A 4 ans , j'ai pris conscience que les deux personnages de la photo en noir et blanc
posée sur la commode du salon dans un cadre en acier , c'était mes parents . Mes parents
le jour de leur mariage . Ma mère était assise sur quelque chose qu'on ne voyait pas à
cause de sa longue robe blanche . Au drapé de sa robe , on devinait qu'elle avait croisé
les jambes . A sa gauche un panier plein de roses était posé ; derrière , contre le mur ,
d'autres roses surélevées sur un meuble bas qu'on ne voyait pas non plus , d'autres roses
encore sur un guéridon en fer forgé , à gauche de la photo . Dans les mains de ma mère ,
un petit bouquet des mêmes roses et , sous son voile en mousseline , dans ses cheveux ,
une guirlande de roses blanches , blanches , blanches . Le mur du fond était blanc lui
aussi , mais légèrement cassé . Un éclat de soleil - c'était peut-être la lumière d'un réflec-
teur - y projetait la géométrie confuse d'une fenêtre et le piétement anamorphosé du gué-
ridon . Le sol était gris , était-ce du marbre ? , parsemé de ce qui me semblait des pétales
fanés , et se réverbérait là , la blancheur virginale de la robe . Le regard de ma mère
flottait . Il ne focalisait sur rien : ni sur la chambre noire du photographe ni sur quelque
autre personne ou aide qui eut pu se trouver près de lui . Au contraire , son regard se
disloquait . Elle ne souriait pas . Il y avait bien entendu sur cette photo une tache noire
négative : mon père . Lui non plus ne souriait pas . Il se tenait debout à côté de ma mère ,
de trois-quarts , le bras droit le long du corps , comme au garde-à-vous . Et , dans la main ,
une paire de gants . Ses yeux - gris sur la photo , je savais qu'ils étaient en réalité bleu
pâle - convergeaient vers un point derrière le photographe , à travers le photographe ,
à travers la porte du studio , à travers la ville de X , filaient sur la corniche atlantique
jusque dans le salon de notre maison . Ils fondaient de haut : du marbre gris de la com-
mode sur cette chose insignifiante et cependant préoccupante : moi .
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire