jeudi 28 février 2019

AUX FEMMES . POÈME D'HIVER 8

Pauvres de nous , semble-t-il ,
Dans les fers de l'hiver
(Zut et zut !) .

On ne peut pas être
Dehors et dedans ;
Du captif , c'est l'opinion commune .

Ce n'est pas (ah !) celle du poète
Car ici et là
Sont pour lui un même lieu .

Dans l'endroit et l'envers d'un cachot
(Entres autres : le cachot de l'hiver) ,
Ici et là
(A quoi le poète ajoute : nulle part et partout)
Sont des mots à poids nul .

Femmes , ô femmes ,
Débarrassons-nous de ces topologies .

Rêvons ...

mardi 26 février 2019

DESMOND 97 . LA LONGUE MARCHE

- "Desmond , que pensez-vous de mon regard ?"

    Nous sommes dans le bureau privé du Président , assis dans deux profonds fauteuils .

- Moi : "Euh … votre regard , Monsieur le Président ?"
- Lui acquiesce de la tête : "Mon regard … oui ..."
- Moi : "………?……….."
- Lui : "Ai-je l'air de … comment vous dire ? … avez-vous l'impression que … que …" .
Il hésite , il cherche ses mots … " … que je vois au-delà de l'horizon ?"
- Moi : "De l'horizon ?"
- Lui : "Vous comprenez , dans deux jours je rencontre Mao … c'est un monument ! …
un mythe ! … une légende ! … vous rendez-vous compte , Desmond ? … Mao ! …
Mao Tsé-Toung ! …La Longue Marche ! … 700 millions de chinois ! … je suis inti-
midé ... je suis tout petit !"
- Moi . Je proteste : "Monsieur le Président !"
- Lui : "Si-si , Desmond … et puis ce maintien … cette noblesse !"
- Moi : "………….."
- Lui revient à sa première idée : "Ai-je l'air de voir plus loin que le commun des
mortels ? … c'est important , Desmond … dites-moi sincèrement ce que vous en pensez" .
Il prend une pose hiératique , jambes croisées à la Roosevelt , les mains enserrant le genou
dans une attitude dégagée mais orgueilleuse , présentant un profil au menton conquérant ,
et son regard affecte de percer les murs du bureau .
- Moi : "………….."
- Lui . 15 secondes , immobile . Puis tournant vers moi deux prunelles interrogatives :
"Alors ? … quelle impression ?"
- Moi : "Euh … Monsieur le Président ..;"
- Lui . Il s'extrait de son fauteuil en poussant sur les accoudoirs : "Bon , ça n'a pas l'air
convaincant … heck !"
- Moi : "………….."
- Lui : "J'ai quand même battu Humphrey !"
- Moi : "……..?…….."
- Lui : "Evidemment , Humphrey c'est pas Tchang Kaï-Shek"

COTE 137 . 120 . GAMELLE

    On eut droit aussi à autre chose : la neige .

    Elle se met à tomber un soir doucement puis , de plus en plus fort . Au bout d'un quart
d'heure , elle a purifié notre enfer . Martial tourne vers moi des sourcils poudrés et la visière
de son casque frangée de blanc :

- "Qu'est-ce que t'en dis ?"
- Moi : "Que veux-tu que j'en dise ? … c'est beau"

    Le silence absorbe le champ de bataille . On n'entend plus rien . Silence impérieux .
Il dure une bonne demi-heure . Les hommes , appuyés au parapet , admirent en retenant
leur souffle .

    Quand un boche , en face , laisse tomber sa gamelle . Elle résonne comme un gong
au fond d'un temple immense .

    Aussitôt , la canonnade reprend de part et d'autre . Nos artilleurs chargent leurs pièces ,
les boches les leurs .

- Martial : "Quel crétin !"
- Moi : "De qui parles-tu ?"
- Martial : "De ce crétin qui a laissé tomber sa gamelle !"

dimanche 24 février 2019

SUICIDE DU CHEF DE SERVICE

    Convaincu de concussion , notre chef de service , homme pointilleux qui suivait une
ligne claire , sans ombre , se fit sauter la cervelle . On le trouva étendu sur le dos , derrière
son bureau , étreignant un fusil de chasse comme un morveux une barbe à papa . Dans le
mur il y avait un trou dont les rayons en étoile , bourrelés de plâtre rosi , simulaient ces
impacts météoritiques de la lune tels qu'on peut en voir dans les pages supplémentaires de
nos atlas avec leurs remparts en terrasses , leur auréole et leur piton central . Nous le
revîmes le lendemain , le visage tuméfié et hâtivement rafistolé , dans un cercueil ouvert .
Sa femme se tenait droite , comme à côté d'elle-même , comme expulsée de son trois
pièces modeste mais heureux de la rue Valentina Terechkova , la main gauche posée sur
le couvercle et la droite abandonnée dans celle d'une fillette en duffle-coat gris et aux
bottines hautement lacées . Quand les deux parties de ce qui fait une boîte furent jointes
l'une à l'autre par huit boulons et pour l'éternité , et qu'elles furent glissées par son hayon
noir , nous suivîmes le corbillard . Étaient présents , outre la femme de notre chef et sa
fille , nous quatre , collaboratrices dévouées , un représentant de la haute direction que
nous n'avions jamais vu et un ciel bleu hors sujet . Que nulle trace sombre ne devait
ternir le souvenir et la pierre tombale de notre défunt , nous en eûmes heureusement la
preuve la semaine suivante et c'était une délivrance ! : pour son remplacement , on nous
envoya une fripouille notoire , membre influant du Parti .

