Quand notre sillage prit son bouillonnement de croisière , les murs immaculés
de Kizimkazi vacillèrent . La ville que nous avions tant aimée allait s'arracher à la
courbure de Zanzibar . L'armateur l'avait assuré à Krant : plus jamais notre vapeur
n'irait râcler ses tôles contre le quai de Kizimkazi . Petit , malaisé , ce port ne con-
venait plus au Grand Commerce . Nous tous , équipage du Kritik , tournés vers la
ville qui disparaissait vivions en silence cette irrévocable séparation . Le timonier , dos
à la barre , clignait des yeux à la porte de sa timonerie : "C'est fini … jamais nous ne
reviendrons à Kizimkazi …" et , se référant à l'Écriture Sainte : "Tout est achevé ! …" .
Oui , nous avions au bord des lèvres une éponge de vinaigre . Dans nos poitrines , nos
coeurs se rétractaient . Cent fois nous avions abordé là ; nous y avions amis et amours .
Nos corps étaient ici sur le pont récuré du Kritik , et encore là-bas sur le ponton minus-
cule dans d'humides embrassades . Puis il y eut à faire les gestes de notre gagne-pain ,
nécessaires et qui nous semblaient pour l'heure futiles ; mais à quoi aurait servi de
bourrer nos cales de girofle et de bois ?
- Le capitaine haussa les épaules : "Bah ! … nous oublierons Kizimkazi …"
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