La nuit , parfois , sous les paisibles latitudes , je me glissais derrière
la table à cartes . Il n'était nullement interdit d'examiner l'atlas mais
l'insolite inactivité du pont et le ronflement lointain des machines ,
comme l'écho d'une épouse abandonnée , conféraient à cette manie
un air illicite et clandestin . Je devinais à travers la vitre de la timo-
nerie l'ombre immobile de l'homme de barre à qui nous avions livré
nos vies et notre cargaison comme si , le temps d'un quart , nous
faisions l'impasse sur nos corps et nos biens .
Les cartes , çà n'était pas mon métier ; je ne choisissais pas les routes ,
ces jugements étaient la compétence du capitaine .
C'est étrange comme , au pli extrême d'une nuit d'été , on n'a pas besoin
d'éclairage dans une chambre à cartes . Le cosmos , la lune et l'écume
y pourvoient . Je regardais l'atlas et me gardais de tourner une page car ,
là où il était ouvert , là nous étions , quelque part dans les fibres du
papier entre ces ilôts , à l'entrecroisement des lignes de compas , au
large de côtes où j'imaginais des paillotes pleines d'enfants endormis
et de cochons domestiques et nous étions là , traversant l'humanité ,
les cales pleines de sable …
- Krant : "Ventrebleu , Chef ! … que faites-vous ici à cette heure ?"
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