J'avais 14 ans . Nous étions assis , mon père et moi , sur le parapet d'une digue ;
celle de X . Je ne sais pas ce qui m'a pris . C'est sorti tout seul comme si je n'y étais
pour rien . J'ai demandé à mon père à brûle-pourpoint : "Pourquoi y a-t-il quelque
chose ?" . Nous ne nous regardions pas . Nous étions côte à côte , les yeux absorbés
dans ce lointain égal que composent un horizon idéal , une mer grise et une migration
vers l'est de nuages pressés . Mon père n'a pas répondu mais j'ai détecté dans les cin-
quante centimètres qui nous séparaient , sans la sentir réellement , une impalpable per-
turbation de l'air . Sous nos pieds qui ballaient dans le vide , la mer charriait ses galets
comme une bourrique , avec une inépuisable constance . La digue , derrière nous ,
était pratiquement déserte : les vacanciers avaient quitté X . Nous étions en septembre
et on pressentait que l'automne serait pluvieux . Sur le front de mer , à quelques
exceptions , on avait cadenassé la grille des perrons et fermé les volets . "Qu'est-ce que
tu veux dire ?" , dit subitement mon père . "Ben oui" , répétai-je "pourquoi il y a quel-
que chose ? … les choses , elles pourraient ne pas être là …" . Il me sembla que mes
paroles , absurdes , furent emportées dans le flux vaporeux des nuages . Mon père
retira ses lunettes , les tint entre son visage et la clarté déclinante du jour pour vérifier
qu'aucune poussière et qu'aucune trace de doigt n'en affectait la transparence avant de
les replacer sur son nez puis il soupira en haussant les épaules : "Qu'est-ce que tu
racontes !?" .
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