J'étais sonné … je n'aurais pas dû dormir … le soleil de mars était haut dans le ciel ,
pâle et suspendu dans une brume légère … je bâillai et roulai sur la hanche . Par-delà
la rangée d'oyats s'étendait l'immense plage qui longe d'un bout à l'autre la Wadden Zee .
Elle est déserte à cette époque de l'année . Pas de promeneurs , pas de véliplanchistes ,
pas un vététiste sur l'étroit sentier de la dune … 15h30 … je m'agenouillai et , les fesses
calées sur les talons , j'ouvris mon havresac . Le Lüger était posé au-dessus de mes
vêtements . Je m'assurai qu'une balle était engagée … au cas improbable de pépin …
je me dressai sur les genoux et tâtai le fond de ma poche . Le filin d'acier et ses deux
poignées . Je le sortis et le tendis … quelles vertèbres pouvaient résister ? … il n'avait
aucune chance … c'était un intellectuel … il écrivait des bouquins … je pesais vingt
kilos de plus que lui … j'étais dix ans plus jeune … j'étais entraîné … il passait ses
journées à la bibliothèque … j'avais sur moi sa photo … on me l'avait décrit cent fois …
il ne m'avait jamais vu … n'avait jamais entendu parler de moi .
J'irai vers lui comme un promeneur . Je lui demanderai l'heure en néerlandais …
ça serait facile .
Je m'allongeai sur le ventre , pris mes jumelles et , appuyé sur les coudes , j'observai
la plage , à l'ouest … 15h45 … un petit point noir à la limite des vagues … 15h50 …
je reconnus la démarche claudiquante qu'on m'avait si souvent dépeinte et que j'avais
vue sur des films tournés à la sauvette … j'allais …
- "Morane ?"
Je n'eus pas le temps de me retourner . Le canon d'une arme de poing s'enfonçait
dans ma nuque . La douleur et la clairvoyance emplirent l'intérieur de ma tête : l'homme
qui marchait sur la plage n'était pas Lingström ...
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