lundi 28 juillet 2014

KRANT 11 . FOIN DE LA MÉCANIQUE !

Krant n'est jamais descendu dans la salle des machines . Du moteur Stirling ,
il avait une connaissance vague et livresque . Je lui faisais croquis des grands
principes mais je voyais bien que son regard bleu balayait distraitement ébau-
ches et explications comme ce avec quoi il faut bien compter . Peu importait
en somme la quantité de pistons . Qu'il y en eut dix ou douze ne changeait
rien à la route ; c'était affaire de compensation dont le calcul relevait du chef
mécanicien , c'est-à-dire moi . Je lui savais gré de cette confiance mais , chaque
fois qu'il le demandait , je montais sur le pont avec schémas et abaques pour
reconstruire la même leçon . En vérité , la question du comment l'indifférait .
Ce qui comptait relevait de la transcendance : lire dans les étoiles le cap à tirer
et obtenir des hommes le meilleur qu'ils pouvaient donner . En ce sens , Krant
était une sorte de demi-dieu marin et nous , hommes d'équipage , agnostiques
en diable , lui rendions un indéfectible culte . C'est à quai , avant le départ d'une
campagne , que le rituel atteignait sa comble mesure . Les hommes étaient alignés
selon leur rang et nous , quartier-maître , timonier et chef mécanicien , tels les
servants d'une messe , écoutions la parole du grand-prêtre dont le sens nous
parvenait non par le truchement d'une syntaxe mais par celui d'une onde grave
qui agitait les quatre osselets de nos oreilles .

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