KRANT 157 . ILO

- "De même" m'instruisait Monsieur Lee , "les Okoki n'ont qu'un mot pour désigner les
hommes et les femmes : "Ilo" … et cette particularité reflète leur organisation sociale où
on chercherait en vain l'ombre d'une discrimination des sexes , à l'exclusion de la confec-
tion de ces délicieux gâteaux réservée aux femmes . Cette exception , les Okaki lui don-
nent le nom de "Tabu".

    Je ne devais donc pas m'étonner , poursuivait Monsieur Lee , de voir les femmes abattre
des arbres ou , peintes en rouge , ramener sur des piques des têtes tranchées ou - traîné sur
un brancard - le corps d'un tapir ; ou des hommes minaudant et caquetant à l'entrée des
cases en pilant le mil .

- Monsieur Lee : "Les unes et les autres exhibent volontiers et - dirai-je - avec une constante
frénésie , les attributs et accessoires du genre opposé : pénis et seins factices , chevelures ,
cils , ongles , fards et poudres … les uns et les autres singent les fonctions du sexe qui n'est
pas le leur . Ainsi , chef , vous verrez à Kikolu (village situé à un demi-mile de la côte où
je devais me rendre avec Monsieur Lee) des hommes simulant l'allaitement ou la gésine ou
cet autre , gros de six mois , ausculté par un "ilo" , sorcier à moins que ce soit une sorcière "
- Moi : "Mais comment font-ils des enfants ?"
- Monsieur Lee : "Les Okoki sont strictement exogames . Ils font leurs enfants dans les tribus avoisinantes"
- Moi : "Comment appellent-ils leurs filles ? … et leurs garçons ?"
- Monsieur Lee : "Ilo"

vendredi 22 février 2019

AUDIENCE PONTIFICALE 4

- Moi : "Votre Sainteté ?"
- JP II . Geste de la main valant … valant je ne sais pas quoi … fatigue ? … indifférence ?
… dédain ? … désintérêt ? .
- Moi : "Votre Sainteté m'entend-elle ?"
- JP II . Râclement de gorge .
- Moi : "Votre Sainteté … Saint-Père … j'ai encore une question"
- JP II avale sa salive .
- Moi : "A quoi croyez-vous , Saint-Père ?" . J'ai posé ma main sur son avant-bras .
- JP II . Gargouillis .
- Moi : "……………."
- JP II : "Mstraldegghhhhhhh …"
- Moi : "Pardon ?" . Je me penche .
- JP II . Crachouillis .
- Moi : "Hein ?"
- JP II re-lève la main … abattement ? … irritation ?
- Moi : "Comment avez-vous dit ?"
- JP II : "Mstraldegghhhhhhh …"
- Moi , re-penché : "Comment ?"
- JP II : "Mstraldegghhhhhhhhhhhhh …"
- Moi : "Ai-je bien compris , Saint-Père ?"
- JP II hoche la tête .
- Moi : "Mystère et boule de gomme ? … c'est bien ça ?"
- JP II re-hoche la tête .

jeudi 21 février 2019

KATINKA

    Une russe . Une violoniste . C'est une fatalité . J'aime les femmes . J'adore l'art ,
toutes  les formes d'art , même la musique russe mais pas le violon dans la musique russe .
Le concerto en ré majeur de Prokofiev me donne mal aux dents . Or , où que j'aille , et
je  ne cesse pour mon travail de me déplacer , si j'aborde une femme dans un bar , au
Guatemala par exemple ou dans le sud-est de la Tanzanie , il y a fort à parier qu'elle est
russe et , pour mon malheur , violoniste .

    L'année dernière cependant , il y a un an jour pour jour , j'entrai dans un pub de
Comines-Warneton en Belgique , "Le Gourmet" . Au comptoir , une jolie brune était
juchée sur un haut tabouret .

- "Ma tête à couper que vous êtes russe !"
- Elle a opiné : "Comment l'avez-vous deviné ?"
- "A votre accent"
- Elle a ri . D'un rire cristallin : "Mais … je n'ai pas ouvert la bouche !"
- "Il n'est pas besoin que vous ouvriez la bouche pour savoir que vous êtes russe .
C'est le destin"
- Elle siffla par la paille un bon tiers de son Bloody Mary .
- "Et , il va sans dire que vous êtes musicienne"
- Elle a gloussé . Un gloussement slave : "Incroyable ! … vous êtes devin ? "
- "Où est votre violon ?"
- Elle s'est penchée et a extirpé de l'ombre du comptoir un cor d'harmonie qu'elle a
brandi au-dessus de sa tête : "Je suis corniste , Monsieur le voyant !"

    Je l'épousai .

mercredi 20 février 2019

TROIS MOUCHES 148 . FORTERESSE SUR LE RIVAGE DES SYRTES

    Trois mouches vermeilles et merveilleuses bourdonnaient contre nos chapeaux de
paille . La masse de la forteresse se dressait devant nous à travers la lande , plus impres-
sionnante encore dans le noir presque opaque de l'illusion qu'elle nous donnait , même
au milieu de l'obscurité , de jeter de l'ombre .

    La masse impressionnante de l'obscurité se dressait contre la forteresse . A travers
la lande vermeille , trois mouches presque opaques se jetèrent sur nos chapeaux de paille
et donnèrent à nos ombres l'illusion de noirs bourdonnements .

