lundi 28 juillet 2014

COTE 137 . 10 . ADOLF

Un jour , nous relâchâmes un prisonnier …
Une patrouille nous avait amené un petit homme chétif portant moustache .
Il n'avait pas l'air commode . Le capitaine l'interrogea . Mais l'homme secouait
la tête . Martial , avec les quinze mots d'allemand qu'il connaissait , force gestes
et onomatopées , faisait l'interprète . "Où est ce fichu nid de mitrailleuses - tac-
tac-tac - qui nous empêche de dormir - schlafen , rrr-rrr - la nuit - die nacht ? …
combien - wiefiel soldaten - sur la cote 137 , combien toi chausser ? …" .
Mais l'autre secouait la tête . Le capitaine lui demanda ses papiers militaires …
nous le fouillâmes … rien … Martial : "Comment toi t'appeler ? … toi avoir
nom … toi avaler ta langue ?" … "Your firstname ?" , dit le capitaine … Le
prisonnier hésita . "I repeat : what is your first name ?" . Martial : "Mais c'est
de l'anglais , mon capitaine !" . Le capitaine : "Il ne comprend pas votre excellent
allemand , Martial , alors j'essaie l'anglais" . Il répéta : "Your firstname ?" .
"Adolf" dit l'allemand . "And your name ? … what is your name ?" demandait
le capitaine … Mais le boche répétait : "Adolf … Adolf …" . Martial : "Il a
pas l'air d'avoir inventé la poudre , Adolf … mais il a une bonne bouille , hein ,
mon capitaine ?" . Le capitaine : "Ne vous fiez pas , Martial" . Martial : "Une
bonne bouille , mon capitaine … cette petite mèche … je le vois autrichien …
peintre en bâtiment …" . Il prit la main de l'allemand et la retourna : "Pas bien
malin , mais de la suite dans les idées … si s'en sort , fera une belle carrière …"
Puis toujours gardant la main de l'allemand dans la sienne : "Qu'est-ce qu'on en
fait , mon capitaine ? … on peut pas le garder ici … on peut pas l'envoyer
derrière avec l'artillerie qui nous retourne le paysage … on l'abat ?" . Le capi-
taine : "Martial ! … les Conventions de Genève ! … vous avez raison , Martial …
on peut pas le garder … on va le renvoyer chez lui …" . Martial : "Ouais …
c'est-y pas du 39 ces belles bottes toutes neuves ?" . Et Martial poussa l'allemand
qui culbuta dans la boue . "Conventions de Genève ! … vous permettez , mon
capitaine ? … elles vont m'aller à râvir !" . Martial tira les bottes de l'allemand :
"Raus !" et il lui montra du doigt la cote 137 … "Raus ! … schnell !" …
L'allemand s'enfuit sans demander son reste . Nous le vîmes filer pieds nus .
Il disparut dans un boyau puis réapparut plus loin et il nous tendit le poing
en hurlant des amabilités dans cette langue subtile .
Assis au fond de la tranchée , Martial admirait ses nouvelles bottes .

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