samedi 10 février 2018

COTE 137 . 104 . LE CANON-MARINE

    Cette nuit , malgré ses efforts obstinés , la pluie ne peut plus nous atteindre . Un canon
lourd de 380mm balance ses obus derrière la ligne de front pour détruire des ouvrages for-
tifiés . Entre les éclairs et les phénoménales détonations , nos estimations terrifiées : 5kms
… 2kms … 500m … Un grand rideau s'est ouvert sur un orchestre titanesque et tonitruant .
L'ennemi est devant nous et l'enfer dans notre dos . Selon le capitaine - c'est ce qu'il nous
apprend à Martial et à moi en hurlant dans nos oreilles , d'où tient-il cette information ? -
ce doit être un canon à chargement rapide , du genre marine , stationné sur une voie ferrée
à plus de 20kms ! . En principe , nous , dans notre tranchée , nous ne craignons rien , sauf
… sauf si l'abruti de wachtmeister qui commande la batterie se met à tirer trop court …

- Martial beugle dans mon cou : "Tu as remarqué ?"
- Moi . Je l'agrippe . Je pose mon oreille contre sa bouche : "Quoi ?"
- Martial : "Tu as remarqué ? … il ne pleut plus !"
- Moi : "Quoi ? … qu'est-ce que …"
- Martial . Il s'égosille : "Il ne pleut plus !!"

    Je regarde le ciel qui fulgure . Comment les gouttes pourraient-elles tomber dans ce
tohu-bohu ? . Ça bourdonne là-haut ! … le boulevard d'une ville démentielle … du 380 …
des obus de 750kgs ! … faites mon Dieu que ce con n'aille pas commander d'abaisser la
ligne de mire !

    Bourdonnement sur bourdonnement , ça défile . Soudain , un chuintement : celui-là est
pour nous ! . Nous rentrons la tête dans les épaules , nous essayons d'entrer minuscules
dans nos casques et fourrons nos nez dans la boue … dans une seconde , nous n'existerons
plus … plus de nous … plus de moi … fin de la guerre ici … l'éternité … il explose à 50m
… une vague de terre s'élève , une lueur aveuglante , nous sommes projetés les uns contre
les autres et à demi-enfouis .

    Silence .

    A 20kms , méfiant (on a peut-être repéré sa position) , le canon se replie sur sa voie ferrée .

- Martial crache de la terre et me plaque une main boueuse sur le visage : "Ah , quel con !"
- Moi : "Martial ! … ta main ! … merde , lâche moi !"
- Martial : "Le con !"
- Moi : "Quel con !? … ta main , Martial !"
- Martial . Je suis couché sur le dos et je devine entre les doigts de sa main qui me crampon-
nent le front son visage indigné : "Cet artilleur de malheur ! … il a failli nous avoir !!"
- Moi , enfin libéré : "Idiot ! … ce con fait son boulot !"

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