dimanche 9 juin 2019

COTE 137 . 127 . LA LITURGIE SELON MARTIAL

    Service divin dans la tranchée . L'aumônier a posé sur l'autel de fortune , deux
tréteaux et trois planches arrachées à la banquette de tir , une valise . Il l'ouvre .
Elle contient les accessoires de base de la liturgie : calice , ciboire , patère , burettes ,
custode à hosties , mais aussi - faste suprême - une sonnette en laiton doré . Martial
se propose pour servir la messe , tâche dont - se vante-t-il - il s'est acquitté dans son
enfance tous les dimanches . Au moment de l'élévation - dans un silence relatif car ça
canonne à 20 kms comme le rappel de notre condition de poilus embourbés , Martial
actionne la sonnette … il l'actionne comme un forcené . Au bout des bras du prêtre ,
l'hostie est élevée . Le ciel est boursouflé de nuages , les têtes décasquées sont courbées
et quand l'aumônier repose les mains sur l'autel , Martial continue d'agiter la sonnette .
L'aumônier se retourne : "Mon ami , cessez donc …" mais Martial remue la sonnette
sans s'arrêter . Désappointé , le prêtre attaque la partie 2 de l'élévation . Il élève le calice
contre le ciel gorgé d'eau "Ceci est le sang du Christ" opiniâtre ding-ding-ding-ding …
puis le repose sur l'autel et Martial , malgré tout , secoue la sonnette … ding-ding-ding …
les hommes ont relevé la tête . L'aumônier : "Mon ami , s'il vous plaît , arrêtez donc !" .
Mais rien à faire , les quatre clochettes tourbillonnent furieusement sous le poignet de
Martial . L'aumônier au capitaine : "Mon capitaine , pouvez-vous demander à notre ami
de … de …" . Le capitaine , debout au premier rang , s'approche de Martial agenouillé
et toujours carillonnant . Il pose la main sur l'épaule de notre camarade : "Martial ,
qu'est-ce qui vous prend ?" . Mais lui , comme possédé , signifie de sa main libre qu'il
lui est impossible de s'arrêter . Le capitaine : "Donnez-moi cette p….. de sonnette ,
nom de …" . Martial suppliant dodeline de la tête et sonne , sonne , ding-ding-ding .

    L'office est suspendu pendant un bon quart d'heure . Tous , l'aumônier , le capitaine ,
la compagnie au complet , impuissants et médusés , regardons Martial prosterné au milieu
de nous , agitant ses clochettes comme un enragé . La pluie se met à tomber . Après la
messe (l'aumônier y met fin en vitesse et quitte les lieux , furibond) , je m'approche de
Martial comme d'un fou dangereux ou un lépreux : "Martial , ça va ? … qu'est-ce qui t'a
pris ?" . Martial : "Ça m'a rappelé le bon vieux temps ! … un quart d'heure pris sur la
guerre , tu vas pas en faire un fromage !?"

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