dimanche 31 mars 2019

DESMOND 98 . UN MOMENT DE FOLIE

- Marilyne sur ma ligne directe . Elle a l'air bouleversée , ça ne lui ressemble pas :
"Oh , Desmond ! … il est fou de rage ! … un possédé ! … tu devrais y aller … ces yeux
exorbités ! … oh la la ! …"
- Moi : "Marilyne … Marilyne , calmez-vous ! … qui est fou ? , de qui parlez-vous ?"
- Marilyne : "Il a arraché une tenture … jeté les dossiers sur le tapis … envoyé le cendrier
par la fenêtre … balancé les téléphones contre le mur , lancé sa chaussure et la lampe de
bureau dans la Roseraie … oh , my God !"
- Moi : "Marilyne , Marilyne ! ... le Président !?"
- Marilyne : "Je ne l'ai jamais vu comme ça ! … j'ai peur Desmond !"
- Moi : "Marilyne ! … le Président ?"
- Marilyne : "Of course ! … le Président !"
- Moi : "Le Président ? … fou !?"
- Marilyne : "He's crazy !"
- Moi : "J'y vais !"

    Je fonce . Porte du Bureau Ovale . Tout est tranquille . Pas un bruit . Je frappe .

- Voix calme du Président : "Comme in !"
- J'entre . !! . On dirait qu'un ouragan a traversé la pièce . Papiers éparpillés et dossiers
éventrés , l'un des grands voilages jaunes pend au bout de sa tringle décrochée , l'un
des tiroirs du Wilson Desk est retourné sur le tapis .
- Le Président est avachi sur son fauteuil . Il a tombé la veste (elle est étalée les manches
en croix à l'autre bout de la pièce) , desserré sa cravate , ouvert le col de sa chemise :
"Hello Desmond ! …" . Il m'invite à m'asseoir : "Sit down , please …" . Dans la main
droite , un verre de whisky , sur l'acajou du bureau deux pieds dont l'un - le gauche -
déchaussé et une bouteille de Dalmore 20 ans d'âge aux trois-quarts vide . Évaluant
d'un large geste du bras : "You're going to have to roll up your sleeves ; there is work
to be done" (Vous allez devoir retrousser vos manches ; il y a du boulot) .
- Moi : "Euh , Monsieur le Président … what is going on ?" (Que se passe-t-il ?) .
- Le Président s'accorde une rasade de Dalmore , puis il m'indique de la main droite ,
celle qui porte le verre : "Là-dessous … ça doit être là"
- Moi : "……………."
- Le Président : "Là-bas … le journal … si vous voulez bien … le Washington Post"
- Je me lève , je ramasse le journal déchiré et froissé .
- Le Président : "Donnez-moi cette saloperie"
- Moi . Je lui tend . Il me l'arrache des mains , en déplie les lambeaux et lit à haute voix :
"Des millions d'américains doutent de la santé mentale de leur Président"
- Moi : "…….?………."
- Le Président : "Ils ont raison …"

vendredi 29 mars 2019

POUPOUNE

    Il y a au bout de n'importe quoi quelque chose . C'est du moins ce que croient
certains que l'on appelle opportunément "croyants" , mais d'autres pensent qu'il y a
peut-être quelque chose et peut-être rien qui vaille et d'autres encore , plus enragés ,
qu'il n'y a carrément rien . Trois possibles donc . On n'en voit pas d'autres . De quoi
sera fait le débord du bout ? . Ou de quoi il ne sera pas fait . En gros et respectivement :
félicité - c'est ce à quoi croient ceux qui croient , dans un flot d'inconséquence : félicité ,
félicité ! … pourquoi pas négative affliction ? - ou le lot de la plupart d'entre nous :
flottement-incertitude-perplexité , ou , pour les jusqu'au-boutistes : le néant au sujet
duquel - par définition - il n'y a rien à dire . Quelle piste ? . Comment se décider ? .
Et sur quel socle garantir la pertinence du quelque chose (quoi ?) , du doute  (Descartes ?) ,
du vide infini ? . Telles sont les questions qui livraient bataille sous  mon crâne quand ,
au bout de la rue Victor Hugo que j'avais prise à partir de la place du Général de Gaulle ,
j'allais obliquer à droite dans la rue Roger Salengro où se trouvait peut-être une supérette
- ou pas - qui proposerait - ou pas - dans sa gondole d'aliments pour chiens les croquettes
light si bénéfiques au tour de taille de ma Poupoune chérie .