    Au milieu des chapeaux obscurs que nous avons jeté à travers les pailles de la lande ,
des ombres vermeilles se dressent contre l'illusion de forteresse que donne dans le noir
la masse impressionnante et bourdonnante des mouches opaques .

mardi 19 février 2019

PARADIS 100 . UN WEEK-END TRÈS CHAUD

- Ève : "Qu'est-ce qui t'arrive ?"

    Dieu range ses affaires - vêtements , trousse de toilette , bible de poche - dans son
armoire . Quoi d'étonnant après un week-end avec pont , jour de l'Ascension de Son
Fils , un jeudi super-placé , propice aux escapades ? . Mais les sourcils et la barbe de
son créateur , dévastés comme un buisson ardent après extinction , interrogent Ève :

- "T'as eu un problème avec ta cuisinière à gaz ?"
- Dieu : "Qu'est-ce que tu racontes !? … est-ce que j'ai une tête à user de ce genre
d'électro-ménager ?

    C'est vrai . Si Dieu fit que la terre verdisse de verdure et qu'elle produise des herbes
portant semence et des arbres donnant des fruits et si Dieu fit des bestiaux pour notre
nourriture , la cuisson de ces ingrédients il l'a laissée à l'initiative de l'Homme .

- Ève : "C'est quoi ces poils roussis ?"
- Dieu . Il est irrité à cause de ce week-end éprouvant : "C'est un interrogatoire ?"
- Ève : "Oh , après tout , j'm'en fous !"
- Dieu se radoucit . Entamer une semaine de création par une chamaillerie avec sa
créature préférée , non ! : "Excuse-moi , Ève , j'ai passé un week-end atroce !"
- Ève ; "T'es allé où ?"
- Dieu . Il hésite : "… En Enfer …"
- Ève : "Hein ! ? … mais t'es fou ! … il est pas bien ! … ça fait partie des destinations
trisquement déconseillées !"
- Dieu . Il corrige : "Strictement"
- Ève : "T'es dingue ou quoi !?"
- Dieu : "Fallait bien que je sache !"
- Ève : "T'as qu'à lire les journaux ! … t'avais un guide au moins ?"
- Dieu : "Oui … Adam …"
- Ève lève deux yeux soupirants : "Adam !"
- Dieu : "J'avais pas le choix … et il connait bien le coin"
- Ève : "Alors … Qu'est-ce que vous avez vu ?"
- Dieu : "Un tas de choses , plus brûlantes les unes que les autres"
- Ève : "T'as pris des photos ?"
- Dieu : "Oui"
- Ève : "Montre !"
- Dieu : "Je peux pas … les pellicules ont cramé"

lundi 18 février 2019

VARVARA

    Varvara est une intellectuelle .
    Je devais la rencontrer à Paris , évidemment au Café de Flore . Elle m'a tout de suite
déplu . Cette manie de remonter du moindre geste , du plus inepte bavardage et même
du plus infime silence ou du plus discret borborygme , à sa cause première , je l'ai pres-
sentie quand elle s'est pointée , descendant le Boulevard Saint-Michel , sur un vélo hol-
landais munie de sacoches anormalement surchargées de ce qui fait la panoplie d'une
parfaite coupeuse de cheveux en quatre . Nous avions pris rendez-vous par l'entremise
de l'Agence Leitchoukov qui promettait des rencontres concluantes avec de belles femmes
russes . Elle ne m'a jamais vu . Je ne lui ai jamais parlé . J'ai quitté la terrasse en aban-
donnant mon demi de binchoise blonde sans payer tandis qu'elle bloquait la pédale de
sa bicyclette sur la bordure du trottoir .

dimanche 17 février 2019

KRANT 156 . TOKAPIKA

    Monsieur Lee m'expliqua que les indiens Okoki ont un seul mot pour désigner les
grosses  pommes et les grosses poires : "Togoki" , et un autre mot pour les petites
- pommes et poires - : "Piki" , de sorte qu'il y a bien deux fruits , non pas des pommes
et des poires comme chez nous , mais ce qu'on traduirait en prussien classique par
"Grosse poire-pomme" (Togoki) et "Petite poire-pomme" (Piki) . Au contraire ,
l'Okoki use de deux mots pour la grosseur selon qu'elle s'applique à un objet rouge
"Dilodo" ou à un objet jaune "Niodo" . Une grosse pomme-poire jaune est dite
"Niodotogoki" et on appelle "Dilodotogoki" une grosse pomme-poire rouge . C'est
pareil me dit Monsieur Lee pour la petitesse : "Pikotogoki" , rouge et "Kolotogoki"
jaune . En revanche , le jaune et le rouge sont repris sous le même vocable quand la
pomme-poire , grosse ou petite , est cueillie : elle est dite alors "Akado" . Les femmes
ont alors le pouvoir de distinguer les grosses pommes cueillies ("Togokiakado") des
grosses poires cueillies ("Togokiakado") . Elles appellent les premières "Toka" et les
secondes "Toka" également . Elles font subir aux petites la même réduction morpho-
logique : "Pika" pour les pommes et "Pika" pour les poires . Le gâteau qu'elles confec-
tionnent n'est autre que le délicieux "Pâ" .

    C'est pratiquement la même chose pour la banane verte et le concombre ,
"Tiakaronana" et le mets de rêve qui en procède : "Tâ" .

    J'appris la cuisine des Okoki mais je renonçai à étudier leur langue .

samedi 16 février 2019

AUX FEMMES . POÈME D'HIVER 7

Ô femmes ,
Exemple d'image de l'hiver :

On peut dire que l'été est loin .
Les pailles ont quitté nos toitures ,
Les collines qui entourent nos maisons
Ont retrouvé leur éclat .
Elles sont aussi nues que des lunes .

Il n'y a plus ,
Pour les protéger ,
Que les anges .

Question en forme d'explication de texte :
Entendez-vous ici ,
Ô femmes en votre armoire ,
Le son répercuté de l'hiver ?

vendredi 15 février 2019

DIVAGATIONS PASCALIENNES VI

    1er janvier 2019 . 9h30 . Les étoiles ont déserté le ciel . Gueule de bois mondialisée .
Finies les fêtes : l'humanité est revenue à la case départ . Elle n'est pas passée par la
banque et elle n'a bénéficié d'aucun dévoilement . Elle fonce (et moi avec) dans le vide
sidéral sur une orbite elliptique de 365 jours et des poussières sans savoir pourquoi .
A moins que … à moins que l'Homme soit le Créateur du monde . Hein , quoi !? …
qu'es a quo ?

    Hypothèse : l'Homme crée le monde . Avant l'Homme , pas de monde . Pendant
l'Homme : création perpétuelle de l'Esprit humain . Le monde prend la forme de la pensée
de l'Homme ; la pensée de l'Homme est son moule . Quand on pensait que la terre était
plate , elle l'était … aujourd'hui , on la voit sphérique , elle l'est … si demain on l'envisage
comme déformée par le temps et tirebouchonnée , elle aura à cause du temps la plastique
d'un tire-bouchon .

    Démonstration par l'absurde : comment concevoir un monde où il n'y aurait personne
pour dire qu'il y en a un et pour en faire un dessin provisoire ? . Mais alors me direz-vous
(car je vois bien ce que vous allez me dire , lecteurs coupeurs en huit des cheveux que j'ai
coupés en quatre) : et l'Homme dans tout ça ? … l'Homme en tant que créature ? … réponse :
l'Homme est une idée de l'Homme … il n'existe que parce que l'Homme pense qu'il existe .

    9h31 , il est temps de se coucher ...

jeudi 14 février 2019

UTILA

    Avant que les touristes déposent leurs valises dans le hall de l'hôtel Casa Luisa ou
sirotent leur whisky au bord de la piscine du Quinta Real , avant que de riches planteurs
érigent leurs villas pompeuses , avant Christophe Colomb , avant que la première humanité
établisse ses campements sous le Bec de Perroquet , Utila était une île mollement appuyée
sur la barrière de corail . Île , naturellement , Utila , l'est encore de nos jours - vue de la
Colline de la Citrouille , c'est indéniable - et on peut admirer à travers ses eaux translucides
la tête du Perroquet couchée sur le récif comme sur un oreiller . L'Utila d'aujourd'hui ,
on peut la visiter si on n'a pas peur d'être déçu : il y a un vol Paris-Cancun (Mexique)
avec Corsair , Cancun-San Pedro Sula par Taca ou quelque autre compagnie locale ,
enfin San Pedro-Aéroport d'Utila (car il y en a un) par Jetcost . Des voitures de location
sont toujours disponibles sur place . Ces déplacements intercontinentaux , hélas , ne disent
rien de l'Adam effaré à qui l'île fut offerte , assis dans sa pirogue monoxyle à balancier ,
immobile à deux brasses du rivage , désavouant ses yeux car , du paradis d'où il fut chassé ,
il ne pouvait pas ici surnager une parcelle . Aussi , médusé et contrit (il se souvenait de
ses péchés) , n'osait-il poser son pied nu sur le sable . D'Utila , l'enchantement qui stagnait
sur le grand marais central s'est évaporé . Utila ne peut plus éblouir . L'âme de l'île s'est ternie .

AUDIENCE PONTIFICALE 3

- Moi : "Saint-Père !"
- JP II . Il s'est affaissé sur son trône . Il dort .
- Moi : "Saint-Père !!"
- JP II : "R-r-r-r… r-r-r-r-r …"
- Moi : "Stanislaw !" (C'est le secrétaire particulier du Pape : l'évêque Stanislaw Dziwisz)
- Dziwisz : "Quoi ?"
- Moi : "Pouvez-vous réveiller le Saint-Père ,"
- Dziwisz : "Approchez-vous … il vous entendra"
- Moi . Je m'approche du Saint-Père : "Saint-Père !"
- JP II sursaute : "Qui parle !?"
- Moi : "C'est moi"
- JP II : "Qui vous ?"
- Moi : "Saint-Père : l'Eucharistie"
- JP II : "Quoi , l'Eucharistie ?"
- Moi : "Le pain changé en Son Corps"
- JP II : "Et bien ?"
- Moi : "Le vin changé en Son Sang "
- JP II : "Oui … parlez moins fort"
- Moi : "C'est extraordinaire , non ?"
- JP II : "Ah ?"
- Moi : "Ça n'est pas extraordinaire ?"
- JP II : "Pas tant que ça"
- Moi : "Vous trouvez ?"
- JP II : 'Non-non"
- Moi : "Mais …"
- JP II : "Je te bénis … au suivant …"

mardi 12 février 2019

TROIS MOUCHES 147 . RÉCEPTION CHEZ PNINE

    Vers 10 heures , le punch de Berthe et le scotch que j'avais apporté étaient cause que
certains des invités parlaient plus fort qu'ils ne le croyaient . Trois mouches vermeilles et
merveilleuses bourdonnaient contre nos chapeaux de paille . Une rougeur avait envahi  un
côté du cou de Madame Thayer , sous la petite étoile bleue de sa boucle d'oreille gauche ,
et , assise très droit , elle régalait notre hôte du récit de la discorde entre deux personnes
qui travaillaient avec elle à la bibliothèque .

