J'ai longtemps sillonné la Lombardie en chemin de fer et , souvent , je voyageais en
voiture-couchettes . Dans combien de petites villes mon train est-il arrivé de nuit au ralenti
puis s'immobilisait dans un raffut de tampons entrechoqués . Des gares désertes où , dans
le silence , un haut-parleur crachotait sa lassitude : Virgilio , Sedriano , Castenedolo ,
Sesto Calende … De la couchette supérieure (c'était celle que je préférais et je la prenais
d'assaut au nez et à la barbe de mes compagnons de voyage) , j'écartais discrètement le
rideau et je regardais le reflet jaune de ces quais déserts où personne ne descendait jamais .
Puis le chef de gare passait sous la fenêtre de mon compartiment d'un pas affairé et j'en
déduisais que , d'un instant à l'autre , un coup de sifflet tranchant remettrait en marche
notre convoi . Car il y avait , loin devant , une force occulte et formidable qui nous tirait
dans la nuit lombarde , force toute puissante et qui pourtant obéissait sur-le-champ à cette
injonction sonore , comme ces pachydermes qu'on voit dans les cirques et se soumettent
à la volonté de fillettes en tutus . Alors les essieux grinçaient , se colletant avec l'énorme
masse de la rame pour la remettre en branle . Je devinais à leur vagissement plaintif la
tension des chaînes entre les voitures . Des quais éternellement déserts , sauf une fois -
l'une avait peut-être attendu l'autre ou , autre éventualité , elles étaient toutes les deux
descendues du train sinon que faisaient-elles là ? - deux jeunes femmes se parlaient et il
semblait que l'une essayait de convaincre l'autre . Elles étaient vêtues de robes d'été et
portaient leur sac en bandoulière . Je ne regardais que leur bouche et leurs mains et je
songeais que , sans doute , l'une s'appelait Isabella et l'autre , la blonde : Lara .
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