A 65 ans , je pris ma retraite de la marine marchande . J'avais assez voyagé .
Je me retirai à Koenigsberg où je convertis le pécule amassé dans la fournaise
des salles de machines en une jolie maison sur les bords de la Pregolia . Le
capitaine , mon aîné de 4 ans , avait cessé de courir les mers avant moi . Je le
trouvais certains soirs assis sur un banc de fer au bout de la darse No 5 , sa
lourde paupière tournée vers la Baltuskaja Kosa où la lagune étincelle aux
reflets prodigieux du couchant . Mais je devinais que ces secondes culminantes
de la beauté du monde étaient pour Krant comme la fumée de sa pipe : le rideau
de scène devant quoi la raison jouait une pièce à multiples entrées . L'autre jour ,
un vol d'oies sauvages passa en cacardant sur le clocher de Baltiisk avant de
frôler les dunes du cordon littoral ; je suivais leur trajectoire et il semblait
qu'elles allaient s'écraser sur le soleil finissant avant que Krant pose une question
crépusculaire :
- Krant : "Dites-moi , Chef … la création vous paraît-elle cohérente ?"
- Moi : "…………….."
- Krant : "Je pose la question autrement : est-ce que l'idée de Dieu tient le cap ?"
- Moi : "…………….."
- Krant : "Vous ne dites rien ? … vous avez raison … et je pèse mes mots …"
- Moi : "…………….."
Que le capitaine pesât ses mots , de cela je ne doutais pas , mais je ne savais pas
de quel poids ils pesaient ...
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