dimanche 22 septembre 2019

PARADIS 113 . PSINOZA

    Dieu lit . Ça a l'air passionnant . Ève est là , derrière Lui . Elle se coiffe :
- "Qu'est-ce que tu lis ?"
- Dieu retourne le bouquin : "Traité théologico-politique … la préface"
- Ève : "La vraie face de qui ?"
- Dieu : "La préface , Ève … laisse-moi tranquille , ma chérie … tu sais qu'il ne faut pas
me déranger quand je lis"
- Ève : "Qui c'est qu'a écrit ?" , demande-t-elle en tirant sur le peigne .
- Dieu : "Spinoza"
- Ève : "Psinoza !? … je le connais ce mec ! … enfin , c'est pas un mec . Au Paradis y'a
qu'un mec : Adam ! … tu parles d'une affaire !"
- Dieu pose son livre sur l'établi en gardant le pouce pincé entre les pages 5 et 6 …
Il tourne vers Ève son profil surnaturel : "Psinoza ? … qui c'est celui-là ?"
- Ève : "Le serpent"
- Dieu se retourne franchement . Nom de … nom d'une pipe , qu'elle est belle ! …
la Vénus de Botticelli ! … : "Il y a un serpent qui porte ce nom ?"
- Ève : "C'est moi qui l'appelle comme ça" . Elle tire sur ses longues mèches . A chacun
de ces étirements , elle cligne des yeux et ses lèvres font une moue douloureuse et
suprêmement attendrissante .
- Dieu : "Pourquoi ?"
- Ève : "J'sais pas … je trouvais que ça lui allait bien … peut-être parce qu'il siffle …
J'ai hésité entre Psinoza et Barouk … me demande pas pourquoi"
- Dieu vérifie le nom de l'auteur sur la couverture : "C'est étonnant ! … coïncidence !"
- Ève : "Quoi ?"
- Dieu rouvre le livre à la page 5 , un peu ébranlé : "Peu importe , Ève ! … laisse-moi ! …
mon Spinoza n'est pas un serpent , c'est un philosophe …" . Mais le Créateur , bon sang ,
veut en savoir plus . Il fait face à Ève (je ne rappelle pas ici le rôle du tabouret à vis grâce
auquel Dieu , dans de rares et impérieuses occasions , dévoile Sa Face) : "Où habite-t-il
ce Psi … Psi … ce serpent-siffleur ?"
- Ève : "Psinoza ? …". Elle hésite … elle en a trop dit … "Au pied du pommier"
- Dieu lève un index menaçant , en mouvement pendulaire : "Attention , Ève ! …
n'oublie pas ! … tu n'en mangeras point ! … ne vas pas fricoter avec ce Psinoza !"
- Ève : "Mais non ! … il est tout mignon … je l'adore"
- Dieu : "C'est pas ça qui me rassure !" . Dieu reprend sa lecture là où il l'a laissée : Préface ,
page 5 , tandis qu'Ève trace une ligne légèrement ovalisée au milieu de sa chevelure qu'elle
ramène sur l'avant de son visage et dont elle dégrade les pointes pour lui donner mouvement
et volume .
- Dieu : "Écoute-ça , Ève … écoute ce que Spinoza écrit : "l'Homme veut que la nature soit
complice de son délire et , fécond en fictions ridicules , il l'interprète de mille façons mer-
veilleuses" … tu devrais répéter ça à Adam , ou lui prêter le livre"
- Ève : "Qu'est-ce que ça veut dire ?"
- Dieu pose son bouquin sur l'établi : "Ça veut dire que l'Homme est un idiot … qu'il prend
ses désirs pour des réalités"
- Ève suspend le mouvement de son peigne dans sa chevelure de Vénus : "Ça alors ! …
c'est ce que Psinoza m'a dit l'aut'jour … qui faut prendre ses désirs pour des réalités …"
- Dieu : "A quel propos ?"
- Ève : "A propos de la pomme"

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire