dimanche 11 février 2018

KRANT 117 . CIMETIÈRE MARIN

    Parfois , nous cherchâmes un passage sous des soleils implacables .
Nous longions des côtes instables , sans amers ni balises , où l'on se repérait
à la kyrielle des épaves . Le capitaine , l'oeil vissé à sa lorgnette , égrenait
une nécrologie : "Le Talisman , cargo norvégien … l'Hermès , aviso …
le Ville de Tanger , vraquier … et celui-là : le Sylphe …" et pour chacun de
ces squelettes , Krant murmurait la date du naufrage . Le torse déporté au-dessus
de la barre , le timonier jaugeait les hauts-fonds en jurant : "Tudieu , capitaine ,
nous allons toucher !" . Où était donc ce port fantôme - Rabigh ou Masturah -
et la passe qui se trouvait là cinq ans plus tôt et qui , aujourd'hui , accablée par
le vent d'Arabie , était ensablée ? . La moitié des hommes , y compris ceux qui
avaient quartier-libre , étaient massés sur le bastingage tribord et ils scrutaient
sous la visière aveuglée de leurs mains la ligne de ces ergs stériles . Mes méca-
niciens , à demi-nus - leurs corps fumaient autant que les chaudières - maintenaient
le Kritik à vitesse réduite et moi , leur officier , l'oreille collée au chadburn , comme
au ciel rempli d'éclairs celle de Moïse , j'attendais l'ordre de Dieu le Père : "Stoppez
les machines !" ...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire