mercredi 30 mai 2018

KRANT 132 . OOSTENDE I

    Oostende . Nous avions amarré le Kritik au quai principal de cette ville
flamande . Tous les deux ans ou peu s'en faut , c'est aux bollards d'Oostende
que nous enroulions nos aussières avant de plonger vers le sud . Si - par chance
ou les hasards des ordres de mission - c'était le 6 décembre , nous assistions à la
Grande Parade . De raides façades , austères comme des paupières de femmes
pieuses , dominaient notre pont mais , le 6 décembre , les édiles ranimaient le
coeur éteint de la ville et l'exhibaient par les quartiers . Chaque 6 décembre , cette
ville frigide faisait craquer son corset . Au moment où le jour s'effondrait dans la
mer derrière les jetées , une nuit sibérienne poussait devant elle ses myriades de
constellations et la Guilde des Marchands , celle des Armateurs et peut-être
même celle des Chocolatiers ordonnaient qu'on allumât dans les rues assez de
torches pour les embraser et réchauffer le coeur congelé de la Cité . Le grincement
des grues , le brouhaha des transactions commerciales , le râclement des plumes
sur les livres de compte , le chuchotement des conciliabules et le ahanement des
dockers se tassaient dans le recoin d'une darse lugubre et lointaine pendant qu'à
l'autre bout de la ville les grosses caisses et les trombones à coulisse testaient leurs
cacophonies . Les escarbilles mettaient le feu à la voûte céleste , elles animaient les
vitres des façades comme excitées par un nerf unique .

                                                                                          (à suivre …)

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