    Les invités avaient envahi la bibliothèque où trois mouches se régalaient du punch que
Madame Thayer avait apporté . Notre hôte , le cou de côté , parlait en boucle du scotch
vermeil , qu'il était plus fort que Berthe ne le croyait et que , vers 10 heures , nos oreilles ,
de rougeur , allaient bourdonner sous nos chapeaux de paille . Ce petit récit gauche fut
cause d'une discorde entre deux personnes , assises très droit , qui travaillaient à l'Étoile
Bleue .

    Merveilleuse Berthe ! . Elle travaillait à la bibliothèque quand notre hôte , un certain
Thayer , l'invita à se régaler du récit en boucle qu'il avait apporté . Ça parlait d'une étoile
bleue qui était cause d'une forte discorde entre deux personnes . Sous son oreille , sur une
petite rougeur de son cou , à gauche , un scotch bourdonnait comme une mouche contre
un chapeau de paille . Vers 10 heures , le punch m'avait envahi mais j'étais assis - très droit
croyais-je - à côté de lui .

lundi 11 février 2019

EXIL DU POULAMON

    Le seul accès possible à X est le ferry . Ce n'est pas tout à fait vrai : il y a un pont
dont les énormes jambages métalliques chevauchent le détroit là où il est le plus resserré ,
à 40 kms au nord . C'est un détour absurde , aussi les habitants de X déboursent-ils sans
sourciller les quatre dollars du passage . C'est le prix à payer pour vivre sur ce long banc
de sable , à l'extrême nord du continent (on ne peut pas aller plus loin ) , jadis occupé
par une poignée de pêcheurs misérables . De pêche , aujourd'hui , il n'y en a plus .
Le poulamon et sa jolie nageoire caudale ont déserté l'estran du détroit et si l'on peut
parfois surprendre quelque exemplaire s'acharnant à remonter le courant , c'est un coup
de chance . Les circulations maritimes sont cause de cette désaffection : le poulamon
frayait en hiver , entre la mi-décembre et la mi-février , et les hélices de cargos indifférents
broyaient les embâcles où il déposait ses oeufs . Mais qui , à notre époque , se soucie du
désarroi de ce beau poisson atlantique ? : personne . Les fondateurs de X ont fait fortune
dans l'immobilier , le grand commerce maritime ou la gestion des infrastructures portuaires ,
ses habitants conçoivent des logiciels dans des tours de verre et les anciens pêcheurs ont
vendu leurs terres à prix d'or .

dimanche 10 février 2019

PARADIS 99 . LE PRINCIPE ANTHROPIQUE

    Adam et son Créateur . Rencontre tendue . Méfiance réciproque . Défiance .

- Dieu : "Sais-tu comment j'ai créé ce Paradis que tu saccages ? … j'aimerais que tu saches
le mal que je me suis donné"
- Adam laboure . Renfrogné , il place son soc pour un nouveau sillon .
Cette histoire - la Genèse , la Création - il l'a entendue mille fois !
- Dieu : "L'emplacement d'abord … où allais-je mettre le Paradis ?"
- Adam , d'un pas vacillant , entame son sillon : "T'avais qu'à le mettre n'importe où …
y a de la place dans le cosmos , non ?"
- Dieu : "Ta-ta-ta … je ne pouvais pas le flanquer au centre de la Voie Lactée … vous
n'auriez pas vu les étoiles … c'aurait été dommage … Ève adore regarder la Grande
Ourse ..."
- Adam pousse rageusement sur l'araire . Il marmonne : "Elle a que ça à foutre"
- Dieu : "Qu'est-ce que tu dis ? … tu es de mauvaise humeur ?"
- Adam : "Han-han"
- Dieu : "J'ai mis le Paradis en position idéale , au bord de la galaxie … pour avoir du
recul … grâce à quoi nous avons ces nuits superbes"
- Adam : "Han-han … han-han …"
- Dieu chemine paisiblement sur le sentier qui longe le champ où Adam ahane :
"Et le Grand Luminaire , c'est bien beau , mais il émet des radiations redoutables …
comment s'en protéger ? … j'ai été obligé de le placer entre deux bras spiraux ,
à distance constante , sais-tu pourquoi ?"
- Adam : "Han-han … non …"
- Dieu : "Pour éviter qu'il soit aspiré par un des deux … ça n'a pas été simple"
- Adam lâche l'araire et s'éponge le front .
- Dieu : "En plus , il fallait préserver le Paradis des météorites … comment
aurais-tu fait ?"
- Adam , réengageant son soc dans le sillon : "J'en sais rien"
- Dieu : "Et bien , j'ai eu une idée lumineuse … deux planètes massives comme
paratonnerres … je les ai mises en orbite pas très loin : Saturne et Jupiter"
- Adam : "Han-han"
- Dieu : "Puis il y a eu la finition … il fallait stabiliser l'axe de rotation du Paradis …
les saisons , tu comprends … c'est important les saisons … je me suis servi du Petit
Luminaire"
- Adam : "Han-han"
- Dieu : "Tu m'écoutes ?"
- Adam s'éloigne en tanguant et soufflant . Il ne répond pas .
- Dieu : "Tu t'en fous ? … ça ne t'intéresse pas ?"

