DESMOND 106 . MISTER FOUNTAIN

    Le Président , Henry Kissinger et moi dans le Bureau Ovale
(conversation enregistrée) .

- Le Président : "Il faut absolument faire venir ce Monsieur Fountain à la Maison
Blanche ! … he's so much fun ! … Desmond , demandez à mon ami Georges de
le mettre dans le premier avion pour Washington"
- Moi : "Georges , Mister President ?"
- Lui , ironique : "Georges , Desmond ! … pas George Washington ! … vous savez ,
je suppose , que Washington est mort depuis pas mal de temps !"
- HK : "Le 14 décembre 1799"
- Le Président soupire : la mémoire éléphantesque de HK l'insupporte . A moi :
"Desmond ! … Georges ! … Pompomgirl ! … le mari de la Grande Claude !"
- Moi , enfin raccord : "Monsieur Pompidou !"
- Le Président : "Je suis incapable de retenir ce nom bizarre … comment dites-
vous ? : Pompiou … Piou …"
- Moi : "Pompidou , Monsieur le Président … Pom-pi-dou … Georges Pompidou"
- Le Président : Ok , ok … demandez-lui de m'envoyer Fountain par le premier avion ,
en première classe … je paie le billet … Fountain is so hilarious !
- Moi : "Fountain ? … vous avez dit "Fountain" , Monsieur le Président ? … puis-je
avoir quelques précisions sur ce monsieur ?"
- Le Président me regarde . He looks stunned (il semble interloqué) : "Vraiment ,
Desmond , vous n'êtes pas en forme aujourd'hui … je vous ai connu plus réactif !"
- Moi : "Mais , Monsieur le Président , je ne vois pas de qui …"
- Le Pr : "C'est vous-même qui me l'avez fait connaître , Desmond ! … Mister Fountain
… John … Mister Crow , perched on a tree , was holding in his beak a cheese …
and so on"
- Moi : "Jean de La Fontaine !"
- Le Pr : "Et bien , faites le venir le plus tôt possible … j'ai besoin de détente … la vie
est si triste à Washington !"
- Moi : "C'est que , Monsieur le Président , ce Monsieur Fountain … je suis désolé …
ce Monsieur de La Fontaine est …"
- Le Pr se fâche : "Je me fiche que vous soyez désolé , Desmond ! … je veux ce
Monsieur Fountain dans le Bureau Ovale demain … ou après-demain !"
- Moi : "He's dead , Mister President"
- Le Pr : "Fountain ! … mort !? … quand ? … de quoi ?"
- HK : "Hélas , Monsieur le Président … Desmond is right , Mister Fountain is dead …
le 13 avril 1695 … de la tuberculose vraisemblablement"
- Le Pr : "Damn your knowledge , Henry ! … Desmond ! : transmettez immediatly
mes condoléances au Président Pompomgirl !" . Puis , quittant le Bureau Ovale :
"Ce sont toujours les meilleurs qui partent !"

TROIS MOUCHES 160 . JEUX DE MAUX

    C'est son père qui , habituellement , faisait faire sa petite promenade au chien autour
du pâté de maisons en fin de journée . Berthe proposa de s'en charger et je lui dis que
je l'accompagnerai . Ensemble , nous marchions le long du trottoir défoncé et familier ,
tandis que devant nous , Spot allait comme une flèche d'un réverbère à l'autre et que
trois mouches vermeilles et merveilleuses bourdonnaient contre nos chapeaux de paille .

    En fin de journée avec son chapeau de paille défoncé , le père de Berthe marchait
devant nous comme une flèche avec pour compagnon son chien Spot . Il lui faisait faire
le tour familier du pâté de maisons . Nous lui proposâmes de nous charger de cette pro-
menade habituelle le long des trottoirs et des réverbères où bourdonnaient de merveil-
leuses petites mouches .

    Je proposais à mon père de promener le chien en fin de journée . Habituellement défon-
cée , Berthe se chargeait de sa pâtée puis marchait devant nous . Nos chapeaux de paille
bourdonnaient sous les spots dans un ensemble familier . Le long du trottoir , les merveil-
leuses petites maisons nous accompagnaient tandis que trois mouches allaient comme des
flèches d'un réverbère à l'autre .

PARADIS 110 . LES GRANDES VACANCES

- Ève : "Qu'est-ce que tu regardes ?"
- Dieu est assis à son établi : "Tes descendants"
- Ève : "Caïn et Abel !? … ils se chamaillent au bord de l'Euphrate . Je les ai déposés là
cette après-midi pour avoir la paix … Caïn est insupportable !"
- Dieu : "Je regarde les descendants de tes descendants"
- Ève : "Y'en a beaucoup ?"
- Dieu : "Beaucoup trop ! … des milliards ! … c'est une affaire qui a dérapé"
- Ève : "Qu'est-ce qu'ils font ?"
- Dieu : "C'est l'été : ils partent en vacances"
- Ève : "C'est quoi les vacances ?"
- Dieu : "C'est quand tout s'arrête et que quelque chose commence"
- Ève : "C'est quoi qui commence ?"
- Dieu : "Les vacances"
- Ève : "…….?………"
- Dieu : "Je survole l'Autoroute A6 … surchargée … complètement bouchée à hauteur
de Savigny-sur-Orge , et plus au sud , au péage de Fleury en Bière , encore pire ! …
voyons ce qui se passe à Charles de Gaulle"
- Ève : "…….?………"
- Dieu : "Oh la la ! … la queue aux comptoirs d'enregistrement ! … les contrôles de sécu-
rité ! … les portes d'embarquement ! …" . A Ève : "Viens voir !"
- Ève s'approche : "Oh , Di-Di ! … c'est des fourmis ?"
- Dieu : "Ça y ressemble … en un peu plus intelligents mais ça ne se voit pas à première vue"
- Ève : "Qu'est-ce qu'ils font ?"
- Dieu : "Ils partent en vacances"
- Ève : "Mais c'est quoi les vacances ?"
- Dieu : "C'est le moment où ils ne travaillent pas"
- Ève : "Travailler ? … c'est quoi ?"
- Dieu : "C'est exercer un travail"
- Ève : "Un travail ? … ça sert à quoi ?"
- Dieu : "Qu'est-ce que j'en sais , Ève ? … c'est une invention de l'Homme …
demande à Adam …"

COTE 137 . 130 . VACHE PIE

    Sale moment . Quatre attaques contre la cote 137 en trois jours . Résultat : nul sur
le plan militaire . Juteux pour les fosses communes . Productif pour les hôpitaux de
campagne . Notre compagnie a morflé : 22 morts . Carpentier , Petit , Mahieu ,
Couvreur , Le Gall , Burel , etc … nous sommes épuisés , affalés au fond de la tranchée .

- Martial , pour lui-même mais aussi pour qui veut l'entendre : "Il y a quelque chose qui
grésille au fond de ma tête … je ne sais pas ce que c'est … tout au fond …"
- Nous tournons nos têtes vers notre camarade mais nous sommes trop hébétés pour parler .
- Martial persévère malgré tout dans son soliloque : "C'est quelque chose qui veut me dire
quelque chose"
- Le capitaine s'est relevé pour regagner son abri . En passant derrière Martial , il pose sur
son épaule une main amicale : "Qu'est-ce qu'elle vous dit cette chose ?"
- Martial , au bord des larmes , hésite : Elle me dit que Mahieu est vraiment mort"
- Le capitaine , baissant la tête : "Oui … pauvre vieux Mahieu !"
- Martial : "Il y a moins d'un jour , il faisait des projets … après la guerre , il allait acheter
une vache qu'il m'a dit"
- Tous , apathiques , nous regardons Martial .
- Martial : "Il n'y aura pas de vache dans son pré … nous n'avons qu'une vie … il n'y en
a pas d'autres"
- Le capitaine : "Qui sait ? …"
- Martial , intrigué , se tourne vers le capitaine : "Oui … vous avez raison , mon capitaine
… cette chose qui murmure au fond de ma tête , je l'entends à peine et je ne suis même
pas sûr qu'elle murmure … mais …"
- Le capitaine , à-demi levé , a approché son visage de celui de Martial toujours assis et
il a gardé sur son épaule sa main amicale : "Elle murmure … je suis sûr qu'elle murmure
… qu'est-ce qu'elle vous dit , Martial ?"
- Martial : "Elle me dit … elle me dit …"
- Nous , bien qu'abrutis , fixons les lèvres de Martial .
- Martial : "Elle me dit que Mahieu est dans son pré … avec une vache … une bretonne
pie noire … elle pèse au moins 300 kgs … elle a des cornes en forme de lyre …"

KOROTOJAK

- "Connaissez-vous Korotojak?"
- "Non … où est-ce ?"
- "Je ne vous le direz pas … c'est inutile : vous n'irez jamais à Korotojak … il n'y a rien
à voir , rien à faire là-bas"
- "Vous-même y êtes allé ?"
- "Non"
- "Comment dites-vous ? … Koro ? …"
- "Korotojak"
- "Vraiment , vous ne voulez pas me dire où ça se trouve ? … vous piquez ma curiosité …
un indice ?"
- "Allez , je ne suis pas mauvais bougre … je lève un coin du voile : Korotojak se trouve
sur le 51e parallèle … pile-poil dessus !"
- "C'est vague"
- "C'est déjà pas mal ! … faites tourner une mappemonde et suivez du doigt le 51e …
vous finirez par tomber dessus … fatalement"
- "Vous ne voulez pas me donner la longitude ?"
- "Non"
- "Pourquoi ?"
- "Si vous voulez voyager , mon vieux … et en avoir pour votre argent , allez à Venise ,
à Barcelone , au Mont Saint Michel … visitez le Wat Pho à Bangkok … faites du
shopping sur Oxford Street …"
- "Trop de touristes ! … non … de l'authentique … je veux de l'authentique … à Koro ? …"
- "Korotojak"
- "Cette ville existe au moins ?"
- "Oui , sur le 51e parallèle"
- "Tout le monde ne va pas à Korotojak j'imagine"
- "Je dirai même que personne n'y va"
- "C'est exactement ce qu'il me faut ! … vous êtes génial … franchement , une si chouette
destination ! … comment faites-vous ?"
- "Au pif …"

KRANT 170 . ACROBATIES

    Il prenait parfois à Hume une lubie : jouer l'équilibriste sur le bastingage du Kritik .
Les causes d'une telle conduite ne furent jamais élucidées mais ce caprice mettait le
timonier dans tous ses états :

- "Ce chat est fou ! … Hume , descends de là sale bête ! … par la couronne d'épines ,
ce chat va se fiche à l'eau ! …"
- Monsieur Lee : "Hi , hi , hi ! …"
- Le timonier , sans lâcher la barre : "Qu'est-ce qui prend à ce chat !? … plutôt que
dormir sur un tuyau de la chaudière ! … Hume ! …"
- Moi : "Laisse-le , timonier … Hume s'ennuie … Hume pimente son existence …"
- Le timonier : "Vois-tu pas , chef , qu'il tombe ! … un chat à la mer ! … tudieu ,
une première dans l'histoire de la marine marchande !" … éructant par le hublot de
la timonerie : "Hume ! … satané chat … es-tu sot ?"
- Toms , sur ces entrefaites : "Pas plus sot que nous ! … au milieu des mers sur ce tas
de ferraille"
- Krant , apparaissant sur la passerelle de commandement : "Messieurs , je ne vois
pas là de sottise … tout est question de maîtrise …"

DESMOND 105 . MADAME KISHI

    Bureau Ovale . Seul avec le Président .

- Lui : "Vous avez une voiture , Desmond ?"
- Moi : "Euh … oui , Monsieur le Président … une coccinelle"
- Lui : "Une coccinelle ? … c'est une voiture ?"
- Moi : "Oui , Monsieur le Président … une petite voiture allemande de marque Volkswagen
… la mienne est une coccinelle d'occasion"
- Lui : "Vous pourriez m'emmener ?"
- Moi : "Monsieur le Président ! … c'est une très vieille automobile"
- Lui : "Peu m'importe , Desmond ! … je dois voir Madame Kishi … et j'ajoute que l'idée
d'utiliser votre hanneton …"
- Moi : "Ma coccinelle , Monsieur le Président"
- Lui : "… que d'utiliser votre coccinelle m'enchante … j'en ai plus qu'assez de ces limousines
à rallonge … vous avez l'air conditionné ?"
- Moi : "J'ai bien peur que non , Monsieur le Président"
- Lui : "Sensass ! … quand partons-nous ? … c'est très urgent , Desmond"
- Moi . Je pense à l'effroyable état de l'engin , au capharnaüm qui y règne : boîtes de Coca
écrasées , pelures d'orange , miettes de pain , papiers … ; au fait que l'embrayage patine ,
que la vitre passager ne ferme plus . Et ma planche à voile (une Windsurfer toute neuve)
illégalement ficelée sur le toit et que je dois détacher depuis quinze jours ! .
- Lui : "Je dois rencontrer cette dame de toute urgence … incognito !"
- Moi : "Je pense , Monsieur le Président , que Marine One serait plus confortable"
(note : Marine One est l'hélicoptère présidentiel)
- Lui : "Desmond ! … vous me voyez atterrir sur la pelouse de Madame Kishi avec
Marine One !?"
- Moi : "Monsieur le Président … si je puis me permettre … qui est Madame Kishi ?"
- Lui . Il se penche vers moi à travers le Wilson Desk et murmure : "Madame Kishi est
une voyante … j'ai besoin de ses conseils"
- Moi . J'essaie de sauver les meubles : "Ne pourrait-on faire venir Madame Kishi à
la Maison Blanche ?"
- Lui : "Non , Desmond … Madame Kishi me dit qu'à la Maison Blanche elle ne voit rien
… et c'est très embêtant pour une voyante de ne rien voir , croyez-moi !"
- Moi : "…………"
- Lui : "Vous comprenez , Desmond … c'est au sujet de cette taxe de 10% sur les
importations … John (note : John Connally, le Secrétaire au Trésor) m'en a expliqué
l'intérêt … je n'ai pas compris grand chose … j'ai besoin des éclaircissements de
Madame Kishi"

L'ÉTÉ XV

Elles attendent l'été …

Viendra-t-il ?
Quelle sera sa couleur ,
Son humeur ?

Chicorée , coquelicots , pissenlit , cirse ,
Terrasses bondées , robes légères …

Elles attendent
L'été qui , peut-être ,
Ne viendra pas

… Ou passera devant elles
Sans les regarder

TROIS MOUCHES 159 . LA MALÉDICTION D'EDGAR

    Trois mouches vermeilles et merveilleuses bourdonnaient contre nos chapeaux de paille .
Je marchais avec Berthe au coin de la 57e et de Lexington . Elle voulait se promener seule ,
mais je ne tenais pas à rester enfermé à l'hôtel . J'ai insisté et elle , prise entre une curieuse
nécessité de s'évader en solitaire et son inclination à ne pas me contrarier , a fini par céder .

    J'ai insisté : "Berthe , je ne tiens pas à te contrarier mais est-il nécessaire de marcher jusqu'à Lexington ? . C'est une curieuse inclination" . Elle , enfermée dans son chapeau de paille et le bourdonnement de trois mouches , voulait se promener jusqu'au coin de la 57e , en solitaire … "M'évader" . J'ai fini par céder : je suis resté à l'hôtel .

    Rester à l'hôtel au coin de la 57e et de Lexington . Enfermée , solitaire , merveilleuse .
Ne pas se contrarier . S'évader dans cette curieuse et nécessaire promenade . Ne pas céder .
Marcher en bourdonnant comme une mouche contre un chapeau de paille . Seule , sans
inclinations . Ne tenir à rien . Ne pas vouloir avec insistance : Berthe .

PARADIS 109 . LE CORPS

    Adam est assis au bord de son champ , son araire versée à côté de lui . La sueur coule
sur son front . Dieu passe par là (Dieu passe partout , tout le temps) :
- Qu'est-ce que tu fais ?"
- Adam : "Je suis crevé . Je me repose"
- Dieu compte les 76,5 sillons qu'Adam a ouvert depuis que le soleil s'est levé "sur toutes
sortes d'arbres fruitiers dont le feuillage ne flétrira point et dont les fruits n'auront point de
fin" (Ezechiel 47:12) , à l'est d'Eden : "Ça ne m'étonne pas ! … je compte 76 sillons et
demi … pourquoi n'as-tu pas fini le soixante seizième ? … 77 sillons pour faire un compte
rond ?" (77 = symbole de la perfection) .
- Adam : "Je te l'ai dit : je suis crevé … je n'en peux plus"
- Dieu considère sa créature , échouée sur le bord de son champ : "C'est ton corps , mon
pauvre Adam ! … je l'ai conçu comme une limite … une fin … une prison …"
- Adam , les yeux à demi-fermés , souffle : "Sympa !"
- Dieu : "Qu'est-ce que tu veux , Adam … n'ai-je pas bien fait ? … regarde cette saloperie :
tu éventres ma terre … est-ce que ça n'est pas dégoûtant tout ça ?" dit-il en englobant d'un
large geste de la main droite ("Ta droite , Ô Eternel ! , a signifié sa force" Exode 15:6)
l'arpent dévasté par le premier homme .
- Adam , hagard , regarde son champ .
- Dieu : "D'autant que tu ne vas pas en rester là ! … tu as des projets grandioses !"
- Adam : "………."
- Dieu : "Ton âme aussi j'aurais dû la brider"
- Adam : "………."
- Dieu : "Mais ça , je ne l'ai pas fait …"

COTE 137 . 129 . DIEU SOURD-MUET

    Accalmie . De chaque côté , on recharge les canons .

- Martial : "Mon capitaine , croyez-vous en Dieu ?"
- Le capitaine sursaute : "Qu'est-ce que vous dites , Martial !?"
- Martial : "Croyez-vous en Dieu , mon capitaine ?"
- Le capitaine laisse tomber ses jumelles au bout de leur dragonne : "Quelle question !! …
est-ce bien le moment ?"
- Martial : "Il y a un moment spécial pour ce genre de question ?"
- Le capitaine , décontenancé : "Non … bien sûr que non … mais , maintenant …
en plein combat ?"
- Martial : "Il me semble - au contraire - que c'est une bonne question et le bon moment
de la poser"
- Le capitaine : "……….."
- Martial : "Je trouve , moi , que Dieu ne nous parle pas beaucoup ces temps-ci"
- Le capitaine reprenant ses observations binoculaires : "Il a probablement autre chose
à faire"
- Martial : "Il parlait plus avant"
- Le capitaine : "……….."
- Martial : "Peut-être pense-t-il qu'on ne peut plus l'entendre"
- Le capitaine : "……….."
- Martial : "Pas étonnant ! … avec le boucan que nous faisons !"
- Le capitaine : "……….."
- Martial : "Ou , à cause de ce boucan , il est devenu sourd … ou peut-être que ce
tintamarre le dérange"
- Le capitaine : "……….."
- Martial : "… et il est parti"
- Le capitaine : "Où voulez-vous qu'il aille ?"
- Martial : "Oh , il peut aller où il veut ce veinard ! … c'est pas comme nous …"
- Le capitaine : "…..?….."
- Martial : "… comme nous : pris dans ce traquenard"

VACHELLIA NILOTICA

    Notre 4x4 blanc - Opel Frontera loué à l'agence Hertz d'Asana - est comme un bloc
de sel , à 50 mètres du camping-gaz qu'elle (Madame Delplanque , qui d'autre !?) vient
de poser sur le sol pétrifié , au bord des eaux minéralisées du Lac Assal où se couche
un soleil géant : "Qu'est-ce que vous allez nous mijoter là-dessus ?" , lancé-je excédé .
"Il fait 50° à l'ombre et dites-moi : de l'ombre , vous en voyez ?"
- Elle : "Vous n'êtes jamais content" . Elle sort de son sac à dos une petite casserole ,
une bouteille en verre et son contenu de couleur rouille , et un tronçon de baguette
rassise : "Une soupe de poisson … avec des croûtons" . Elle me tend la casserole et me
désigne  du menton le lac en cours d'évaporation : "Allez me chercher un peu d'eau" .
L'eau du Lac Assal est très salée , record mondial , paraît-il , plus salée que la Mer Morte .
Je recueille un peu de cette blancheur aqueuse et reviens en maugréant vers ma compagne
de voyage accroupie devant son réchaud : "Qui vous a parlé du gommier rouge ? … il n'y
a pas la moindre trace de végétation ici"
- Elle : "La fille de Hertz"
- Moi : "La fille de Hertz !? … elle vous a semblé fiable question botanique ?"
- Elle : "Vachellia Nilotica … gommier rouge" , égrène-t-elle en versant le contenu de la
bouteille dans la casserole d'eau saumâtre … "oui , elle avait l'air de s'y connaître" ,
assure-t-elle . Elle craque une allumette et tourne la mollette du gaz butane : pfuit ! - une
petite flamme jaillit .
- Je me suis accroupi près du réchaud , face à Madame Delplanque . Je regarde la dépres-
sion qui , tout autour de nous , s'assèche : "Pas un arbre , pas un arbuste , pas un buisson"
- Elle a sorti de son sac une cuiller en bois (elle pense à tout) puis , tout en touillant :
"Écoutez , il y a deux explications possibles"
- Moi : "Deux explications de quoi ?"
- Elle : "De l'absence de Vachellia Nilotica"
- Moi : "Quelles sont-elles ?" . Des bulles oxyde de fer se forment sur la surface de la
soupe . Elle explosent en mini-flop ! dans le silence monumental de l'Afar . Je répète :
"C'est quoi ces deux explications ?"
- Elle : "Soit la fille de Hertz est une petite conne prétentieuse … soit …"
- Moi : "Soit ?"
- Elle : "Soit , je me suis trompée de désert"

HONNINGSVAG

    Quand je m'éveille , Honningsvag  se met à fuir . Sa digue hautaine et désolée ,
toute de pierres de taille , coupée d'escaliers , ses vertiges , sa couronne de parapets ,
il me reste moins d'une minute (le temps de l'oubli) pour en fixer les contours , mais
c'est peine perdue : les pêcheuses à pied dans leur longue robe , avec leur coiffe ,
leur panier d'osier et leur air de prier l'ange s'effacent et les reflets du ciel sur le platier ,
aussi . Où sont les hommes ? . En mer . Ou perdus . Ou allongés sous les dalles de
granite , là-haut , au pied de l'église . Honningsvag s'amenuise , je ne peux rien y faire ;
elle va disparaître mais j'y reviendrai une autre nuit , à l'intérieur d'un autre rêve incom-
préhensible . J'y reviendrai comme d'habitude par la campagne qui , derrière elle , s'étale
sur un sombre plateau traversé par un chemin où l'on progresse les yeux fermés . C'est
peut-être à l'épaisseur des oreillers qu'on doit cette impression .

KRANT 169 . PATATE DOUCE

- Le timonier : "Ces indiens sont des sauvages ! … tout juste ont-ils trois mots pour
parler ! …"

    Nous étions sur le quai de Putù . Monsieur Lee achetait des fruits et des légumes à
des femmes arawaccs .

- Monsieur Lee au timonier : "Comment appelez-vous ceci ?"
- Le timonier : "Une patate douce , pardi !"
- Monsieur Lee : "Hi , hi , hi ! … les Arawacs ont treize mots pour le dire …"
- Le timonier : "…….?…….."
- Monsieur Lee : "Aga" si c'est une patate de petite taille , "Aga-ô" si sa taille est
moyenne .  Ils nomment "Aga-yoma" une patate de grande taille , "Agaunbna"
une forme contournée ,  celles qui sont rougeâtres ils les appellent "Agaômaro" ,
les longues "Agaloto" , les jaunes  claires "Aga-o-toyo" , celles qui ont une peau
épaisse "Ô-aga-toma" ou fine "Yoto-aga-mô" ,  si elles ont une forme de lune
"Yoto-mâ-aga" , la forme d'un boeuf "Awak-aga" . Quelques-unes ressemblent au
dieu des champs : "Aga-mâ-toyo-go" . Elles sont très rares . Les Arawacs ne les
vendent pas …"
- Le timonier : "……………."
- Monsieur Lee : "Les Arawacs ont cent deux vocables pour la banane"
- Le timonier : "……!?………"
- Monsieur Lee : "… mais aucun pour timonier"
- Moi : "Parlez-vous la langue des Arawacs , Monsieur Lee ?"

    Monsieur Lee ne répondit pas à cette question .

DESMOND 104 . SUCCESSION

    Family Dining Room au 1er étage de la Maison Blanche . Le Président reçoit un promo-
teur immobilier richissime et son fils pour un déjeuner privé . Je suis convié . Le repas
terminé et les invités congédiés , Eugene (Eugene Allen , le majordome) , dessert la table .
Le Président et moi sommes seuls ; il a allumé un cigare .
- Lui , à travers une première volute de fumée : "Qu'en pensez-vous , Desmond ?"
- Moi : "Euh … de quoi , Monsieur le Président ?"
- Lui : "Mais … de ce type , bien évidemment ! … je ne vous demande pas votre avis sur
les excellentes croquettes de poulet - Cordon Blue ! - que nous a cuisinées Henry (note :
bien entendu , cet Henry n'est pas Dear Henry ! . Pour mes lecteurs peu familiers de la
Maison Blanche , il s'agit ici d'Henry Haller , le chef-cuisinier !) … à propos , comment
les avez-vous trouvées ?"
- Moi : "Vos invités ?"
- Lui : "Non , Desmond ! … vous mélangez tout … je vous parle des croquettes … com-
ment les avez-vous trouvées ?"
- Moi : "Épatantes , Monsieur le Président"
- Lui : "Et ce type : Fred Trump"
- Moi : "Oh , Monsieur le Président , si je puis me permettre … ce monsieur me paraît …
euh … comment dire ? … excessif ?"
- Lui : "Excessif ? … c'est un escroc … ni plus , ni moins"
- Moi : "………"
- Lui : "Et son fils … comment s'appelle-t-il ? … Dalton ? … Donny ? …"
- Moi : "Euh … Donald , me semble-t-il"
- Lui : "Mal embouché … I've never seen that ! … il a renvoyé les croquettes … ça ne lui
plaisait pas … Monsieur préférait un steak … saignant si possible ! … quel âge peut-il
avoir ce blanc-bec ?"
- Moi : "Dans les 25 ans , Monsieur le Président"
- Lui : "J'ai parlé à son père en aparté … je lui ai donné l'adresse d'Arnold"
- Moi : "Arnold ?"
- Lui : "Arnold Hutschnecker , mon psychiatre"
- Moi : "Vous avez un … euh …"
- Lui : "N'ébruitez surtout pas ça , Desmond ! … pour l'amour du ciel ! … ça m'a échappé
… je ne vous ai rien dit … si un de ces muckrakers (note : fouille-merde) du Post
l'apprenait !! … le fiston … ce Dalton … ce …"
- Moi : "Donald"
- Lui , après avoir tiré une énorme bouffée de son cigare : "Donald ! … le canard
colérique ! … oui , il a besoin d'un psychiatre"
- Moi : "………."
- Lui : "Il va succéder à son père"
- Moi : "Vous croyez ?"
- Lui : "C'est son père qui me l'a dit , pardi ! … vous voyez ce jeune dingue à la tête de
cette société immobilière !?"
- Moi : "……….."
- Lui , pensif , regarde le plafond où stationne la fumée de son cigare : "Pourquoi pas
Président des États-Unis ?"