait Chopin et moi j'adorais Berthe . Trois mouches vermeilles et mer-
veilleuses bourdonnaient coutre nos chapeaux de paille . Georges S. , une amie
de passage , les chassait à coups de tapette .

    Nous avions poussé les trois quarts du piano dans le passage . Comme j'adore
Chopin et que Berthe adore les chapeaux de Georges S. (une amie de Papeete) ,
nous fîmes la queue sous leur merveilleux balcon pour chasser le bourdon .

    "Un quart de Chopin avec une paille ..." , dit Berthe à Georges S. , une tapette
de passage "… c'est un merveilleux coup !" . Elle est son amie , elle l'adore , il a
une queue vermeille et , lui et son piano , elle les chasse sur mon balcon ...

KRANT 68 . CHATS SIAMOIS

    Moi , chef mécanicien du Kritik , suis chat . Hume admet cette fraternité , lui
comme chat des mers , moi , c'est indéniable , comme chat des champs . Hume
a détesté la terre et ses villes autant que j'aime ma campagne , mais nous sommes
deux chats . A rayures pour l'un ;  en bleu de chauffe pour l'autre . Lui , franchissant
notre échelle de coupée dans un port dalmate , a choisi la marine marchande pendant
que je m'exilais sur la mer . Une vocation pour Hume , un métier pour moi , mais nous
sommes frères . C'est un rituel : nous nous trouvons le soir sur le gaillard d'arrière assis
l'un à côté de l'autre . L'Egypte , l'Ande et les côtes de Tasmanie défilent sous notre oeil
égal , comme les créations d'un Dieu que nos minuscules existences indiffèrent . Mais ,
prétend Krant , Dieu est dans les chats et dans toute créature , dans le timonier même .

dimanche 2 octobre 2016

COTE 137. 66 . OÙ RÔDE LA MORT .

    La compagnie se tient au bas du parapet . Il pleut . Nous allons attaquer . Des
gouttes d'eau coulent lentement sur le tranchant des cinquante baïonnettes dressées .
Le capitaine passe derrière les hommes pour une ultime revue d'armement . Il s'arrête
près de Martial .

- Le capitaine : "Qu'est-ce que c'est que ça , Martial ?"
- Martial : "Un parapluie , mon capitaine"
- Le capitaine : "Un parapluie !? … pourquoi faire ?"
- Martial : "Un parapluie pourquoi faire , mon capitaine ? … pour la pluie bien sûr …"
- Le capitaine : "……………?…………."
- Martial : "J'ai un peu mal à la gorge … d'après le Major , c'est un refroidissement …
il m'a recommandé de …"
- Le capitaine : "Vous n'avez pas l'intention … de … de …"
- Martial : "… d'attaquer sous un parapluie ?"
- Le capitaine : "Vous n'avez pas cette intention ?"
- Martial regarde le ciel : "Mon capitaine , je pense que le temps ne va pas s'arranger"
- Le capitaine : "…………………"
- Martial : "… dans mon état … ça serait imprudent … sans parapluie … n'est-ce pas ,
mon capitaine ?"
- Le capitaine : "N'oubliez pas votre cache-nez mon bon Martial ..;"
- Martial : "C'est prévu mon capitaine" , et il sort de sa poche un cache-col rouge d'au
moins deux mètres .

samedi 1 octobre 2016

TROIS MOUCHES 68 . AZOR

    Berthe avait un chien féroce . Quand trois mouches vermeilles et merveilleuses
bourdonnaient contre nos chapeaux de paille , il me mordait . Aussi je priai Berthe
de le faire piquer , ce qu'elle ne fit pas .

    Trois mouches féroces piquèrent Berthe . Je la priai de me mordre aussi merveil-
leusement , ce qu'elle fit en bourdonnant comme un chien empaillé .

    Dans la paille , ma Berthe merveilleuse me pria de la mordre , ce que je fis .
Comme elle avait du chien , je la piquai en bourdonnant comme trois mouches
férocement vermeilles .