samedi 9 février 2019

KRANT 155 . L'ART DU CRÉATEUR

    Bass Strait . King Island était en vue …

- Moi : "Ne m'avez-vous pas dit , Monsieur Lee , que le monde des Okakis n'est
qu'illusion ?"
- Monsieur Lee : "Hi , hi , hi … illusion … illusion …"
- Moi : "…………?…………."
- Monsieur Lee remue ses casseroles sur les fourneaux : "Il n'y a pas de peuple plus
savant … l'Okaki est un observateur … l'Okaki examine les choses dans leurs moindres
apparences … un Okaki peut passer une heure à décrire une feuille de bananier , une
autre à distinguer les espèces de bananes , une demi-journée à vous dire quels maux
guérir en réduisant cette pelure-ci en poudre ou celle-là en décoction … observateurs … expérimentateurs … classificateurs … tels sont les Okakis"
- Moi : "Observer et classer l'illusion !? … n'est-ce pas perdre son temps ?"
- Monsieur Lee , retournant ses beignets : "Chef , les Okakis tentent de faire exister ce
qui n'existe pas … transmuer les mirages en objets …"
- Moi : "N'est-il pas plus simple de faire l'hypothèse d'un dieu créateur ?"
- Monsieur Lee : "Pour les Okakis , Dieu n'échappe pas à l'illusion"
- Moi : "Vos Okakis devraient se contenter de dormir dans leurs cases …"
- Monsieur Lee : "Hi , hi , hi … bien au contraire … les Okakis font la guerre , l'amour
et la cuisine avec conviction …"

    Monsieur Lee souleva le couvercle d'une poêle et huma . Une exquise odeur de friture
flottait autour de nos narines .

- Monsieur Lee : "L'art du créateur est difficile"

vendredi 8 février 2019

DESMOND 96 . LE LAC DES CYGNES

    Mai 1972 . 15 heures à Washington . Telephone . Je décroche :
- "Hello … who's speaking ?"
- "Hi , Desmond ! … how are you ?"
- Moi . C'est le Président ! : "Mais , Monsieur le Président , n'êtes-vous pas à Moscou ?"
(Il est là-bas pour signer les Traités SALT I)
- Lui : "Exact … au Bolchoï pour être précis … avec Pat"
- Moi , stupéfait : "Mais …"
- Lui : "Et quoi , Desmond ? … vous avez l'air surpris … la représentation est terminée .
J'en ai profité pour aller pisser … et là , je prends de vos nouvelles … je téléphone d'une
cabine , à l'intérieur du théâtre … quel temps fait-il à Washington ?"
- Moi : "Euh … beau , Monsieur le Président"
- Lui , chagrin : "Ici il fait nuit et il pleut"
- Moi : "……………."
- Lui : "Vous avez déjà assisté à ce … ce ballet … le Lac des Cygnes ?"
- Moi : "Oui , Monsieur le Président … à Paris , avec Claire Motte"
- Lui , émoustillé : "Claire !? … c'est votre petite amie ?"
- Moi : "Non , Monsieur le Président … c'est la danseuse étoile de l'Opéra de Paris"
- Lui : "Zut ! … je pensais avoir enfin percé votre secret ! … ça vous a plu ?"
- Moi ; "Féerique , Monsieur le Président !"
- Lui : "Ah bon"
- Moi : "Vous n'avez pas aimé ?"
- Lui : "Pat a adoré … moi , les tutus , ces types en collant … et puis j'étais assis entre
Kossyguine et Podgorny … Podgorny était enthousiaste … le Lac des Cygnes , il l'a
vu 43 fois ! … pendant le pas de quatre du second acte , il a peloté Pat ce salaud …
je l'ai vu … sa main sur son genou ! … et l'autre , Kossyguine , a une haleine de
phoque ! … ce gars a des problèmes d'estomac … je lui ai proposé un chewing-gum ,
il a refusé … produit capitaliste !"
- Moi : "……………."
- Lui : "Et tenez-vous bien , Desmond : au début de l'acte III , quand le sorcier présente
le cygne noir au Prince Siegfried , il m'a glissé dans l'oreille que le Vietnam ça pourrait
finir en eau de boudin … Dien Bien Phu … alors , vous pensez , les pas de deux ,
de trois ou de quatre !"
- Moi : "Et Monsieur le Secrétaire d'État ?"
- Lui : "Henry !? … quelle santé ! … dès la fin du spectacle , il a filé avec Gromyko …
ils vont discuter toute la nuit autour d'une bouteille de vodka ! … ce sera sans moi !"
- Moi : "……………."
- Lui . Il baîlle : "Bon , Desmond , je suis crevé et cette cabine est probablement truffée
de micros … je vais me coucher … les ruskovs , les tutus et les missiles balistiques ,
j'en ai plein le dos !"
- Moi : "Bonne nuit , Monsieur le Président"

jeudi 7 février 2019

AUX FEMMES . POÈME D'HIVER 6

Habiter son corps ,
Se rencoigner ,
Construire de l'intérieur sa coquille ,
Se faire armoire …

4 programmes d'hiver pour rêveurs .

L'hiver …
Grande chose blanche ,
Si plate , si vide .

Tu l'as déjà dit , ô poète !

Oui , c'est vrai , je l'ai dit
Mais je me suis trompé .

Car l'hiver est plein d'images ou plutôt ,
Nous sommes pleins des images de l'hiver .

Aussi , ô femmes , pour passer le temps
Feuilletez vos albums intérieurs .