JE VOUS SALUE MARIE

    Ceci est la transcription du "Je vous salue Marie" en dialecte gtaavaid . Le Gtaavaid
est parlé sur la rive droite du fleuve Aeetyy en Awaegaie . Sa spécificité est de décaler
les consonnes d'une touche à droite :

    Ke boud damme , Watie qmeiae fe htaved
    me deihaeut edy boud
    boud eyed neaie eayte med geaaed
    by kedud , me gtuiy fe bod eaytaimmed , edy neai ,
    daiaye Watie , wete fe fieu ,
    qtiee quout aoud qaubted qêvjeutd ,
    waiayaay ey a m'jeute fe aoyte woty
    aiadi doiy-im

    Sur l'autre rive - la gauche - d'autres Azerty parlent le Deabxaiq . Le "Je vous salue
Marie" commence comme ceci :

    He couq qakue laeie … etc ...

jeudi 28 mars 2019

PROFESSEUR DESHERBES . FAIRE-PART DE MARIAGE

    Moi , Professeur Desherbes , ai la joie de faire part à mes clients de mon union avec
Madame Folamour et de la fusion de nos laboratoires . Cette association engendrera
fatalement licenciements et grincements de dents mais elle devrait enthousiasmer nos
actionnaires . De ce mariage tout juste consommé est né un premier enfant phytotoxique
que nous avons sur le champ (?) baptisé Folazon (C8H14CIN5) . C'est un garçon ,
bien entendu , follement destructeur .

    Nous avons conçu Folazon , Madame Folamour et moi , aux fins de bloquer la
plastoquinose de nos ennemis : les mauvaises herbes , liserons , spergules , vulpins ,
chénopodes et autres achillées qui déparent le bel ordonnancement de nos jardins .

    Mais Folazon se révèle un enfant bien plus doué que nous l'envisagions . Il a un effet
intéressant (perturbateur endocrinien) sur les amphibiens tels que grenouilles et crapauds
dont la pollution sonore affecte nos enclos , et rend les salamandres qui ne nous ont rien
fait plus sensibles aux infections virales . Nous n'avons pas , à ce jour , testé l'efficacité
de Folazon sur les poissons et les oiseaux mais ce sera chose faite si les décideurs amis
de la nature nous y autorisent . On entrevoit par ailleurs de recourir à Folazon contre
les animaux vertébrés à sang chaud , même très évolués , si nos complices de l'Armée
de l'Air voient de quoi Madame Folamour et moi voulons parler . En somme , rien ni
personne pourvu qu'il porte vie , n'est à l'abri de la toxicité de notre enfant .

    Nous escomptons d'énormes profits …

    Notre union sera consacrée à posteriori par Monseigneur Monsanto en l'Eglise
Notre-Dame de la Défiolation . Nous aurons le plaisir d'y compter nos nombreux amis
et clients .

mercredi 27 mars 2019

COTE 137 . 122 . W

    Le capitaine a envoyé Martial chez le commandant du secteur . Martial adore ces
missions d'agent de liaison . Au retour , au lieu de revenir par le chemin le plus sûr ,
il coupe par un boyau éboulé repris récemment à l'ennemi . D'un trou d'eau , émerge
la partie haute d'un cadavre . Sur la vareuse feldgrau , une médaille .

 - Le capitaine : "Un soldat allemand !? … là où je vous ai envoyé , les allemands n'ont
jamais mis les pieds !"
- Martial : "Je me suis égaré , mon capitaine"
- Le capitaine , dubitatif et résigné , en décachetant l'enveloppe du commandant , hausse
les épaules : "Égaré ! … Martial égaré ! …"
- Martial montre sa trouvaille .
- Jambart , un bleu : "Qu'est-ce que c'est ?"
- Moi : "Une médaille … une médaille de boche"
- Jambart : "Montre !"
- Martial étale la médaille sur une caisse de biscuits avec la délicatesse d'un collectionneur
de papillons .
- Jambart : "C'est quoi ?"
- Moi : "Croix de fer … 2e classe …"
- Jambart : "Et ce W ?"
- Martial : "Wilhelm … la première lettre de son prénom"
- Jambart : "Comment le sais-tu ? … tu le connaissais ?"
- Martial : "Mais non , idiot ! … Guillaume"
- Jambart : "Guillaume ? … qui c'est ?"
- Martial à moi : "Tu te rends compte ! … ces bleus se battent … ils ne savent pas contre
qui !" . Au capitaine : "Pouvez-vous expliquer à ce bleu qui est Guillaume ?"
- Le capitaine revient de la casemate où il a pris connaissance des ordres . Les papiers du
commandant dans une main et l'enveloppe décachetée dans l'autre : "Guillaume ? …
quel Guillaume ?"
- Martial : "Bon sang , mon capitaine ! … Guillaume !"
- Le capitaine : "Guillaume II ? … vous savez ce que j'apprends ?" , dit-il en brandissant
les papiers du commandement . "Guillaume serait en ce moment dans le secteur … en
tournée avec le Kronprinz !"
- Jambart à Martial : "C'est peut-être sa médaille"
- Martial : "Tu rigoles , Jambart ! … une croix de fer de 2e classe ! … Guillaume n'irait
pas crever dans le fond d'un boyau !"

lundi 25 mars 2019

KRANT 159 . LES MOTS ET LES CHOSES

- "Les Okakis n'ont pas de dieux . Les Okakis considèrent qu'il n'y a rien hors de leur
sensation d'être et que cette sensation qu'ils nomment "Mô-a" est elle-même une illusion"

    Ainsi parlait Monsieur Lee .

- "Cependant , cette illusion d'exister , les Okakis la ressentent si fort que - paradoxe ! -
elle paraît exister vraiment . Et en effet elle existe mais en tant qu'aberration . Comme
ils sont peu vindicatifs , ils acceptent de jouer la comédie de la vie et font ce que font
les hommes et les femmes ("ilo") partout ailleurs : la guerre , l'amour , des enfants ,
la chasse , la danse et la cuisine . Ces activités , ils les regroupent sous le mot "Tâ-af"
avec jubilation bien qu'ils jugent qu'il n'est qu'un faux nez posé sur le visage du néant .
Mais comment masquer le néant , si ce n'est avec quelque chose ayant au moins l'appa-
rence de l'être ?"
- Moi : "Monsieur Lee , ce faux-nez , les Okakis auraient pu l'appeler "Vie" …
ou "Dieu" …"
- Monsieur Lee : "Hi , hi , hi ! … ils n'ont pas de mots pour dire ces choses … il n'y a
pas de mots sans objet mais il y a des objets sans mot …"

dimanche 24 mars 2019

DIVAGATIONS PASCALIENNES VIII

    Vide et néant .

    Ah , mais le néant et le vide , c'est pas du tout la même chose ! . J'ouvre ma boîte à
lettres : rien , même pas de pubs . Elle est vide . Du vide , c'est rien à l'intérieur de quel-
que chose . Ma boîte à lettres est vide : pas de courrier aujourd'hui , pas de factures , pas
de cartes postales . A ne pas confondre avec le néant si tant est qu'on puisse fondre du
néant avec du vide ou avec quelque chose , avec n'importe quoi , puisque son principe
est de ne pas exister . Si je n'ai pas de cartes postales dans ma boîte à lettres , ce qu'il y a
en elle c'est du vide , pas du néant . Pour qu'il y ait du néant dans ma boîte à lettres , il
faudrait que ma boite à lettres n'existe pas .

    Or , il y en a une , accrochée au mur de ma maison .

vendredi 22 mars 2019

ISABELLA ET LARA

    J'ai longtemps sillonné la Lombardie en chemin de fer et , souvent , je voyageais en
voiture-couchettes . Dans combien de petites villes mon train est-il arrivé de nuit au ralenti
puis s'immobilisait dans un raffut de tampons entrechoqués . Des gares désertes où , dans
le silence , un haut-parleur crachotait sa lassitude : Virgilio , Sedriano , Castenedolo ,
Sesto Calende … De la couchette supérieure (c'était celle que je préférais et je la prenais
d'assaut au nez et à la barbe de mes compagnons de voyage) , j'écartais discrètement le
rideau et je regardais le reflet jaune de ces quais déserts où personne ne descendait jamais .
Puis le chef de gare passait sous la fenêtre de mon compartiment d'un pas affairé et j'en
déduisais que , d'un instant à l'autre , un coup de sifflet tranchant remettrait en marche
notre convoi . Car il y avait , loin devant , une force occulte et formidable qui nous tirait
dans la nuit lombarde , force toute puissante et qui pourtant obéissait sur-le-champ à cette
injonction sonore , comme ces pachydermes qu'on voit dans les cirques et se soumettent
à la volonté de fillettes en tutus . Alors les essieux grinçaient , se colletant avec l'énorme
masse de la rame pour la remettre en branle . Je devinais à leur vagissement plaintif la
tension des chaînes entre les voitures . Des quais éternellement déserts , sauf une fois -
l'une avait peut-être attendu l'autre ou , autre éventualité , elles étaient toutes les deux
descendues du train sinon que faisaient-elles là ? - deux jeunes femmes se parlaient et il
semblait que l'une essayait de convaincre l'autre . Elles étaient vêtues de robes d'été et
portaient leur sac en bandoulière . Je ne regardais que leur bouche et leurs mains et je
songeais que , sans doute , l'une s'appelait Isabella et l'autre , la blonde : Lara .

jeudi 21 mars 2019

TROIS MOUCHES 149 . LA MERVEILLEUSE AUTOMOBILE DE MARILYNE HOHN (Pnine IV)

    Une ancienne qui suivait les cours de langue russe et à qui l'on ne résistait pas ,
Marilyne Hohn , vendit à Berthe pour cent dollars sa modeste vieille voiture : elle
épousait le propriétaire d'une bien plus magnifique machine . Quand nous en prîmes
livraison , je me souviens que trois mouches vermeilles et merveilleuses bourdonnaient
contre nos chapeaux de paille .

    Je me souviens de notre propriétaire : Marilyne Hohn . Berthe lui avait vendu ses
cours de langues anciennes pour trois modestes dollars car elle épousait un vieux russe
à chapeau . Elle en prit livraison dans une voiture magnifique . Je ne résistai pas à suivre
cette merveilleuse machine qui bourdonnait comme une mouche .

    Marilyne Hohn ne résistait pas aux propriétaires . Elle les épousait et en prenait
livraison dans une voiture merveilleuse . Nous la suivions , Berthe et moi , dans une
modeste machine à trois dollars qu'une vieille de langue russe nous avait vendue contre
la paille de cent chapeaux ! . Je me souviens qu'elle bourdonnait comme ces anciennes
et magnifiques mouches vermeilles .

L'OISEAU DE FEU

    En Union Soviétique , on tenait Nadejda Kireïev et Kirill Balakine pour l'un des plus
beaux couples de danse sur glace . Ailleurs aussi , où se pratique un patinage artistique de
haut niveau . S'ils n'accédèrent jamais à la plus haute marche des podiums - elle était , à
cause des figures imposées millimétrées , la propriété jalouse et exclusive d'Irina Rodnina
et d'Aleksandr Zaïtsev - les juges de la nouvelle génération et les téléspectateurs qui privi-
légiaient la grâce sur le mérite technique tenaient , eux , Nadejna et Kirill pour la plus
authentique incarnation de l'amour . Jugement si clairvoyant que Nadejna Kireïev devint
Nadejna Balakina quand Kirill l'épousa . Leur entraîneur , Stasya Andronikova , femme
inflexible et cinglante , et les instances sportives du Parti virent cette union d'un mauvais
oeil . Mais après tout , elles ne pouvaient pas aller contre l'opinion des peuples et les chro-
niques mondaines que cette conclusion passionnelle avait enchantées . Elles l'autorisèrent
à contre-coeur , à la condition que Nadejna et Kirill s'abstiennent de faire un enfant avant
les Jeux Olympiques de Sarajevo - on ne peut pas courir deux lièvres à la fois - faute de
quoi les avantages attachés à leur statut de stars : carte d'alimentation , studio chauffé ,
visas , mise à disposition d'un véhicule Volga , etc … - leurs seraient confisqués . Nadejna
et Kirill acceptèrent le deal .

    Mais au printemps de 1988 , sans prévenir personne et surtout pas Stasya Andronikova ,
la veille d'une exhibition à la patinoire de Ledovyi Mir de Leningrad , ils prirent le ferry
pour l'archipel lacustre de Valram au nord-ouest du lac Ladoga . En vitesse , comme s'ils
fuyaient la Grande Armée de Napoléon , ils avaient fourré dans leurs sacs de sport leurs
patins et les tenues de compétition qui avaient ensorcelé le monde : justaucorps et collant
strictement noirs pour lui , contrastant par leur sobriété avec sa robe à elle , aux plumes
rutilantes d'oiseau de feu . Cette fusion de l'ombre et de la lumière , du jour et de la nuit ,
de l'évidence et du mystère avait embrasé la glace des plus prestigieuses patinoires .

    Or , c'était la débâcle sur le lac Ladoga où subsistaient néanmoins quelques surfaces
praticables bien que peu sûres . Les locaux les mirent en garde : il arrivait que les glaces
tardives se fracturent là où on ne l'attendait pas ; on se souvenait ici de pas mal de drames ,
de ces patineurs imprudents qui , tout à leur passion , avaient bravé le danger et qu'on
n'avait jamais retrouvés .

    Eux non plus , on ne les revit pas ...

mercredi 20 mars 2019

COTE 137 . 121 . LA PERCÉE

    Bonne nouvelle . Il y a eu sur notre flanc gauche une percée dans le dispositif ennemi .
Quelque chose de sérieux , un revers pour les boches . Il paraît qu'en haut-lieu on se
congratule . Quelques jours plus tard , le terrain gagné sera à nouveau perdu . Mais pour
l'heure , c'est l'euphorie à l'État-Major . Ici , si la cote 137 de nos amis d'en face n'a pas
bougé - c'est un point de fixation - ils en ont pris plein la gueule . Notre artillerie a écra-
bouillé la position . Aujourd'hui , calme plat : les fridolins ramassent leurs morts et on leur
fiche la paix .

- Martial : "Vous entendez ?"

    Nous jouons aux cartes . Le capitaine , exceptionnellement , a relâché sa surveillance
de la cote 137 anéantie . Il est de la partie avec Jambart , un bleu .

- Jambart : "Non … tu entends quelque chose ?"
- Martial : "Vous n'entendez pas ?"
- Nous dressons l'oreille : "Non … absolument rien"
- Martial , abattant un roi de coeur : "Vous êtes sourds"
- Le capitaine : "Vous entendez des voix , Martial"
- Martial ramasse un pli : "Ce cliquetis , vous ne l'entendez pas ?"
- Moi : "Tu dois avoir un problème d'oreille … tu devrais consulter le major"
- Martial . Reine de carreau : "C'est pourtant net … un cliquetis et des pétillements"

