Quand la Reine de Saba eut passé l'âge de jouer les filles de l'air , elle
commanda à l'architecte Hiram la construction d'une porte monumentale
à l'entrée de Marib , la capitale du Royaume , car la porte d'une ville est
pour un bédouin ( peut-être aussi pour le citadin d'une ville d'Europe )
le lieu de convergence des points cardinaux et l'interface d'impérissables
antinomies : le dehors et le dedans , le plein et le vide , l'être et le néant ,
le nomade et le sédentaire et - bien entendu - le ciel et la terre . Elle convo-
qua les artistes en vogue car , à cette époque biblique , les habitants du
désert , s'ils vivotaient de pois chiches et de fromage de chèvre , sacrifiaient
volontiers au Dieu unique et l'art subventionné était un de ses agneaux de
lait . Ainsi affluèrent à Marib des tailleurs de pierre , les meilleurs de
l'Egypte , des peintres abyssins , des sculpteurs et la fine fleur des fresquistes
de Catar ; peu importait que la porte qu'ils bâtiraient donnât dans un
espace informe où un simoun poussif appliquait sur le pisé de masures
minables les immondices du caravansérail et roulait dans la poussière
des calebasses vidées par la dernière bande de pillards . Ce qu'il fallait
à la Reine , c'était un ouvrage ancré dans le provisoire mais qui marquât
le durable , voire l'éternel .
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