Le Comte de Suscinio ordonna qu'on le transportât sur la grève . Un archer
anglais lui avait percé le foie et , si l'organe s'était reconstitué à force de viandes
faisandées , la plaie était infectée et les rebouteux avouèrent à ce guerrier couturé
de partout que cette fois ils ne le tireraient pas d'affaire et que son interlocuteur ,
désormais , c'était Celui qui - dans Son omnipotence - défait ce qu'Il a fait …
On confectionna donc une litière sur un double brancard et on traversa la demi-
lieue de marais qui sépare le château du cordon dunaire . Le Comte se fit déposer
près d'un bouquet de cristes , où le sable est sec . Il commanda à ses porteurs qu'ils
s'éloignassent , le laissassent en paix et se tussent (la pertinence de ces subjonctifs
imparfaits lui parut sujette à caution) ; qu'aussi ils vérifiassent (ils étaient payés
pour ça) que quelque anglais ne rôdait parmi les joncs qui vint lui gâcher ces
moments ultimes .
Quand il ferma les paupières , il sentit contre elles la douce chaleur du soleil
d'automne . Il se concentra sur le fracas du ressac . La vague s'écrasait à l'est puis ,
en même temps qu'elle refluait là-bas dans la pente en emportant les graviers , elle
s'ourlait devant lui et s'abattait en chuintant entre les bras du brancard et cette
spiration se répercutait par le fond vers l'ouest dans un roulement de galets suivi d'un
silence majestueux , comme une suspension d'être en forme d'entrée dans l'au-delà ,
avant qu'une autre vague , à l'est , venue de la nuit des temps , s'affale dans l'écume .
Le Comte comprit que cette porte , il ne devait pas la louper . Entre la douzième
et la treizième onde , il s'arracha de son corps pour l'éternité .
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