mercredi 26 juin 2019

COTE 137 . 128 . LA GUERRE DE CENT ANS

    Calme soirée . Il me semble que nous sommes chez nous , le capitaine , Martial ,
Bertin , moi et quelques autres , assis en rond sur des caisses de singe , de biscuits ou
de cartouches , les guêtres plantées dans la gadoue . Il pleut faiblement , pluie tiède ,
c'est l'été . Le capitaine allume un cigarillo , Martial bourre sa pipe . Nous rêvassons
… oui , nous sommes ici chez nous . Soudain , Martial : "Est-ce qu'il vous arrive de
rêver , mon capitaine ?"
- Le capitaine : "Non , jamais … je ne rêve jamais"
- Martial , à moi : "Et toi , vieux ?"
- Moi : "Parfois … rarement …"
- Martial : "Moi , je rêve toutes les nuits"
- Moi . Je lui tends la perche parce que , bien entendu , il brûle de raconter :
"A quoi rêves-tu ?"
- Martial engrène illico : "Pas plus tard que cette nuit , je quittais la tranchée , droit
devant Cote 137 , je sautais par-dessus les entonnoirs , les barbelés - tu aurais vu comme
je sautais , et avec quelle facilité ! - et j'atterrissais sur le cul dans la cagna des boches …
Ils m'attendaient et pourtant je ne les avais pas prévenus … ils rigolaient , ils m'ont remis
sur mes pieds , ils me tapaient dans le dos et me félicitaient … ils m'ont offert un coup
de schnaps … nous avons trinqué : prosit !"
- Le capitaine : "Oh , Martial ! … c'est de la fraternisation !"
- Martial : "Mon capitaine , c'est un rêve !"
- Le capitaine : "Oui , on peut rêver … mais , s'il vous plaît , arrêtez ! … vos camarades
n'ont pas besoin d'entendre la suite"
- Martial , sur sa lancée : "Je me suis lié d'amitié avec deux grands types : Fritz et Konrad
… nous sommes partis bras-dessus-bras-dessous - j'étais au milieu - vers l'est … nous
avons traversé la Lorraine en chantant la Madelon à tue-tête … qu'est-ce que nous avons
braillé ! … et l'Alsace . On s'est arrêté dans une brasserie et là , sur une table , ils ont
déplié une carte : ils voulaient que j'aille avec eux à Berlin"
- Le capitaine : "Martial !"
- Martial : "Je pense qu'à l'État-Major , il y a aussi des grands rêveurs"
- Le capitaine : "Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?"
- Martial : "Mais , à l'État-Major , nos généraux rêvent que la guerre va durer … durer …"
- Nous : "……?…….."
- Martial : "… un grand rêve sans fin … ils sont contents …"
- Nous : "……?…….."
- Martial : "Ils rêvent d'une guerre de cent ans , nos généraux"
- Nous : "……?…….."
- Martial : "On en a déjà fait trois …"

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