vendredi 30 novembre 2018

KRANT 148 . AUTOUR DU SEL

    Les dockers avaient remplis de sel la grande soute babord du Kritik . Toute la journée ,
entre l'entrepont et nos mâts de charge , ils avaient traversé l'espace torride d'un pas rapide
et saccadé , fourni sans relâche nos palans et laissé sur le sol la trace blanche de ce labeur
d'esclaves . En guise de réconfort , Vinc s'était assis sur le dernier monticule de sacs qu'il
fallait encore charger et s'élevait de son instrument la fumée légère qui parfume nos forêts
au temps des essarts . Une partie de l'équipage faisait cercle autour de lui , mêlée aux
gamins en haillons et aux dockers non moins dépenaillés , calcinés et comme barbouillés
de chaux , pendant que l'autre s'était agglutinée contre le bastingage . Nous entendions
notre lointaine nature et les indigènes la leur , si différente et cependant si proche , car
Vinc est un sorcier . Le timonier était à côté de moi . Des larmes coulaient sur ses joues
râpeuses . Quand la dernière note se fut irréversiblement dissipée dans la fin de l'après-
midi , nous serrâmes les épaules des dockers et nous regagnâmes le Kritik . Je posai ma
main sur la nuque du timonier .

- Moi : "Tu es triste , timonier"
- Lui , interloqué : "Triste !? … moi !? …"
- Moi : "Tu pleures"
- Lui et son rire mauvais : "Ah , ah , chef ! … celui qui me verra pleurer ! … par les clous
du Christ ! …"
- Moi : "Mais ces larmes qui coulent sur tes joues ?"
- Lui , tâtant ses joues humides : "Ce ne sont pas les miennes"
- Moi : "A qui donc sont-elles , ces larmes ?"
- Lui : "Ces larmes ? … ces larmes sont les tiennes … elles sont celles de ceux qui n'ont
pas pleuré en écoutant Vinc …"
- Moi : "……..?……….."

jeudi 29 novembre 2018

DESMOND 92 . STAGE 2

- "Entrez !"

    Le Président m'a demandé de passer dans son bureau privé . J'entre . Assisté de
Maryline , il signe des executive orders avec son stylo à plume .

- Sans lever les yeux et sans s'arrêter de signer : "Asseyez-vous , Desmond"
- "Bonjour Monsieur le Président"
- "Bonjour , Desmond" … Cric-cric , la plume d'or toupille … cric-cric … pffft …
les pages du signataire tournent et tournent comme les ailes d'un moulin , animées par les
doigts cyanocrylatés de Maryline … "Pat vous a dit ?"
- Moi : "Pat ? … euh , Madame la Présidente ?"
- Cric-cric … "Oui … pour mon stage …"
- Moi . Aïe : "Euh , oui … elle m'en a parlé …"
- Lui . Cric-cric … pffft … : "Alors ?"
- Moi : "Alors ,  Monsieur le Président … alors …"
- Lui : "Oui … alors … qu'est-ce qu'elle en pense ?"
- Moi : "Euh … Monsieur le président …"
- Lui : "Et vous ?"
- Moi : "Moi ?"
- Cric-cric … cric … : "Vous … qu'est-ce que vous en pensez ?"
- Moi : "Euh …"
- Lui : "Maryline n'est pas d'accord"
- Maryline . Je la regarde debout à côté du Président et le tournoiement de cet interminable
signataire . Elle : "Je trouve que c'est complètement idiot !"
- Lui : "Maryline , ça suffit ! … je vous ai demandé votre avis hier … je l'ai enregistré ,
c'est bon … n'en rajoutez pas … allez , dégagez avec ce signataire , j'ai mal au poignet …
allez , Maryline , ouste !"

    Maryline sort . Quelles hanches ! . Le Président la (les) suit des yeux . Puis il recule son
fauteuil , se cale sur le dossier et croise les jambes : "Alors Desmond … votre avis"
- Moi : "Euh …"
- Lui : "C'est bien ce que je pensais"

mercredi 28 novembre 2018

DESMOND 91 . STAGE 1

- "Toc-toc-toc" . A la porte de mon bureau . J'ai pourtant demandé qu'on ne me
dérange pas . Je suis sur un discours que le Président doit prononcer avant les
élections de mi-mandat .

