lundi 26 février 2018

PARADIS 84 . LA PREUVE

- Ève : "Di-Di ! … où c'est que t'étais passé ?"

    Elle entre dans l'atelier . Dieu travaille à son interminable Création .

- Dieu : "Ève ! … content de te revoir ! … j'étais occupé avec Adam … des discussions
à n'en plus finir … nous sommes rarement d'accord lui et moi …"
- Ève . Elle pose un baiser sur le front de son Créateur : "Pas d'accord sur quoi ?"
- Dieu : "Par exemple et pour commencer , sur mon existence"
- Ève : "Ton existence !? … ben t'es là , non ?"
- Dieu soupire : "Ouais … ça lui suffit pas , il veut une preuve"
- Ève . Elle rigole : "Une preuve !? … beeeeurk ! … c'est dégoûtant … c'est moche
ces tentracrules !"
- Dieu : "Une preuve , Ève ! … pas une pieuvre … et c"est des tentacules … et c'est
pas moche …….. Adam , ce qu'il veut c'est une preuve"
- Ève : "C'est quoi ?"
- Dieu . Tout compte fait , les discussions avec Adam , on avance … on n'est pas sans
arrêt à reprendre à zéro : "Une preuve … euh … une preuve , c'est un raisonnement
qui permet d'établir de manière irréfutable la réalité de quelque chose … ou de quelqu'un"
- Ève : "C'est quoi irré… irré… comment t'as dit ?"
- Dieu : "Irréfutable : qu'on ne peut pas contester"
- Ève : "C'est quoi contester ?"
- Dieu . Il a perdu l'habitude mais elle est tellement charmante ! : "Contester , c'est mettre
en doute , ma chérie"
- Ève : "En doute ?"
- Dieu . Il fatigue : "Le doute , c'est … c'est quand on n'est pas sûr de quelque chose"
- Ève : "Par exemple , qu'il y a des bonbons à la menthe dans ton tiroir"
- Dieu : "Si tu veux … c'est un bon exemple"
- Ève : "Et c'est tout ?"
- Dieu : "C'est tout quoi ?"
- Ève : "Adam … c'est tout ?"
- Dieu . Il a perdu les pédales : "Quoi , Adam ? … qu'est-ce que tu veux dire ?"
- Ève : "Il doute que t'existes ?"
- Dieu . Il a retrouvé le fil : "Oui , c'est exactement ça , Ève … il fait même plus que douter"
- Ève : "T'inquiète ! … il comprend rien !"

dimanche 25 février 2018

ETOSHA PAN

    C'est une ville couverte de sel .

    L'âme … Je dis "l'âme" non par opposition au corps mais par apposition
car l'âme et le corps des habitants d'Etosha Pan ne sont pas plus disjoints
qu'ailleurs ; ils sont sauf exceptions - il y a des saints et des fous partout -
sagement rangés l'une à côté de l'autre . Malgré cela , l'homme (ou la femme)
d'Etosha à qui vous serrez la main n'est pas - corps et âme - précisément ici ,
mais là , légèrement décalé , pas loin assurément , à une distance incalculable ,
non que cette distance soit si grande qu'on ne peut la calculer - elle est minime
comme je viens de le dire - mais elle est impossible à déterminer par le calcul .
Est-ce un effet du sel ou de l'incandescence du lieu ? … ou des deux cumulés ?
… les gens d'Etosha Pan semblent à côté d'eux-mêmes . A dire vrai , la locution
prépositive "à côté de" est impropre . Elle induit espace et géographie . Les gens
d'Etosha Pan ne sont pas à côté d'eux-mêmes mais ils ne sont pas où il est coutu-
mier de se trouver . C'est aussi le cas de leurs animaux , de leurs outils de paludiers
et de leurs maisons . Peut-être s'agit-il bonnement de cette aberration optique qu'on
appelle "mirage" ...

samedi 24 février 2018

L'ABBÉ TONIÈRES 18 . BRICO DÉPOT

    L'abbé entre sur le parking de Brico-Dépôt . Il cherche une place . Il n'y en a pas .
Sauf bien entendu la place réservée aux handicapés . Elle est comme d'habitude libre
d'occupation puisque , du fait de son handicap , un handicapé ne bricole pas . En bonne
logique , c'est là que l'abbé range les quatre pneus 225-345 de sa Ferrari .

- Un vigile : "Monsieur ! … vous ne pouvez pas … il est interdit de …"
- L'abbé , s'éjectant de l'automobile dans un tournis de soutane : "Mon fils , vois comme
je suis handicapé"
- Le vigile : "…………?………….."
- L'abbé : "Mon handicap n'est pas visible à première vue"
- Le vigile : "………………………"
- L'abbé . Il tourne sur lui-même et sa soutane suit le mouvement dans un joli décalage :
"N'ai-je pas l'air léger ?"
- Le vigile : "Vous me semblez en super-forme , mon Père"

    Jeanne s'extrait péniblement de l'habitacle . Elle est assise à cinq centimètres du sol .
Elle pivote avec son sac en bandoulière et sa jupe plissée .

