vendredi 8 avril 2016

GARE AUX OISEAUX !

    Je ne vois pas pourquoi on ne retracerait pas aujourd'hui l'histoire de Pica Eschato-
logica , cet oiseau de malheur … On a bien fait ce travail pour le pluvier argenté dont
pourtant l'existence ne porte pas à conséquence . Pica Eschatologica a vécu jusqu'à sa
funeste conversion sur les herbiers (zostères) d'Eucla , en bordure maritime de la plaine
de Nullarbor et , bien que certains le prétendent , aucune étude ne prouve qu'elle fut
omnivore et aucune observation qu'elle consommât les bigorneaux de ce rivage . Com-
me son biotope d'origine est cerné au nord par le Grand Désert De Victoria et , au sud ,
par l'Océan Indien , Pica Eschatologica fut contrainte à l'endogamie et , pendant des mil-
lénaires (au moins depuis la dernière glaciation) , sa population fut stable , limitée par
l'espace , les subsistances et la pratique systématique de l'élimination des vieux et des
faibles . Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes . Jusqu'à l'arrivée
de l'homme , cet éternel gaffeur , au néolithique . L'homme (Homo sapiens sapiens !)
investit la baie d'Eucla d'abord au compte goutte à raison de misérables groupes puis -
ainsi en va-t-il avec cette engeance invasive - en une ruée non moins misérable comme
on en a connue en d'autres lieux et en d'autres temps . Or , sur les herbiers d'Eucla , il
n'y avait pas place pour Pica Eschatologica et ces préhistoriques colonisateurs . L'oiseau
abandonna le territoire pour en conquérir un autre qu'à cause de siècles de bien-être et
d'insouciance il avait négligé : le Grand Désert de Victoria . A première vue , il n'y a
rien dans ce désert qui convienne à un oiseau herbivore . Mais c'était sans compter sur
l'extraordinaire adaptabilité de Pica Eschatologica . Par grandes nuées , elle sauta une
latitude , s'abattit sur les maigres buissons du bush et , ceux-ci engloutis , périt en quasi-
totalité . On put croire que s'en était fini de l'espèce et l'humanité eut été bien aise que
c'eut été le cas . Quelques échantillons cependant survécurent , les plus aptes , les plus
inventifs , en modifiant du tout au tout leurs habitudes alimentaires . La chronique orni-
thologique n'a pas d'exemple plus foudroyant de reconversion . De végétarienne , Pica
Eschatologica se fit carnivore avec férocité . Les kangourous firent les frais de ce cham-
boulement gastronomique . La race profita de ce régime carné . De générations en gé-
nérations , les individus doublèrent et triplèrent de volume , leur population et leur ter-
ritoire aussi , en proportion . De délicate oie nicheuse , comptable de ses oeufs et volon-
tiers casanière , Pica Eschatologica se tailla l'habit d'oiseau de proie . Et l'homme , incor-
risible migrant , fut le vecteur de l'apocalypse . Pica suivait l'homme , ses basses-cours ,
ses clapiers et ses enclos où elle prélevait sa part . Ses escadrons attaquaient ici un pou-
lailler , là un porc dans sa fange ou un boeuf isolé et , en moins de temps qu'il ne faut
pour l'écrire , ils abandonnaient aux chiens des carcasses impeccablement décharnées .
L'homme , comme toujours , s'accommodait des plaies . Il poussa l'étourderie , moyen-
nant une poignée de dollars , jusqu'à exporter cet oiseau de malheur sur d'autres conti-
nents et l'on voit ce qu'on voit de nos jours : hier à Berdiansk , au bord de la Mer d'Azov ,
une colonie de vacances décimée , hier encore , à Pirisk dans les marais du Pripet à deux
mille kilomètres de Berdiansk , un autobus scolaire décapé à coups de becs , aujourd'hui
dans notre propre et paisible pays , à Croix (59170) , un bambin énucléé dans son landau !

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