- Agacé : "Come in !" (je ne traduis pas)
- La porte s'entrouvre . Un profil féminin s'infiltre dans l'entrebâillement : "Je ne vous
dérange pas , Desmond ?"
- Shit ! … c'est la First Lady … Pat … je me lève fissa : "Non , bien entendu , Madame
la Présidente … vous savez bien , vous ne me dérangez jamais !"
- Elle entre , vêtue de son tailleur jaune Geoffrey Beene : "Pour l'amour du ciel ,
Desmond ! … cessez avec votre "Madame la Présidente"! … Pat … appelez-moi Pat ! …
nous nous connaissons depuis si longtemps"
- Moi : "How can I help you , Madame la … euh , Pat …"
- Elle : "C'est au sujet de mon mari" . (Je l'aurais parié)
- Moi : "……………"
- Elle : "Vous n'allez pas le croire , Desmond ! … this is absolutely appaling (sidérant) !"
- Moi : "…….?…….."
- Elle : "Un stage … il veut faire un stage en entreprise !"
- Moi : "……..??……"
- Elle : "C'est Bob qui lui a soufflé cette idée ! … quel crétin !"
- Moi : "Bob ? … Bob qui ?"
- Elle : "Bob Haldeman" (Note :c'est le chef de cabinet de la Maison Blanche)
- Moi : "Un stage de quoi , Madame la … euh , Pat ? …"
- Elle : "Un stage de plomberie"
- Moi : "……..???….."
- Elle : "Haldeman lui a trouvé une entreprise … et un chantier"
- Moi : "Un chantier ? … le Président ??"
- Elle : "Mon mari dit qu'il ne sait rien faire de ses dix doigts … qu'il doit apprendre ! …"
- Moi : "C'est … c'est …"
- Elle : "Il faut absolument empêché ça , Desmond !"
- Moi : "C'est stupéfiant !"
- Elle : "You said it !"
- Moi : "Où est ce chantier ?"
- Elle : "Ici … à Washington … dans un hôtel … à côté du Kennedy Center … vous le
connaissez certainement : le Watergate" .

                                                                                                       (à suivre …)

mardi 27 novembre 2018

TROIS MOUCHES 140 . L'ACCOMPAGNATRICE

    Berthe se reposa cinq minutes , caressa le chat , but une demi-tasse de thé refroidi ,
me fit raconter mon enfance . Mais je n'avais rien à raconter . Trois mouches vermeilles
et merveilleuses bourdonnaient contre nos chapeaux de paille .

    Un chat racontait son enfance à cinq mouches . Il la raconta en trois minutes et demi
puis se reposa . Berthe le caressa en buvant une tasse de thé froid . Je n'avais rien à faire
que bourdonner contre son chapeau de paille .

    Mon chat reposait contre Berthe . Elle lui racontait son enfance mais , comme moi je
n'avais rien à raconter , je buvais du thé pendant que les minutes refroidissaient : cinq ,
trois … puis une demie . Je caressais ma tasse . Une mouche vermeille , émerveillée par
mon chapeau de paille , bourdonnait .

PARADIS 93 . ESQUIMAU À 2 COUPS

    Affichage sur la porte de l'Atelier : "De l'opportunité d'une Création" . Tel est le thème
d'une conférence que Dieu donne à l'Humanité . Adam et Ève , en tant que potentialité de
l'espèce , y sont conviés . On remplit les salles avec ce qu'on a sous la main . Ève , râvie :
à l'entracte , elle distribuera les esquimaux , oeuvres de Dieu comme toutes choses et un
peu de la Société Gervais . Adam , morose : ça l'embête cette conférence . Il a autre chose
à faire mais Dieu l'a invité ; il n'a pas pu se défiler .

    C'est l'heure . Adam et Ève sont assis côte à côte sur le pupitre d'écolier . Ève lève le
doigt :
- "Je peux faire pipi ?"
- Dieu : "Dépêche-toi , Ève … tu ne pouvais pas y penser avant ?"

    Ève sort . En attendant , Dieu remue ses papiers pour meubler cette préface urologique .
Seul avec Adam qu'il devine mal disposé , il ne sait pas quoi dire alors , remuer ses papiers ,
ça lui donne une contenance .

    Ève se rasseoit .

- Dieu : "Bon , on peut commencer ?"
- Ève , enjouée , repasse sa natte par-dessus son épaule nue : "Vas-y , Di-Di … on t'écoute"
- Adam , maussade : "Ouais … vas-y"
- Dieu , docte : "Si je vous ai réuni ce soir - c'est un plaisir de vous voir si nombreux - c'est …"
- Ève : "Ben !? … on n'est que deux !"
- Dieu : "Ève … c'est pas si mal … c'est pour vous faire part d'une question qui …"
- Ève : "Quelle question ?"
- Dieu : "J'allais y venir … la question de …"
- Ève : "J'adore les questions !"
- Adam : "Bon , tais-toi ! … laisse-le parler à la fin !"
- Ève frappe l'épaule d'Adam : "Ah , m'embête pas ! … j'dis c'que j'veux !"
- Dieu : "Ève !"
- Ève : "……………."
- Dieu : "La question est la suivante : ai-je bien fait de créer un monde ?"
- Ricanement . C'est Adam .
- Dieu : "Qu'est-ce qu'il y a , Adam ?"
- Adam : "Vas-y … continue … t'as bien fait ou pas ?"
- Dieu : "Euh … c'est le thème de ma conférence … il y a des développements"
- Adam se lève et sort . Avant de fermer la porte : "Un monde ou pas ? … on s'en fout :
il est là"

    Triste soirée . Ève suce sans plaisir un Crokim à la fraise , l'esquimau à 2 coups de
Gervais . Dieu range ses papiers inutiles : l'absence de Création (le Néant) , ça n'intéresse
personne . Adam lui-même , dans son champ qu'éclaire une maigre lune , regrette d'avoir ,
par sa sortie inopinée , offensé son Créateur .

dimanche 25 novembre 2018

COTE 137 . 114 . PORCELAINE DE SAXE

    Fait exceptionnel , proprement insolite : il fait beau ! . Le soleil brille au-dessus du
champ de bataille . Un oiseau chante , puis deux , puis une multitude . J'essaie de les
reconnaître : moineaux , une grive , le tsiih d'un rouge-gorge et autre chose aussi , un
bruissement léger . Qu'est-ce que c'est ? . Il n'existe plus ni chênes ni hêtres ni arbres
d'aucune sorte dans le secteur et pourtant ce sont bien leurs feuilles qu'agite un vent
désinvolte . Pas la moindre canonnade . Émerge d'une brume délicate comme on en
voyait avant la guerre les matins d'été le clocher de Montrepont . Mais c'est impossible :
Montrepont n'existe plus . Martial , le capitaine , Bertin et un général - je ne reviens pas
sur son nom : Devernay … Debernet … De quelque chose , mais qu'importe , un général -
tapent le carton . Ils sont sortis de la tranchée et ont planté quatre sièges défoncés autour
d'une caisse de biscuits … Martial abat un as de coeur et rafle les mises . De l'autre côté ,
les allemands aussi sont sortis de leurs trous . Ils boivent . L'un d'eux marche sur les mains :
ses camarades applaudissent . Coups de feu . Les allemands lancent des assiettes en l'air …
c'est de la porcelaine de Saxe . Les assiettes montent , montent dans le ciel d'azur , ralen-
tissent , se stabilisent au plus haut de leur course et - pan ! - elles explosent en mille
miettes multicolores . Les boches tirent , puis les nôtres et le général lui-même maintient
un éventail de cartes dans sa main gauche et canarde de la droite avec son revolver .
Martial étale triomphalement des suites de rois , de dames et de valets . On rit , on
s'esclaffe , la porcelaine vole en éclats . Après les assiettes , ce sont des tasses délicates
aux deux épées entrecroisées , plus difficiles à atteindre - certaines échappent au désastre -
des soucoupes , des saucières , des ramequins , une soupière se disloque , puis des verres ,
coupes , flutes en cristal de Bohême éclatent et font sur la cote 137 une pluie de quartz .
Un fridolin m'entre dans les côtes le canon de son fusil : "Komm schon , aufwachen ,
mein freund !" . Je ne comprends pas . Je veux qu'on me foute la paix . "Ich bin müde !"
sont les seuls mots d'allemand que je connais . "Ich bin müde ! … fatigué … ich bin
müde !" . On me secoue . J'ouvre les yeux . Il pleut sur ma capote . Le visage de Martial
est penché sur moi . Il n'est pas rasé . Un énorme nuage noir passe au ras de son casque .
"Qu'est-ce que tu racontes , vieux !? … réveille-toi ! … on attaque dans cinq minutes !"

samedi 24 novembre 2018

JULIETTE

Sa soeur Juliette (La soeur de Mike)
Pas vraiment bien dans sa peau .