DIVAGATIONS PASCALIENNES V

    Depuis l'homme de Cromagnon , on a fait des progrès . On en sait de plus en plus ,
en particulier que plus on répond aux questions , plus il s'en pose . Si cependant on
revient au Monde-Fini , il découle de ceci que la quantité des questions l'est aussi et
qu'un (triste et funeste) jour on en viendra à bout . Qu'est-ce qui se passera quand on
aura répondu à toutes les questions ? . Hein , qu'est-ce qui se passera ? . L'Homme
sera omniscient ; il sera ce que Dieu a fait de lui : Son Image .

mardi 5 février 2019

AUDIENCE PONTIFICALE 2

- Moi : "La Résurrection des Corps"
- JP II : "……………"
- Moi : "Vous m'écoutez ?"
- JP II : "Un peu"
- Moi : "Alors … la Résurrection des Corps"
- JP II : "Et bien ?"
- Moi : "Qu'est-ce que vous en pensez ?"
- JP II murmure quelque chose . C'est inaudible . Une prière ?
- Moi : "Hein ?"
- JP II : "Ça vous satisfait ?"
- Moi : "Saint-Père , veuillez m'excuser , je n'ai pas compris"
- JP II : "Je recommence ?"
- Moi : "Si vous voulez bien"
- JP II re-murmure quelque chose . Oui , ça doit être une prière .
- Moi : "Peut-être devrais-je consulter un ORL … je n'ai toujours pas compris …
parlez plus fort"
- JP II : "Vous êtes sourd ?"
- Moi : "Légèrement … il semblerait …"
- JP II : "Approchez-vous … je vais vous le sussurer"
- Moi . Je m'approche .
- JP II , à mon oreille : "Chchuinchuichuichuichuichuich"
- Moi : "………..?……….."
- JP II : "Çà va ?"

TROIS MOUCHES 146 . BEACH MUSIC

    Faisant un signe pour inviter tout le monde à la suivre , Berthe fit entrer les visiteurs
dans le salon où elle attendait patiemment que chacun fut bien installé avant de continuer .
Accrochée à mon bras , elle me vit les regarder et m'envoya un baiser exagéré que je fis
semblant d'attraper au vol . Trois mouches vermeilles et merveilleuses bourdonnaient
contre nos chapeaux de paille .

    Trois mouches bourdonnantes faisaient signe aux visiteurs du salon de les suivre mais
ils n'entraient pas , bien installés sous leurs chapeaux de paille . Ils faisaient semblant
d'attendre un vol et ils envoyèrent à Berthe des merveilleux baisers . J'attrapai son bras où
tout le monde s'accrochait et j'invitai chacun à la patience . Ils continuèrent de nous regarder .

    Trois mouches entrèrent dans le salon . Leur vol bourdonnait comme un baiser ; elles
s'installèrent contre les chapeaux de paille de nos patients visiteurs . "Elles exagèrent" dit
Berthe en faisant semblant de les attraper et à chacune elle envoyait en continu ses bras
merveilleux . Sur un signe , elle accrocha mon regard et invita tout le monde à la suivre .

dimanche 3 février 2019

GABY

    Nous n'avons pas de lave-vaisselle . Je fais la plonge . Elle peint . C'est son métier .
Moi , je suis à la retraite .

- Gaby : "Est-ce que je peux te demander quelque chose ?"

    Je me retourne en gardant les mains dans la mousse . Elle est de dos ; elle fait face à
l'un des quatre murs de la salle à manger qu'elle a à moitié couvert d'arabesques de
peinture acrylique . Ces murs , hier à sa demande , je les ai badigeonnés de blanc . Elle a ,
à côté d'elle , un chariot avec ses pinceaux , ses tubes , un plateau en plastique sur lequel
elle mélange les couleurs . Elle porte un tablier gris trop grand pour elle dont l'ourlet frôle
la bâche qu'elle a déployée sur le plancher .

- Moi : "Je t'écoute"

    Mais la question ne vient pas . Je sais qu'elle tourne dans sa tête en même temps
qu'elle hésite entre un trait de rouge ici , ou là … ou …

    Je n'aime pas la tournure suspendue de ses questions . J'attends . Quelque chose se
vide en moi : ou quelque chose plane ou peut-être l'air s'est-il raréfié . Je reprends mon
éponge et , dans un mouvement ralenti et tournant de la main , je récure la dernière
assiette et je la pose sur l'égouttoir en débondant l'évier . J'appuie mes paumes sur le
bord du plan de travail en observant la rotation uniforme vers le siphon des débris
de notre repas .

- Moi . Je répète : "Je t'écoute"
- Gaby : "Tu as répondu"
- Moi : "………?……….."
- Gaby . Elle s'est penchée en avant et applique avec une excessive minutie et du bout
de son pinceau le plus fin un point de suture microscopique : "Tu as répondu . Tu as dit :
"Je t'écoute"


