La nuit , quand nous voguions sur des calmes tropiques , je m'installais dans la
chambre à cartes ; Krant ne voyait pas d'inconvénient à ce que je m'y assoupisse .
Je laissais la porte ouverte sur la passerelle où , me semblait-il pour mon seul plaisir ,
se conviaient une brise tiède et ces constellations dont le capitaine , en ses cours
magistraux , avait entrouvert les mystères . Je sortais des cartonniers les routiers et
les cartes d'atterrages de nos anciennes navigations . Puis je m'enfonçais dans la
moleskine de l'unique fauteuil . A la lueur de ma lampe tempête , je tournais les
pages des atlas et des livres de feux comme celles d'une genèse . Les cartes , la brise
et les étoiles prenaient la forme du sommeil ; quel bonheur et quelle énigme que cette
béate noyade , incompréhensible enlisement ! . Le monde perdait ses contours , ma
vigilance s'effilochait et j'entrais en moi-même comme dans un monde inconnu .
Cet échouage où je me trouvais vers minuit , terreur des marins , je m'y abandonnais .
Je sautais dans un quelque part à multiples fonds , les cartes filaient entre mes doigts et
glissaient mollement sur le plancher en teck . Les ponts qui me reliaient à ma journée
de travail , celle d'un officier mécanicien , je les coupais et ils s'effondraient sur les
hauts-fonds d'une mer sans bords .
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