Sexe , matérialisme , consommation à outrance .

Mike a pris cette photo
(Vous ne la voyez pas , imaginez-la !)
Un dimanche .
C'était dans la maison de Neil ,
Son père ,
A l'embouchure de la Rivière Au Sable
(Lac Huron . Michigan)

Juliette était saoule .
Elle nous a foutu dehors .

Canon EOS 650
Synchro Flash au 1/125 sec .

vendredi 23 novembre 2018

KRANT 147 . AFRIQUE À VENDRE … PRIX BAS

    Quand l'indigène jetait l'anneau de notre aussière , elle claquait dans l'eau du port comme
un coup de machette . Il me semblait que nous lâchions un continent . N'étions-nous pas
amarrés à l'Afrique , à Banjul , à ses entrepôts minables que dominait le château du Kritik ? .
L'homme rapetissait à travers le rideau de la mousson . Il était immobile , comme étonné
d'avoir libéré par ce geste minuscule une pareille masse d'acier . Je doutais cependant que
le Kritik se fut mis en mouvement . Il me semblait au contraire que c'était l'Afrique qui
dérivait en emportant sur son quai le docker , les entrepôts et l'énorme mur de la jungle .
L'homme n'agitait pas la main , je le voyais maintenant longer les filins alignés , indifférent
au déluge , parti pour un voyage sans retour car il était peu probable que nous abordions à
Banjul avant la fin des temps , petit homme solitaire parti sans baluchon avec son continent
dévasté .

    Cette vision avait de quoi serrer le coeur car nous emportions dans nos cales le trésor des
Wolof .

DESMOND 90 . LE MESSAGER

    On gratte à la porte de mon bureau . Un chien ? … je me lève , j'ouvre la porte :

- "Checkers !" . C'est Checkers , l'épagneul du Président . Il me fait la fête . J'adore ce chien
et il m'adore . "Checkers ! qu'est-ce que tu fais là ?" . Je bêtifie : "Gentil chien-chien … il
vient dire bonjour à son po-pote Desmond !" . Lui halète , jappe , tourne en rond , remue la
queue , renverse ma corbeille à papier , pose ses pattes sur mon costard . Je le câline , je le
papouille .
- "Qu'est-ce qu'il a là mon chien-chien ?" . Une sorte de pochette est accrochée à son collier :
"Hein , Checkers , c'est quoi ce truc ?"
- "Desmond !" . Je me retourne . Le Président se tient dans l'embrasure de la porte .
- "Oh , Monsieur le Président … Checkers me rend visite"
- "Détrompez-vous , Desmond ! … il est en service commandé"
- "Comment cela , Monsieur le Président ?"
- "Je lui ai demandé d'aller vous voir … mission accomplie … vas voir notre ami Desmond !
… et il y est allé tout droit … c'était un test"
- "Monsieur le Président , il y a plus de cent pièces à la Maison Blanche et Checkers n'est
jamais venu ici ! … comment …"
- "Checkers est un chien très intelligent … si j'avais envoyé Gerald , il se serait perdu dans
les couloirs"
- Moi : "……………."
- "Desmond , vous n'avez rien remarqué ?"
- "Oui , Monsieur le Président … cette pochette , qu'est-ce que c'est ?"
- "Vous n'avez pas regardé à l'intérieur ?"
- "Non , je ne me suis pas permis"
- "Ouvrez , Desmond , ouvrez ! … Checkers est mon nouveau mode de communication …
une sorte de pigeon voyageur d'intérieur"
- Je me penche . J'ouvre la pochette . Elle contient un papier plié en quatre .
- "Et bien , lisez Desmond !"
- Je déplie le papier . Je reconnais l'écriture présidentielle : Desmond , voulez-vous monter ?
J'ai à vous parler . Signature .
- Lui : "Alors ?"
- "Euh , Monsieur le Président … pourquoi pas par le téléphone ?"
- Le Président fait signe à Checkers de sortir : "Oh , Desmond ! … les lignes téléphoniques
sont sur écoutes , vous savez bien !"