COTE 137 . 119 . LIMOGES

- Martial : "Êtes-vous déjà allé à Limoges , mon capitaine ?"
- Le capitaine : "Non … jamais …"
- Martial : "Moi non plus … pourtant , on dit qu'il y a du monde là-bas"
- Le capitaine : "Des limougeauds , je présume … oui , limougeauds … je pense que
les habitants de Limoges sont des limougeauds …"
- Martial : "Et bien , mon capitaine , à ce qu'il paraît , il n'y a pas que des limougeauds
à Limoges"
- Le capitaine : "Des gens de passage , probablement … des touristes"
- Martial : "Des touristes ! … c'est le mot : des touristes"
- Le capitaine : "……………"
- Martial : "Qu'est-ce qu'il y a à voir à Limoges ?"
- Le capitaine : "Je n'en sais rien , Martial … une cathédrale peut-être"
- Martial : "Je suis sûr qu'il y a un hôtel de luxe … avec suites , bar , fumoir …
un restaurant gastronomique …"
- Le capitaine : "Oui … sans doute … comme dans toute ville"
- Martial : "A Limoges , c'est sûr … il y a ce genre d'établissement chic et confortable"
- Le capitaine : "Mais dites-moi , Martial … pourquoi cet intérêt pour Limoges ? …
vous voulez vous retirer là-bas après la guerre ?"
- Martial : "Non … maintenant … tout de suite …"
- Le capitaine : "En pleine guerre !? … c'est que nous avons besoin de vous ici , mon
bon Martial !"
- Martial : "Ce n'est pas l'avis du Haut-Commandement"
- Le capitaine : "……..?……."
- Martial : "Paraît qu'on est incompétent ! … qu'on n'est pas foutu de prendre cette
cote 137 !"
- Le capitaine : "……………."
- Martial : "Savez-vous , mon capitaine , où le Haut-Commandement envoie les
hauts gradés incompétents ?
- Le capitaine : "Non"
- Martial : "A Limoges"
- Le capitaine : "……..?……."
- Martial : "Les hauts gradés … pas les poilus incompétents … ceux-là pataugent
dans leur incompétence"

vendredi 1 février 2019

MATS

    C'est maintenant sûr : le vieux Mats perd les pédales . La tempête a soufflé toute la
nuit .  Des tuiles cassées , il y en a partout sur la route . Mats m'a appelé tôt ce matin .
Il m'a demandé , non , il m'a enjoint de venir chez lui séance tenante . Et je suis , à 8h ,
arrêté  devant son portail ouvert où il m'attend dans une brume sépulcrale .
- "Hello Mats !" . Je le salue par la vitre baissée de ma voiture . Qu'est-ce que c'est que
cette tenue !? … cet accoutrement … le bonnet à pompon de ma belle-mère décédée il y
a un an est posé droit sur sa tête et lui donne un air de vieil enfant déguisé en lutin ; n'y
manque que les grelots . Une parka trop grande - Mats n'est plus le Mats costaud , il a
rapetissé - endossée sur un pull jacquard aux mailles filées , les pieds nus - par ce froid
humide ! - dans des pantoufles et , ce que je prends d'abord pour un pantalon de jogging -
non , merde - est une culotte de pyjama au bleu douteux .
- "Qu'est-ce que tu fais dans cette tenue !?" . Mais lui , sans répondre à mon salut et
ignorant ma question , me tourne le dos et tend le bras vers quelque chose qu'assis à
mon volant  je ne vois pas . Je coupe le contact , sors de la voiture et claque la portière .
- "Vise un peu !" . Il a l'air offensé .
- "Zut ! … la tuile ! …"
    Une branche énorme d'un saule centenaire , le premier de l'allée , a cédé sous les
coups  du vent . Elle s'est abattue dans le jardinet du voisin , elle l'a enseveli sous un
fatras de  feuilles , a écrabouillé une cabane à outils et endommagé des descentes d'eau .
- "Ce salaud d'assureur ! … il va m'entendre !" . Je le connais cet assureur . Un brave
type  avec qui Mats s'entend plutôt bien et chez qui il a tous ses contrats . Je ricane :
- "Ce salaud d'assureur , Mats ? … qu'est-ce qu'il a fait ?" . Mats pivote sur l'axe de son
bonnet exhibant le côté face de son invraisemblable défroque . Il est furibard . Des mèches
de cheveux hérissent ses oreilles comme celles d'un imprécateur , je pense à Jonas en
colère . Ses yeux d'un bleu transparent ne renvoient rien ; ils se sont rapprochés et me
traversent . Ce qu'ils découvrent derrière moi est une certitude aveuglante : sa vie ,
aujourd'hui ,  est un cul de sac .
- "Tu sais bien … je paie ce salaud …" , dit-il d'une voix lasse et comme si la chute de la
branche était une affaire anodine . Classée .
- Moi , sans conviction car je devine que mes conseils ne serviront à rien : "Un bûcheron
… appelle un bûcheron …" . Il baisse la tête et cherche entre ses pantoufles , dans le gra-
vier blanc de l'allée , ce qu'un bûcheron viendrait faire ici : "Un bûcheron ?" . Il a raison
le vieux Mats . Est-ce qu'il a besoin d'un bûcheron , seul et vieux dans sa maison vide ? .
Mais il retrouve un peu de hargne : "C'est tout ce que t'as à me dire : un bûcheron …"
    Je hausse les épaules : "Ouais … un bûcheron … un gars avec une tronçonneuse …" .
Mats me regarde comme si tout ce que j'avais à faire c'est de lui jeter une bouée :
"Et l'assureur ?"
- Moi : "Laisse tomber , Mats … je vais prendre des photos .. il sera toujours temps pour
l'assureur … appelle Carlson , c'est un copain … tu veux que je m'en occupe ?" . Il ne
répond pas . Je retourne à la voiture . Il me suit . Je m'assois derrière le volant . De la
boîte à gants , je tire un appareil photo et mon portable . Les doigts maigres de Mats
agrippent la portière par la vitre baissée .
- "J'appelle ?" . Lui , indifférent et toujours cramponné à la portière a tourné la tête vers
le  bout de la rue obstrué par la brume . "Bah ! … non … je vais me débrouiller" . Il lâche
la voiture , contourne le capot et remonte lentement par l'allée . Il s'éloigne , jambes
arquées , un peu penché sur la droite , avec son drôle de bonnet . Je mets le contact .
Ouais , le vieux Mats perd les pédales . Ou peut-être qu'en ce matin sinistre il a vu clair .