    A 50 mètres , quatre types s'acharnent à extirper de la boue la moitié inférieure d'un
camarade à eux qui - dans une vie antérieure (hier ?) - écrivait une lettre d'amour à
Hannah … ou Gretel …

- Martial , par-dessus l'éventail de ses cartes , guigne cette sinistre saynète :
"Pauvre Gretel ! …" . Puis : "C'est pourtant net : des cliquetis et des pétillements"
- Le capitaine à Jambart : "Jambart , à vous de jouer" . A Martial : "Des pétillements ?"
- Martial : "Oui … comme font les bulles de champagne … des pétillements et des
cliquetis comme si des imbéciles entrechoquaient des coupes de cristal"
- Le capitaine : "Qu'est-ce que vous racontez ? … et qui est cette Gretel ? … jouez ,
c'est votre tour !"
- Martial : "Ça doit venir du Quartier Général"

mardi 19 mars 2019

KRANT 158 . FLEUR DE POMMIER

- "La terre des Okakis est un miracle ; une improbabilité si improbable que son existence
tient du prodige ; et d'un prodige si prodigieux qu'on peut - qu'on doit ! - douter de son
existence .

    Monsieur Lee ne se lassait pas de convoquer l'esprit des Okakis au milieu d'un océan .

- "Ont-ils tort , Monsieur le chef mécanicien ?"

    Monsieur Lee et moi étions affalés sur des chaises longues en toile que nous avions
traînées sur le pont . Hume ronronnait sur mes genoux . La nuit tropicale donnait son
immense mesure .

- "Que voyons-nous là-haut ? … gaz , minéral et vide … un somptueux désert …"

    Hume , insensible à l'infiniment grand se mit à une toilette systématique et méticuleuse .

- "Une telle vacuité au-dessus , une telle profusion en-dessous ! … une fleur de pommier
a plus d'accessoires que Vénus toute entière : un pédoncule , des sépales , une corolle de
pétales , un pistil , des étamines … et plus de reflets que la Voie Lactée : à l'aube , albâtre ,
soufre ou topaze , virant rosé au lever du soleil , au bleu dragée s'il pleut , grisâtre le soir ,
cuisse de nymphe ou coquille d'oeuf sous le vent … une simple fleur de pommier ,
Monsieur le chef mécanicien ! … qu'on pourrait décrire à l'infini ! …

    Hume baîlla .

- "Aussi les Okakis n'en croient pas leurs yeux . Ce monde-ci n'existe pas " .
- Moi , caressant Hume : "Est-il trop beau notre monde ?"
- Monsieur Lee , hilare : "Hi , hi , hi …"

dimanche 17 mars 2019

DIVAGATIONS PASCALIENNES VII

    Le pari de Pascal .

    "Un pari ? … vous n'y pensez pas !? … est-ce que j'ai une tête de joueur ? … je n'aime
pas le risque … jouer à pile ou face l'existence de Dieu !? … non … non … vraiment …
un euro ? … une pièce d'un euro ? … attendez … je dois avoir ça … oui , un euro …
voilà … vous me la rendrez , hein ? … pas de blague … bon , d'accord , mais … pour de
faux … pile , Dieu existe … et face ? … il n'existe pas , évidemment … je veux bien jouer
mais ça ne compte pas , on est d'accord … vous avez dit : pile , Dieu existe … n'oubliez
pas de me rendre ma pièce … un euro , c'est un euro … on y va ?"

    Extension du pouce … montée de la pièce en rotation (19 rotations) jusqu'au vertex
de sa trajectoire parabolique puis retour vers la terre (on ne tient compte que de la gravité ;
on néglige les frottements dûs à l'air) suivant une courbe mathématiquement descriptible
par une équation . Reste que le résultat est incertain : chances réparties à égalité pour pile
et pour face .

    "Alors ? … pile ! … pile : Dieu existe … non , ne mettez pas la pièce dans votre poche ,
elle est à moi … merci … donc , Dieu existerait … ceux qui avaient foi en Son Existence
sont rassurés … ouf ! … mais peut-être qu'ils sont déçus aussi : leur foi n'a plus la saveur
de l'aventure ; elle s'est muée en certitude … et les autres ? … ceux qui ne croyaient pas
à l'existence de Dieu … ils sont obligés d'y croire ! … non ? … pourquoi non ? … que
"pile , Dieu existe" , c'est arbitraire ? … une autre pièce ? … de deux euros ? … non …
j'ai rarement ce genre de pièce ."

PARADIS 101 . CAFARD

    Dieu est prostré .

- Ève : "Toi , t'es pas dans ton assiette"

    Note : Qu'est-ce que l'assiette de Dieu ? . C'est cet élément de vaisselle en général en
faïence plus ou moins décorée où nous , pauvres humains , partageons avec Lui la Grande
Incertitude de nos Existences .

- Dieu : "Pas vraiment"
- Ève : "Quès que t'as ?"
- Dieu : "Je ne sais pas … un coup de blues … je ne crois plus en Moi"
- Ève : "T'as perdu confiance ?"
- Dieu , très las : "Oui , c'est ça … est-ce que ce que je fais a un sens ?"
- Ève : "………?………."
- Dieu : "… et est-ce que j'existe ?"
- Ève : "Ouh-la-la !" . Elle s'asseoit près de son Créateur : "Dis a ta créature préférée …
laisse-toi aller …"
- Dieu pose une main reconnaissante sur le genou d'Ève : "Tu es gentille … mais tu ne
peux rien y faire"
- Ève passe un bras autour des épaules divines : "Dis-moi"
- Dieu : "Je ne crois plus en rien … une sorte de dépression …"
- Ève , rassurante : "Ça va passer … ça arrive à tout le monde …"
- Dieu : "Pas à moi … et ça ne va pas passer ..;"
- Ève : "……………….."
- Dieu fourre Son Invisible Face dans ses mains calleuses (c'est un manuel) .
- Ève : "Un coup de fatigue … tu travailles trop … regarde tes mains … t'as qu'à faire
un break de création"
- Dieu croise ses mains tout abimées sous son menton . Il envisage un plan B :
"Tout arrêter ? … recommencer à zéro ?"
- Ève : "……………….."
- Dieu : "Sur Mars"
- Ève : "Sur Mars ?"
- Dieu : "Oui … sur Mars … c'est plus petit et plus à ma portée … et il n'y a rien sur
Mars … que des cailloux"
- Ève : "………………."
- Dieu : "Ça me plaisait un Paradis sur terre … mais je n'y arrive pas … c'est foutu ,
je n'y crois plus …"
- Ève : "Ben , dis donc …"
- Dieu : "Et je ne sais même plus si j'existe … l'Homme me fait douter"
- Ève : "………………."
- Dieu : "Me reconstruire sur Mars … pourquoi pas Mars ?"

vendredi 1 mars 2019

GAIL

    Il y a tellement de villes où nous n'irons jamais !

    Mais nous pouvons les imaginer . Gail , par exemple , à l'ouest de la rivière Bull Creek .
Irons-nous un jour à Gail ? : certainement pas ! . Qu'irions-nous faire à Gail ?

    Il doit y avoir là-bas une rue principale , un temple ou une église catholique de style
hispanique , probablement une pharmacie et peut-être une station-service ; rien que de
très banal .

    Cependant , à moins d'un mile , pourquoi n'y aurait-il pas une ferme ruinée aux allures
de Fort Alamo ? . On peut concevoir une figure de cette sorte au bord de la route pas loin
de Gail . Qui nous l'interdirait ? . Est-ce que ça ne donnerait pas l'envie de faire un crochet
par cette petite ville , à l'ouest de la rivière Bull Creek ?

    Non . Nous serions déçus : il n'y a pas de Fort Alamo à Gail . Gail dort autour de son
temple pendant qu'un illuminé élucubre une ville romanesque où Davy Crokett et un
groupe de texans , repliés dans le corral à chevaux , défendent à coups de crosse un
bout de mur .