mercredi 21 novembre 2018

TROIS MOUCHES 139 . TIGRE EN PAPIER

    Berthe fume en silence . Les panneaux publicitaires clignotent et s'éteignent le long du
périphérique . Un premier train de banlieue glisse au milieu d'éclairs et trois mouches ver-
meilles et merveilleuses bourdonnent contre nos chapeaux de paille . Je lui tapote la
nuque , sous les cheveux .

    Merveilleuses mouches de banlieue ! . Elles glissent le long du périphérique comme un
train d'éclairs , clignotent au milieu des panneaux publicitaires et s'éteignent . Nous nous
tapotons la nuque car , sous nos chapeaux de paille , nos cheveux bourdonnent . Berthe
fume en silence .

    Le bourdon d'une mouche vermeille s'est éteint avec le premier train de banlieue . Berthe
fume . Les merveilleux panneaux publicitaires glissent le long du périphérique et clignotent
sur sa nuque comme de silencieux éclairs . Sous mon chapeau de paille , je me tapote les
cheveux .

BOULE DE GUI

    En plus , il y a du vent . Plus nous montons , plus le peuplier oscille . Elle est au-dessus
de moi . Son harnais est relié au mien par une corde et un système compliqué de mousque-
tons . Mais il n'y a rien à faire : j'ai le vertige . Dix mètres en-dessous , le toit blanc de l'Opel
que nous avons louée à l'agence Hertz de Göteborg ressemble à un mouchoir de poche .
J'étreins l'arbre . "Ecartez-vous du tronc , nom d'une pipe ! … il n'y a pas de raisons d'avoir
peur … il n'y a pas de danger … assurez vos griffes ! …" Pour être assurées , elles le sont , profondément plantées dans l'écorce de ce foutu peuplier . Ce que je vois d'elle - Madame
Delplanque - au-dessus de moi , sont , dans l'ordre où ils se présentent : ses chaussures de
sécurité , ses jambes encore pas mal pour son âge , son short , la tronçonneuse thermique
Oregon accrochée dans son dos , ses lunettes protectrices et son casque . Elle semble parfai-
tement à l'aise , assise sur la corde de rappel . D'où tient-elle cette audace ? . Peut-être de
ses séances d'escarpolette dans son jardin de Marcq-en-Baroeul … "Les plantes épiphytes ,
vous savez ce que c'est ?" . Elle a ouvert un livre . Je le reconnais : "La fabuleuse odyssée
des plantes" par Lucile Allorge-Boiteau (700 pages . 29€) . Je lui ai offert l'an dernier .
"Oui , je sais ce que c'est" , dis-je le menton collé au peuplier . Elle veut reprendre l'ascen-
sion . La corde qui nous relie se tend . "Il y en a une  belle plus haut" . "Pourquoi avez-vous
besoin d'aller plus haut ? . Pourquoi d'ailleurs venir en Suède ? … des boules de gui , il y en
a plein nos belles campagnes ! … moi , je veux descendre" . J'ajoute : "Ce matériel d'élagage
(note : acheté au Flying Tiger de Göteborg) nous a coûté un paquet de couronnes (note : le 6
novembre 2018 à 17h51 , une couronne suédoise valait 0,097€) … j'en ai plus qu'assez ! …
et vous voulez ramener une de ces boules à Marcq-en-Baroeul ! … par Air France !?" (Göte-
borg-Landvette/Roissy-Charles de Gaulle)

lundi 19 novembre 2018

COTE 137 . 113 . PATATES

    C'est du gros . Le sol tremble sous nos pieds . "Du 420" , juge le capitaine … Qu'est-ce
qui leur prend aux boches ?

- Martial : "Qu'est-ce qui leur prend , mon capitaine ?"
- Le capitaine : "Je n'en sais rien , Martial"
- Martial : "Qu'est-ce qu'ils visent ?"
- Le capitaine : "C'est derrière nous … à un kilomètre …"
- Martial : "A un kilomètre ? … il n'y a rien à écrabouiller avec du 420 à un kilomètre …
pas de fortifications , pas de paisible village …"
- Le capitaine : "Il y a nos roulantes , nos pommes de terre … ils veulent nous affamer"
- Martial : "Nos roulantes !? … nos casseroles et nos pommes de terre avec du 420 !?"
- Le capitaine : "Rassurez-vous … ils perdent leur temps et leurs obus … nos roulantes ,
on les a changées de place … on s'y attendait … elles sont plus à l'ouest"
- Martial : "Qu'est-ce que vous en pensez , mon capitaine ?"
- Le capitaine : "Je pense que c'est de bonne guerre … les pommes de terre , c'est essentiel …
autant que les munitions"
- Martial : "D'accord , mais qu'est-ce que vous en pensez ?"
- Le capitaine : "Qu'est-ce que je pense de quoi ?"
- Martial : "Ce gâchis … ce gâchis des compétences"
- Depuis le début de ce dialogue , le capitaine n'a pas relâché son observation binoculaire
de la cote 137 : "Ce gâchis ? … quel gâchis ? … quelles compétences ? … je ne comprends
pas"
- Martial : "Cette batterie qui pilonne nos arrières … où est-ce qu'elle est ?"
- Le capitaine : "A 20 kilomètres … à peu près ..;"
- Martial : "Mazette ! … à 20 kilomètres !"
- Le capitaine : "……………."
- Martial : "Faut faire des grandes études pour être artilleur ?"
- Le capitaine : "Faut faire l'école d'artillerie … la leur est prestigieuse … une des meilleures
… la meilleure du monde … l'artillerie lourde surtout"
- Martial : "C'est pour ça que je parlais de gâchis … de gâchis des compétences"
- Le capitaine se tourne vers Martial : "Que voulez-vous dire ?"
- Martial : "Faire de si grandes études dans une si prestigieuse école … la meilleure du monde
… pour faire de la purée !"

vendredi 16 novembre 2018

CLAUDIA

Claudia en 1973 .
(Imagine , lecteur , Claudia en 1973)
Pellicule noir et blanc
Ilford Delta 400 Professionnal ,
Papier baryté spécial .

C'était à Los Angeles , si je me souviens bien .
L'appareil de Mike :
Un Pentax ES Reflex mono-objectif .
Il était équipé d'un obturateur électronique
Entièrement automatique ;
Le premier au monde .

Mike l'avait expliqué à Claudia …

Elle s'en foutait .

KRANT 146 . HONORONS-LE

    Dans l'unique configuration d'une lune pleine levée à l'arrière du Kritik et dans son
axe strict , on pouvait voir Monsieur Lee à la poupe , tourné vers l'éclat de notre satellite .
Hume l'accompagnait , la queue tournée vers le ciel . Monsieur Lee portait en cette excep-
tionnelle occasion une tenue de cérémonie ; c'est ainsi que je qualifiais la chasuble brodée
qu'il passait par-dessus sa tenue de cuistot . Il tenait dans ses mains jointes une bougie d'où
s'échappait une fumée jaunâtre qui dérivait en parallèle à celle de mes chaudières et à
notre sillage d'écume . Monsieur Lee s'agenouillait sur le pont puis , caressant Hume d'une
main , il lui présentait de l'autre la bougie . Hume la reniflait avec ce qui semblait une ex-
trêve prudence quoiqu'elle fut mêlée de dévotion . Une fois pénétré de la solennité de
l'instant , il s'asseyait à côté du Grand Prêtre . Monsieur Lee levait trois fois la minuscule
flamme vers la lune puis il la soufflait et jetait la bougie à la mer .

- "Adorez-vous la lune , Monsieur Lee ?" , osai-je demander une de ces nuits .
- "Nullement" , répondit Monsieur Lee … "Je n'adore ni dieux ni astres"
- Moi : "Mais ? …"
- Monsieur Lee : "J'honore le soleil"
- Moi : "N'est-ce pas la lune ?"
- Monsieur Lee : "Hi , hi , hi ! … qui dans la lune reflète sa lumière ?"