Le seul accès possible à X est le ferry . Ce n'est pas tout à fait vrai : il y a un pont
dont les énormes jambages métalliques chevauchent le détroit là où il est le plus resserré ,
à 40 kms au nord . C'est un détour absurde , aussi les habitants de X déboursent-ils sans
sourciller les quatre dollars du passage . C'est le prix à payer pour vivre sur ce long banc
de sable , à l'extrême nord du continent (on ne peut pas aller plus loin ) , jadis occupé
par une poignée de pêcheurs misérables . De pêche , aujourd'hui , il n'y en a plus .
Le poulamon et sa jolie nageoire caudale ont déserté l'estran du détroit et si l'on peut
parfois surprendre quelque exemplaire s'acharnant à remonter le courant , c'est un coup
de chance . Les circulations maritimes sont cause de cette désaffection : le poulamon
frayait en hiver , entre la mi-décembre et la mi-février , et les hélices de cargos indifférents
broyaient les embâcles où il déposait ses oeufs . Mais qui , à notre époque , se soucie du
désarroi de ce beau poisson atlantique ? : personne . Les fondateurs de X ont fait fortune
dans l'immobilier , le grand commerce maritime ou la gestion des infrastructures portuaires ,
ses habitants conçoivent des logiciels dans des tours de verre et les anciens pêcheurs ont
vendu leurs terres à prix d'or .
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