- L'abbé . Il désigne au vigile Jeanne-Marie à quatre pattes sur le parking : "Mon handicap
est là mon fils … vois comme il est lourd …"
- Le vigile : "Avez-vous votre carte , mon Père ?"
- L'abbé : "De quelle carte parles-tu  ? … Jésus a-t-il demandé sa carte à l'aveugle ? …
au lépreux ?"
- Le vigile : "C'est le règlement , mon Père"
- L'abbé à Jeanne-Marie . Elle est debout est se frotte les genoux : "Je parie que vous avez
oublié notre carte au presbytère"
- Jeanne-Marie : "Quelle carte ? … quel presbytère ?"
- L'abbé au vigile : "Vois mon fils … ma vie est un calvaire …"

vendredi 23 février 2018

TROIS MOUCHES 113 . CATALINA

    "Catalinaires , qu'est-ce que c'est ?" demande Berthe en levant de son livre
un nez en trompette . "Ce sont les quatre harangues de Cicéron contre Catalina" ,
réponds-je un brin savant . Trois mouches vermeilles et merveilleuses bourdonnent
contre nos chapeaux de paille .

    Cicéron haranguait trois mouches à brun qui bourdonnaient autour de son nez et
Catalina se demanda en levant son chapeau quoi répondre à cette trompette .

    Berthe bourdonna en levant le nez des Catalinaires . "Qu'est-ce que c'est que ces
quatre harangues de brun ?" demanda-t-elle à Cicéron . "Je t'y mouche … c'est un
contre , une trompette vermeille" , répondit ce merveilleux savant .

jeudi 22 février 2018

KRANT 119 . L'UN

    J'aimais ces nuits d'Atlantique Sud , douces et légèrement berçantes . Je sortais sur
la passerelle déserte un vieux pliant en toile et j'allongeais les jambes sur le bastingage .
Elles faisaient une sorte de banquette confortable et il était inutile d'appeler Hume pour
qu'il sortît de nulle part et vînt s'y inscrire dans un rond parfait .

    Alors nous foncions à trois sous les étoiles , dans un monde ordonné , envers du chaos
et des tempêtes , où chaque chose obéissait aux lois intemporelles . A ma béatitude ,
s'accordaient le ronronnement mécanique de Hume et celui non moins réglé au quart de
tour du Kritik , rafiot que j'avais tant maudit , mais qu'à ce moment j'aimais comme un
frère .

    Je caressais d'une main distraite le pelage de Hume et , l'oreille pas moins vague ,
j'entendais le ronflement des pistons Stirling . A cet instant de basculement , nous étions
encore trois êtres distincts comme les adjuvants d'une matière principale au point de
dégueuler d'un cubilot dans une fusion qui serait l'Un ...

mercredi 21 février 2018

LINGSTRÖM . VERSION IV

    J'étais sonné … je n'aurais pas dû dormir … le soleil de mars était haut dans le ciel ,
pâle et suspendu dans une brume légère … je bâillai et roulai sur la hanche . Par-delà
la rangée d'oyats s'étendait l'immense plage qui longe d'un bout à l'autre la Wadden
Zee . Elle est déserte à cette époque de l'année . Pas de promeneurs , pas de véliplan-
chistes , pas un vététiste sur l'étroit sentier de la dune … 15h30 … je m'agenouillai et ,
les fesses calées sur les talons , j'ouvris mon havresac . J'en sortis un livre écorné :
"Pnine" , le quatrième roman américain de Nabokov . J'étalai sur le sable une serviette ,
m'allongeai sur le ventre et repris mon bouquin où je l'avais laissé , à la page 141 , quand
Pnine regagne sa maison avec le ballon qu'il compte offrir à son fils d'adoption : Victor …
15h35 … que fait Lingström ? … il devrait être là … Victor écoutait Pnine et Pnine parlait
en anglais avec l'accent russe … "Morane !" … je sursautai et me retournai : Lingström
sortait de la dune , sa rondouillarde personne seulement vêtue d'un ridicule slip de bain .
Son nombril avait disparu dans un pli de son ventre . Je vis qu'il avait apporté ce qu'il
fallait : le porte-documents coincé sous son bras droit . Je m'esclaffai : "Vous êtes fou ,
Lingström ! … nous sommes au mois de mars !"

mardi 20 février 2018

TOROUL-BOROUL

    Toroul-Boroul est cette ville au bout des voies ferrées .

    Avant que la motrice de Jakutsk tamponne ses butoirs sur ceux du dernier quai ,
d'innombrables préposés , perdus dans ce territoire inculte , auront manoeuvré des
centaines d'aiguillages .  Vous aurez laissé à l'est Dorgoncy et d'autres bourgades
connues des seuls lecteurs d'atlas , traversé par un viaduc construit sur ordre d'une
reine ou d'un soviet le cours tumultueux de l'Aldan puis , derrière une montagne ,
longé les eaux non moins bouillonnantes du Sartang jusqu'à Verchojansk où les
collines steppeuses auront englouti ce qui reste de soleil . Un employé , ultime
aiguilleur de la ligne , orientera vos rails d'un coup de levier sec vers Kazacje -
cinq minutes d'arrêt inutiles - enfin Toroul-Boroul , terminus …

    On ne peut pas aller plus loin . Qu'allez-vous faire à Toroul-Boroul ?

    Il fait nuit quand le train entre en gare car , ici , les jours sont si courts qu'il y a
peu de chance qu'un lambeau de clarté ait échappé au basculement de la terre . Vous
êtes le seul passager et votre valise le seul bagage à peser dans les filets . Seul aussi
sur le quai . Vous longez la motrice , électrisée encore , et qui vous a tiré depuis avant-
hier jusqu'ici … Derrière son guichet , un contrôleur est la seule âme qui vive à moins
que - si vous l'avez prévu et vous auriez bien fait de le prévoir car l'hôtel est à deux
bons kilomètres - un chauffeur de taxi ne somnole sur un banc du hall . Comme nul
chauffeur de taxi ne somnole et que le banc est vide , vous sortez de la gare par la
grande porte battante , vous traversez une route déserte , celle qui relie Mys Sv'atoj Nos
à Toroul-Boroul , et vous posez votre valise sur un parapet . Alors les yeux vous
piquent , les narines vous brûlent et quelque chose bat à vos pieds comme un énorme
coeur froid : l'Océan Glacial Arctique .

lundi 19 février 2018

TOMÀS LE BIEN-AIMÉ

    Mon nom est Torquemada … Tomàs de Torquemada … on me dit implacable …
je le suis … 100.000 cas examinés … juifs … converses … relaps … 2.000 exécu-
tions au bas mot … à Cordoue , Cindad Real , Valadolid , Saragosse … en Castille ,
en Aragon … par le feu ou la pendaison … des bûchers , des gibets dans toute l'Es-
pagne … des tortures ? … oui , des tortures à partir de 12 ans pour les filles , de 14
ans pour les garçons … supplice de l'eau , broyage des membres , plomb fondu ,
fer rouge , élongation , chaise à clous , garrot , gril , empalement , bouc des sorcières ,
cuisson à feu doux , ébullition , écartèlement , brodequins , estrapade , rouleaux à
épines , poire d'angoisse , vierge de Nuremberg , et j'en passe … des aveux en pagaille ,
des coupables … ça marchait le tonnerre , n'en déplaise à Sixte … l'hérésie éradiquée
… juifs et morisques expulsés , dépouillés , spoliés … l'or pour l'Église … Notre Christ
Miséricordieux … Notre Christ Victorieux … ma vie fut pleine , au service du Seigneur
… Auto De Fe … j'ai brûlé des quintaux de Talmuds !

    Ad Majorem Dei Gloriam !

dimanche 18 février 2018

TROIS MOUCHES 112 . MER ROUGE

    Nous allions en Amérique . Nous avions quitté Le Havre sur une mer rouge sang .
Il ne faisait pas chaud et cependant trois mouches vermeilles et merveilleuses bourdon-
baient contre nos chapeaux de paille . "Ça me rappelle une eau-forte de Dali" , dit
Berthe .

    Une mouche d'Amérique rappelait à Berthe qu'aux havres merveilleux elle avait
bourdonné sur une Mer Rouge , si chaude et si vermeille , que le sang de Dali avait
quitté ses eaux-fortes et la paille de son chapeau .

    Je rappelai à Berthe que Dali avait quitté son havre pour l'Amérique . Trois mers
de mouches bourdonnaient et leurs fortes eaux , rouges et chaudes comme un sang
vermeil , allaient contre nos chapeaux .

samedi 17 février 2018

KRANT 118 . PURE CONTEMPLATION

    Je trouvai Krant sur la passerelle de commandement . Une brise tiède soufflait
par petits à-coups . Le capitaine avait les mains croisées derrière le dos et la pipe
plantée dans un coin de la bouche . Il regardait droit devant lui où il n'y avait que
le lugubre flot . Hume (notre chat) était assis à côté de lui dans la même contem-
plation du néant .

- Moi : "Capitaine ?"
- Krant , comme tiré de quelque part qui n'était pas ici : "Ah , chef ! …" . Puis
reprenant sa position initiale : "Je tentais d'imiter mon Maître … me dépouiller
de ce que je sais … retrouver le monde originel" . Krant souriait . Il me regardait
du coin de l'oeil , amusé .
- Moi : "Votre Maître , capitaine ?"
- Krant , penchant légèrement la tête vers la droite : "Ne le voyez-vous pas ? …
il est assis à ma droite … en communication directe avec le réel"
- Moi : "Hume !? … Hume est votre Maître !?"
- Krant : "Qui d'autre sur ce bateau pourrait m'enseigner la pure contemplation ?"
- Moi : "La pure contemplation , capitaine ?"
- Krant : "Réduire à rien les mots et la pensée qui nous séparent du monde …
entrer dans les choses … j'admire en Hume cette faculté … Monsieur Lee avoue
qu'après des années d'ascèse , il n'obtient qu'une extase très imparfaite"
- Moi : "Mais , à quoi tout cela sert-il , capitaine ?"
- Krant : "Chef … mieux que le spectacle de la mer , être la mer …"

vendredi 16 février 2018

LA MER D'OKHOTSK

    Soleil et lune s'opposaient . C'est aux marées de quadrature que j'ai retrouvé
ton corps sur la grève de Kouchtoui . Je t'avais dit : "Pas l'hiver !" . Il (ton corps)
a demi-enfoncé , eux (tes cheveux) perlés de cristaux , elle (la mer) sans couleur ,
blanche en son centre et bordée de noir comme un faire-part de décès . Seule , si
loin de tes bases ; j'avais dit : "Non !" . J'ai fait aussi vite que j'ai pu car , tu le sais ,
le jour est ici un trait de lumière sur Kamchatka . Je t'ai prise par les épaules et j'ai
tiré de toutes mes forces . La glace a fini par céder et je me suis affalé sur le dos
aves ton corps rigide et son piédestal de sable . Je t'ai hissée sur la toundra par une
faille de la petite falaise . Tu résonnais sur les cailloux comme un glas . Là-haut ,
j'ai attaqué le permafrost à la pelle-pioche . Au bout d'une demi-heure , j'avais à
peine extrait quelques éclats . J'ai fait pivoter ton corps sur son socle et l'ai tourné
vers le rivage où s'entrechoquaient des cubes de glace . Je me suis assis , encore
haletant , à côté de toi . Nous avons regardé une dernière fois la Mer D'Okhotsk …

    Moi , avec mes souvenirs ; toi , avec tes yeux de verre .

jeudi 15 février 2018

FACTUM DU PROFESSEUR DESHERBES EN PRÉVISION DU PRINTEMPS À VENIR

    Quel attachement stupide avons-nous pour les fleurs ! … en ont-elles pour nous ?
… non . La nature , amis défolieurs , est indifférente . Elle ne se soucie pas de l'homme .
Elle exulte , se multiplie et se répand . Son mode est la profusion : pléthore des formes ,
débauche des couleurs , excès des senteurs . Elle se propage pour personne ; c'est son
principe actif : envahir , déborder , grimper , s'épanouir , sans projet particulier , sans idée
directrice , progressant à coups de hasards et de nécessités , aveugle et inintelligente ,
cependant sûre d'elle . On s'extasie avec naïveté sur une Renouée du Japon , on admire la
grâce de son épi de cymes triflores et la délicatesse de sa blancheur , certains poussant la
candeur jusqu'à l'encourager , pendant que sous terre elle prolonge de longs rhizomes
invasifs . La nature ne pense pas et pourtant elle nous parle . Que dit-elle ? . Que nous dit
la nature ? . Les glaïeuls , chers adhérents , les géraniums et autres roses nous disent qu'un
jour ils et elles auront notre peau , qu'ils et elles détruiront nos villes et ce que nous avons
construit ; qu'à l'empire de la conscience , ils et elles substitueront la dictature de
l'innocence ...

mercredi 14 février 2018

DESMOND 82 . LES GÉRANIUMS 4

    Transcription d'une communication téléphonique marquée : enregistrée à la
demande du Président . Classée : confidentiel . N°60213 . Destinataire unique :
le Président . Interlocuteurs : le Président , le responsable de l'incinérateur Desmond X.

- Le Président : "Alors Desmond ?"
- Desmond X. : "Monsieur le Président ?"
- Le P. : "L'affaire des géraniums … Henry …"
- DX : "Oh , Monsieur le Président … ça n'a pas …"
- Le P. : "Ça n'a rien donné ?"
- DX : "Non"
- Le P. (silence 15 secondes) : "Pourquoi ?"
- DX : "Je … je ne sais pas , Monsieur le Président … le Secrétaire d'État n'a pas eu …
euh … comment dire ? …"
- Le P. : "Précisez , Desmond"
- DX : "Il avait l'air de … de …"
- Le P. : "Vous l'avez vu ?"
- DX : "Je l'ai eu au téléphone … c'est lui qui m'a appelé"
- Le P. (silence 10 secondes) : "Il vous a donné une raison ?"
- DX : "Non"
- Le P. (silence 5 secondes) : "Mais ne vous en faites pas , Desmond … vous n'y êtes pour
rien"
- DX : "………………"
- Le P. : "Pat ne vous en veut pas"
- DX : "………………"
- Le P. : "Desmond ? … vous êtes là ?"
- DX : "Oui , Monsieur le président"
- Le P. : "Je disais : Pat ne vous en veut pas … elle est juste déçue …"
- DX : "Ah … je suis désolé …"
- Le P. : "Je crois savoir … je veux dire : la raison … pourquoi Henry … mais c'est confi-
dentiel (silence 8 secondes) … les paupières , Desmond"
- DX : "Les paupières !?"
- Le P. : "Dermatite d'origine allergique"
- DX : "……….?………"
- Le P. : "Henry est allergique aux géraniums"
- DX : "……………….."
- Le P. : "Quite confidential , Desmond …" (clic)

mardi 13 février 2018

DESMOND 81 . LES GÉRANIUMS 3

    Transcription d'une conversation dans le Bureau Ovale . N°52780 . Classée :
confidentiel , à détruire après lecture . Interlocuteurs : le Président , le Secrétaire
d'État Henry K. , le responsable de l'incinérateur Desmond X.

- Le Président : "Je vous ai réuni pour l'affaire que vous savez"
- Henry K. : "Cette conversation est-elle enregistrée , Monsieur le Président ?"
- Le P. : "Vous le savez bien , Henry : elle l'est"
- Le P. : "Desmond … votre point de vue …"
- Desmond X. : "Mon point de vue ?"
- Le P. : "Oui , Desmond ! … à propos des géraniums … c'est l'objet de cette réunion ,
non ?"
- DX : "Euh … oui … oui , Monsieur le Président"
- (Craquement de fauteuil . Clappement caractéristique des chaussures Christian Dior
du Seccrétaire d'État)
- Le P. : "What's happening , Henry ?"
- (Ouverture brutale d'une porte … la porte principale du Bureau Ovale ? … puis
silence 5 secondes)
- HK : "Je vérifie , Mister President (fermeture retenue de la même porte)
- (Silence interrogateur 7 secondes)
- HK (clap-clap-clap Christian Dior) : "Je vérifie que personne n'écoute aux portes ,
Mister President" (craquement de fauteuil . Henry K. s'est rassis)
- Le P. : "OK , Henry … bon , Desmond , ces géraniums ?"
- DX : "Euh … Monsieur le Président … Pat … euh … enfin … votre épouse …"
- (Craquement de fauteuil . Le Secrétaire s'est relevé . Chaussures Christian Dior sur
un rapide clap-clap-clap-clap-clap-clap . Il traverse le Bureau Ovale … se dirige vers
l'une des trois portes-fenêtres qui donnent sur la Roseraie . Claquement de clinche .
Grincement . Il ouvre une des baies)
- Le P. : "Henry ! … nous allons prendre froid , out of pity !"
- HK (fermeture de la baie . Re-grincement) : "Miter President … j'ai cru voir une ombre"
- Le P. : "Henry ! … don't be so suspicious ! … il y a les Services de Sécurité ! … please ,
sit down ! … keep quiet !"
- HK (clap-clap-clap-clap-clap-clap . Craquement de siège) : "Pouvez-vous arrêter le
magnéto , Mister President ? … ceci est tout à fait confidentiel !"
- Le P. : "Henry ! … c'est classifié confidentiel à détruire ! … Desmond s'en occupe ! …
it's his job !"
- HK (on devine qu'il joint les mains) : "Please , Mister President ! … arrêtez ce magnéto !"
- Le P. : "OK Henry ! … just as you like ! …" (Clic)

                                                                                             (à suivre …)

lundi 12 février 2018

TROIS MOUCHES 111 . BORD DE RIVIÈRE

    Un poisson aux écailles jaunes et noires sauta hors de l'eau . Il frétillait
près de Berthe et cherchait désespérément l'oxygène quand trois mouches
vermeilles et merveilleuses vinrent bourdonner contre nos chapeaux de
paille .

    Trois poissons aux écailles vermeilles cherchaient Berthe . Ils bourdonnaient
de noir désespoir car elle , merveilleuse , frétillait hors de l'eau sous son chapeau
de paille .

    Berthe était désespérée ; elle me cherchait . J'avais sauté dans l'eau noire où
frétillaient des poissons merveilleux paillés d'oxygène . Contre les écailles jaunes
de mon chapeau , trois mouches vermeilles bourdonnaient .

dimanche 11 février 2018

KRANT 117 . CIMETIÈRE MARIN

    Parfois , nous cherchâmes un passage sous des soleils implacables .
Nous longions des côtes instables , sans amers ni balises , où l'on se repérait
à la kyrielle des épaves . Le capitaine , l'oeil vissé à sa lorgnette , égrenait
une nécrologie : "Le Talisman , cargo norvégien … l'Hermès , aviso …
le Ville de Tanger , vraquier … et celui-là : le Sylphe …" et pour chacun de
ces squelettes , Krant murmurait la date du naufrage . Le torse déporté au-dessus
de la barre , le timonier jaugeait les hauts-fonds en jurant : "Tudieu , capitaine ,
nous allons toucher !" . Où était donc ce port fantôme - Rabigh ou Masturah -
et la passe qui se trouvait là cinq ans plus tôt et qui , aujourd'hui , accablée par
le vent d'Arabie , était ensablée ? . La moitié des hommes , y compris ceux qui
avaient quartier-libre , étaient massés sur le bastingage tribord et ils scrutaient
sous la visière aveuglée de leurs mains la ligne de ces ergs stériles . Mes méca-
niciens , à demi-nus - leurs corps fumaient autant que les chaudières - maintenaient
le Kritik à vitesse réduite et moi , leur officier , l'oreille collée au chadburn , comme
au ciel rempli d'éclairs celle de Moïse , j'attendais l'ordre de Dieu le Père : "Stoppez
les machines !" ...

samedi 10 février 2018

COTE 137 . 104 . LE CANON-MARINE

    Cette nuit , malgré ses efforts obstinés , la pluie ne peut plus nous atteindre . Un canon
lourd de 380mm balance ses obus derrière la ligne de front pour détruire des ouvrages for-
tifiés . Entre les éclairs et les phénoménales détonations , nos estimations terrifiées : 5kms
… 2kms … 500m … Un grand rideau s'est ouvert sur un orchestre titanesque et tonitruant .
L'ennemi est devant nous et l'enfer dans notre dos . Selon le capitaine - c'est ce qu'il nous
apprend à Martial et à moi en hurlant dans nos oreilles , d'où tient-il cette information ? -
ce doit être un canon à chargement rapide , du genre marine , stationné sur une voie ferrée
à plus de 20kms ! . En principe , nous , dans notre tranchée , nous ne craignons rien , sauf
… sauf si l'abruti de wachtmeister qui commande la batterie se met à tirer trop court …

- Martial beugle dans mon cou : "Tu as remarqué ?"
- Moi . Je l'agrippe . Je pose mon oreille contre sa bouche : "Quoi ?"
- Martial : "Tu as remarqué ? … il ne pleut plus !"
- Moi : "Quoi ? … qu'est-ce que …"
- Martial . Il s'égosille : "Il ne pleut plus !!"

    Je regarde le ciel qui fulgure . Comment les gouttes pourraient-elles tomber dans ce
tohu-bohu ? . Ça bourdonne là-haut ! … le boulevard d'une ville démentielle … du 380 …
des obus de 750kgs ! … faites mon Dieu que ce con n'aille pas commander d'abaisser la
ligne de mire !

    Bourdonnement sur bourdonnement , ça défile . Soudain , un chuintement : celui-là est
pour nous ! . Nous rentrons la tête dans les épaules , nous essayons d'entrer minuscules
dans nos casques et fourrons nos nez dans la boue … dans une seconde , nous n'existerons
plus … plus de nous … plus de moi … fin de la guerre ici … l'éternité … il explose à 50m
… une vague de terre s'élève , une lueur aveuglante , nous sommes projetés les uns contre
les autres et à demi-enfouis .

    Silence .

    A 20kms , méfiant (on a peut-être repéré sa position) , le canon se replie sur sa voie ferrée .

- Martial crache de la terre et me plaque une main boueuse sur le visage : "Ah , quel con !"
- Moi : "Martial ! … ta main ! … merde , lâche moi !"
- Martial : "Le con !"
- Moi : "Quel con !? … ta main , Martial !"
- Martial . Je suis couché sur le dos et je devine entre les doigts de sa main qui me crampon-
nent le front son visage indigné : "Cet artilleur de malheur ! … il a failli nous avoir !!"
- Moi , enfin libéré : "Idiot ! … ce con fait son boulot !"

PARADIS 83 . OÙ SE NICHE LE DIABLE ?

- Dieu : "Adam ! … qu'est-ce qu'il t'a fait ce pissenlit !?"
- Adam : "Il n'a rien à faire là !"

    Dieu et Adam se parlent par-dessus la clôture du Paradis comme font deux voisins qui
se trouvent inopinément dans leur jardin et , n'ayant rien à se dire , se disent quand même
quelque chose . Décrivons ces jardins . Ils sont radicalement différents : l'un à l'harmonie
florissante - tout y pousse dans un semblant de désordre - l'autre au contraire tiré au cor-
deau , symétrique et conventionnel , où règnent l'ordre et le gravier . Adam jardine . Après
sa dure journée de laboureur , il s'adonne à ce passe-temps sympathique et d'apparence
inoffensive . Il tient propres ses plate-bandes au bord d'allées ajustées au millimètre . Her-
bicides , insecticides , fongicides , fertilisants , nitrates , phosphates , potasse ……. pour
l'heure , lesté d'un pulvérisateur à dos double pompe , il règle son compte à un pissenlit
qui , sans vergogne , s'est installé au milieu d'une allée .

- Dieu : "Diable ! … tu n'y vas pas de main morte !"
- Adam , pulvérisant : "Diable !? … le Diable existe ?"
- Dieu : "Oui … tout autant que Moi"
- Adam . Il concentre son jet d'acide dichlorophénoxyacétique sur l'infortuné pissenlit :
"Je ne l'ai jamais rencontré !"
- Dieu : "Tu as peut-être mal regardé …"
- Adam secoue la tête : "Non … non , je l'aurais reconnu" . Le pissenlit , à bout de résistance ,
couche sur le gravier son capitule d'or .
- Dieu : "C'est curieux , je le vois … là … maintenant … à l'oeuvre"
- Adam se retourne : "Qui ? … il n'y a personne"
- Dieu : "Pourquoi te retournes-tu ?"
- Adam : "………..?…………"
- Dieu : "Je le vois , Adam ! … le Diable , je le vois !"
- Adam , se souvenant que le Diable est un ange déchu , lève les yeux au ciel mais , là non
plus , il n'y a personne : "Il n'y a personne"
- Dieu : "Adam ! … tu ne peux pas le voir avec les yeux … mais il crève les miens !"

    Et Dieu s'en retourne au Paradis .

jeudi 8 février 2018

DESMOND 80 . LES GÉRANIUMS 2

    Transcription d'une communication téléphonique prioritaire . N° 52774 . Classée :
confidentiel . Interlocuteurs : le Secrétaire d'État Henry K. et le responsable de l'inciné-
rateur : Desmond X.

- HK (acrimonieux) : "Hullo , Desmond … qu'est-ce que c'est que cette histoire de géra-
niums ?"
- DX : "Euh … Monsieur le Secrétaire d'État ..."
- HK : "Abrégez , Desmond ! …" (bruits de tiroirs . Le Secrétaire d'État doit chercher
quelque chose dans son bureau) .
- DX : "C'est-à-dire que …"
- HK : "Je vous écoute … allez au fait"
- DX : "Euh … j'ai pensé …"
- HK : "Vous pensez , Desmond ?" (craquement de siège . Il semble que HK se soit levé)
- DX : "Pat ... elle …"
- HK : "Pat !? … qu'est-ce qu'elle vient faire …" (des pas . Le Secrétaire piétine autour de
son bureau)
- DX : "Et bien , Monsieur le Secrétaire d'État … hier , Pat …"
- HK : "Hier !? … elle était à San Clemente hier" (bruissements de papiers. Le Secrétaire
cherche un document … ou son stylo … ou … sur son bureau)
- DX : "Précisemment , Monsieur le Secrétaire d'État , elle était à …"
- HK : "A San Clemente , Desmond ! … je viens de vous le dire … (re-craquement de
siège . Henry s'est rassis) "Alors ?"
- DX : "Je voulais vous en parler … le Président m'a …"
- HK : "Qu'est-ce qu'il vous a dit ?" (re-re-craquement de siège . Il s'est relevé . Bruits de
pas)
- DX : "Il m'a conseillé de …"
- HK : "… de m'en parler" (re-bruissements de papiers)
- DX : "De vous en parler , en effet"
- HK (bruissements de papiers) : "Vous savez que cette conversation est enregistrée ?"
- DX : "Non … non , Monsieur le Secrétaire d'État … en … enregistrée !?"
- HK : "Donc , on use de la bande , là ! ..; (quelque chose tombe sur le parquet) "Shit !"
- DX : "Pour les géraniums … euh …"
- HK : "Une autre fois , Desmond … je dois appeler Chou …" (clic)

                                                                                                      (à suivre …)

mercredi 7 février 2018

DESMOND 79 . LES GÉRANIUMS 1

    Transcription* d'une communication téléphonique du Président . Destinataire :
le responsable de l'incinérateur , Desmond X. Classée : confidentiel .

- Le Président : "Bonjour Desmond"
- Desmond X : "Bonjour Mister President"
- Le P : "J'ai votre télex dans les mains"
- DX : "……………….."
- Le P : "Desmond ?"
- DX : "Monsieur le président ?"
- Le P : "Vous communiquez par télex , maintenant ! … c'est nouveau ?"
- DX : "C'est que … Monsieur le Président , je ne voulais pas vous déranger"
- Le P : "Desmond ! … vous ne me dérangez jamais ! … et c'est l'occasion d'un petit
scotch , non ?"
- DX : "Euh … Monsieur le Président , je ne bois pas"
- Le P : "Enfin , je veux dire … oui … votre Coca light"
- DX : "……………….."
- Le P : "Bon … votre télex … hum … j'en ai parlé à Henry … comment vous dire ? …
il n'est pas d'accord …"
- DX : "Mais … mais … ça me paraît pourtant …"
- Le P : "Desmond … vous prêchez un converti … mais je suis bien obligé de … de …"
- DX : "De ?"
- Le P : "Peut-être faudrait-il que vous lui en parliez directement , non ? … vous pourriez
le convaincre"
- DX : "Euh … je ne suis pas au mieux avec …"
- Le P : "Ta-ta-ta ! … Henry n'est pas une brute … c'est un diplomate … allez-y , Desmond
… pour le rendez-vous , j'arrange la chose"
- DX : "Oui … euh … bien , Monsieur le Président"
- Le P : "Et je vais vous dire , Desmond : les géraniums en bordure de l'Aile Est , c'est une
très bonne idée !"


* note : ces transcriptions ont été récupérées illégalement par DX pour enrichir la matière
de ses Mémoires .

                                                                                        (à suivre …)

mardi 6 février 2018

TROIS MOUCHES 110 . LOURDES

    La Vierge m'apparut écrasée par un nimbe circulaire . Elle était vêtue d'une
robe bleue sans fanfreluche et parlait le basque sans accent . Trois mouches
vermeilles et merveilleuses bourdonnaient contre nos chapeaux de paille .

    Une Vierge en robe de paille et chapeau nimbé m'apparut . Elle parlait le
basque circulaire des mouches écrasées , sans accent et sans fanfreluche .

    Apparut une mouche bleue . Elle circulait en nimbe bourdonnant contre
mon chapeau . "A trois" , lui dis-je dans un merveilleux basque "je t'écrase ! …"

lundi 5 février 2018

KRANT 116 . MERS LUNAIRES

    "Océan des Tempêtes , Mer des Humeurs , Mer de la Sérénité …"

    Nous étions sur la dunette . Une lune énorme montait et descendait sur l'horizon de
cette nuit phénoménale ; le grincement des structures invoquait la mémoire d'une
balançoire oscillant et crissant sous des constellations sans fin . Papa et maman dormaient .
Je tournais comme un pendule dans l'amplitude et l'immensité du silence …

    "A l'est , c'est la Mer de la Tranquillité …"

    La voix du capitaine traversait la nonchalance de l'air avec une gravité suave et elle
avait , me semblait-il , le goût du sucre d'orge .

- Moi : "Capitaine … on dit que ce sont des mers asséchées"
- Krant : "Balivernes , chef ! … il n'y a jamais eu d'eau sur ce caillou … " et il haussa
les épaules .

    Je raccompagnai le capitaine à sa cabine . Comme je gagnais le poste d'équipage par
la coursive babord , je vis frémir le taud d'une chaloupe . Je soulevai la toile : un mousse
était assis là et ses yeux clignaient à la lumière lunaire ; c'était Danil , celui qu'une lame
traîtresse nous enleva et que nous repêchâmes par miracle .

- Moi : "Que fais-tu là , morveux ? … tu ferais mieux de dormir … demain est une rude
journée !"
- Danil : "Je regardais la lune"
- Moi , me tournant vers elle : "Qu'est-ce qu'il y a donc à voir là-bas ?"
- Danil : "L'Océan des Tempêtes … à l'ouest"
- Moi : "L'Océan des Tempêtes !? … tu aimerais naviguer sur cette mer-là ?"
- Danil , haussant les épaules : "Balivernes , chef ! … il n'y a jamais eu d'eau sur ce caillou !"
- Moi : "Au dodo , petit crétin !"

dimanche 4 février 2018

SAN PAOLO

    Il y a à San Paolo mille chats .

    Mille chats de haut niveau social . Aucun ne vit sa vie entre une poubelle et le faîte
d'un mur . Tous se prélassent sur des coussins de soie bordés de vison ou sur les den-
telles d'une maîtresse parfumée . A San Paolo , on ne tolère pas qu'un chat n'ait un toit
ou que ce toit soit celui d'une soupente . Les chats d'ici habitent des palais .

    Leur roi est Stewie , un Maine Coon Brown Mackerel Tabby de 12 kilos pour
102 centimètres soit , au poil près , le canon idéal du Loof . Il demeure au Ca' Caotorta
sur la Fondamenta de la Misericordia , une ruelle éloignée du centre-ville , mais sa
présence en ce lieu fait du Ca' Caotorta le bar hyper-branché de San Paolo . Stewie
trône sur un flipper Gottlieb de modèle Cactus Jack dont il occupe le fronton et balaie
d'une queue hautaine un bon tiers du plateau . Il ne dédaigne pas qu'après génuflexion ,
un client de l'établissement tente un Spécial ou une Multibilles à l'aveugle .

    On pense qu'à San Paolo , il fait bon être chat . Or , les mille sujets de Stewie ont le
vague à l'âme : il n'y a pas de chattes ...

samedi 3 février 2018

MARUI

    Excepté Miro , qui sait quelque chose de l'enfance ?

    Marui peut-être , à l'abri des méandres du Sepik . Elle sait sans savoir .
Elle sait qu'au nord il y a la mer mais elle ne l'a jamais vue . C'est par le
fleuve que vient parfois un étranger , cet homme vêtu de noir qu'elle re-
çoit mais à qui elle ne demande rien . S'il parle , elle l'entend ; elle ne
l'écoute pas et le timbre de sa voix , elle l'oublie dès qu'il a fini de péro-
rer . S'il ne parle pas et que d'un signe de la tête il commande une bière ,
c'est gratuit . Marui ne veut pas de ses pièces . Le grand chantier de Karau
sur la côte s'est enfoncé dans la forêt , jusqu'à Angoram . Marui est vierge
et elle entend le rester jusqu'à l'inévitable âge adulte . Ils viendront du nord
ceux qui la dépouilleront de sa fleur .

    Marui , Miro l'a peinte .

vendredi 2 février 2018

TROIS MOUCHES 109 . DRIVE-IN THEATER

    Trois mouches vermeilles et merveilleuses bourdonnent contre nos chapeaux de
paille . Le parking est désert , l'écran éteint et le drive-in fermé . Nous nous asseyons
sur le capot de la Chevrolet . "Zut , zut et zut !" , dit Berthe …

    Le capot de la Chevrolet bourdonne sur le drive-in désert quand Berthe s'asseoit
sur mon chapeau de paille . "Zut !" , dis-je , et elle , voyant l'écran éteint et le parking
fermé : "Zut et zut !"

   Trois "zut !" s'éteignent contre le drive-in fermé : c'est Berthe , assise sur le parking
désert . La paille de son chapeau bourdonne sur le capot de la Chevrolet et elle dit
encore : "Zut , l'écran est éteint !"

jeudi 1 février 2018

KRANT 115 . FUTUR ANTÉRIEUR

   Au large de Onslow Bay . Je suis sur la passerelle avec Krant .

- Krant . Il tend sa pipe à 30° tribord : "Chef , vous voyez ce cap ? … Caps Fear …
nous le doublerons dans une demi-heure …"
- Moi : "Oui , capitaine … Caps Fear …"
- Krant : "Y sommes-nous déjà ?"
- Moi : "Non , capitaine … nous y serons dans une demi-heure avez-vous dit"
- Krant : "Détrompez-vous ! … nous l'avons dépassé … nous sommes en train de décharger
nos bois à Charlestown"
- Moi : "……..?………."
- Krant . Il vide sa pipe en la cognant coutre le bastingage : "Vous ne me croyez pas , chef ?"
- Moi : "… capitaine … Charlestown , nous y serons dans un jour … si tout va bien …"
- Krant . Il me regarde . Des rides moqueuses font comme les ondes de sable autour de nos
rias à marée basse : "Quand vous avez au creux de la main vos graines de poireau , ne les
voyez-vous pas et ne pèsent-elles pas sur votre paume de leur poids infime ?"
- Moi . Je m'anime : "Ah , ça oui , capitaine !"
- Krant : "Et pourquoi les semez-vous ?"
- Moi : "Tudieu , capitaine ! … pour avoir des gros et beaux poireaux !"
- Krant : "Mais vous ne pouvez les voir … ce que vous voyez à cet instant sont ces petites
graines …"
- Moi . Je m'emballe : "Capitaine , quand je soupèse mes graines , c'est comme si mes
poireaux étaient là , avec leurs belles feuilles , leur corps blanc sur la table de ma cuisine …
la soupe brûlante contre mes lèvres ! …"
- Krant . Il croise les mains derrière le dos et se tourne vers Caps Fear : "Vos poireaux ,
chef , c'est comme Charlestown … nous y sommes"
- Moi : "………?………"
- Krant : "Le futur précède le présent"