mercredi 1 avril 2020

LE CHAMP D'AMOUR

    L'amour de ma mère était un champ clos : pas facile d'y entrer . La barrière était
rarement ouverte et , quand elle l'était , il fallait être là . Alors , elle s'agenouillait
devant cette chose de 5 ans et l'entourait de ses bras . Son parfum exhalait le manque-
ment . Elle soupirait , la joue appuyée contre ma poitrine et moi , j'avais le nez dans
son inaccessible chevelure . Puis , très vite , elle m'écartait d'elle et , toujours me
tenant les épaules à bout de bras , elle me secouait doucement . Vérifiait-elle que
j'existais réellement , que le corps qu'elle venait d'étreindre avait , il y a si peu de
temps , logé dans le sien ? . Elle posait sa main à plat sur mon coeur . Moi , raide
comme un piquet et pressé d'en finir avec ce tête à tête incongru que cependant
j'avais éperdument désiré , au-delà de ma mère et de son champ d'amour , au-delà
de la clôture , je lorgnais la plaine semée de fleurs sauvages où , dès le terme de
cette embrassade absurde , j'irais me vautrer et compter , tout au loin , dans la brume
atlantique , les porte-containers .

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