Le samedi après-midi , pour purger ses méninges des soucis de la banque ,
mon père bêchait son potager . Le jean baillait sur ses reins blancs de banquier et ,
de la terrasse où je me tenais appuyé sur le chambranle de la baie , je devinais sous
le T-shirt usé jusqu'à la trame le va-et-vient mécanique de ses épaules nerveuses .
J'avais 8 ans . Je m'ennuyais et mon père bêchait . Je pense aujourd'hui qu'il y avait
dans son acharnement des clients avides de placements fructueux , toujours insatisfaits ,
toujours plus cupides et toujours déçus , et cette place de directeur d'agence qu'en vain
il convoitait . Mon regard , bien que neutre (et maussade) , finissait par peser sur sa
nuque . Alors il se redressait , le pied droit posé sur le fer de son outil , a demi retourné
- son profil se découpait sur le fond embroussaillé du jardin - et de sa voix tranchante
de chef de service : "Qu'est-ce que tu fais là ?" . Je ne répondais pas et il se remettait à
l'ouvrage en haletant mais à ses préoccupations se mêlait maintenant mon enfantine et
inopportune présence : "Qu'est-ce que tu veux ?". Je ne voulais rien . A deux kilo-
mètres à vol d'oiseau , de l'autostrade , me parvenait le chant sauvage des camions ...
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