lundi 25 mai 2020

COTE 137 . 151 . GUIGNOL 1

    Martial revint d'une permission à Paris , enthousiaste : il avait vu Guignol au Parc
des Buttes Chaumont . A peine nous avait-il serré dans ses bras -  il embrassa même
le capitaine , sacré Martial ! - qu'un nouveau projet irradiant de ses méninges , déjà il
le mettait en oeuvre . Nous fîmes cercle autour de lui ; son excitation ranimait notre
morne vie . Le capitaine , un peu en retrait , alluma une cigarette et Bertin fit ronronner
sa cafetière .

- Martial : "Un castelet et deux marionnettes , voilà ce qu'il nous faut"

   Bertin tendit à Martial un quart de café fumant , le meilleur de la ligne de front .

- Prigent : "Un castelet ?"
- Martial : "Oui , un castelet … je t'expliquerai , Prigent … j'ai le plan dans la tête" ,
dit-il en se frappant la tempe .
- Moi : "Des marionnettes !? … tu retombes en enfance ?"
- L'oeil bleu de Martial me transperça : "Des marionnettes , mon vieux ! … deux !"

    Il y eut pendant trois ou quatre jours une intense activité créatrice dans ce secteur
de la tranchée . Prigent et Riou , sur les plans de Martial (il avait fait un dessin enluminé
sur une feuille arrachée à l'un de ses fameux carnets) et sous sa conduite pointilleuse ,
érigèrent un castelet fait avec le monceau de débris qu'une équipe de prospecteurs
enfiévrés avaient extrait de notre gangue terreuse , tout ce que la guerre charriait de
fragments , limaille , rognures , miettes qui , astiqués , polis , ciselés , travaillés , incisés ,
trouvèrent dans leur nouvel assemblage la rutilance d'un décor de théâtre . De son côté ,
dans un repli discret et une solitude inventive , Martial donnait naissance à ses deux
personnages : Guignol et son compère Gnafron . Puis il noircit des pages et des pages
de carnet .

- Moi : "Qu'est-ce que tu écris ?"
- Martial , comme s'il m'en voulait : "Une histoire pour grandes personnes ! … tu peux
l'annoncer au public : la représentation c'est demain et c'est gratuit …"

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