Attaques et bombardements , nous sommes servis ! . Nous revenons d'un coup de
main contre la Cote 137 . Martial a été particulièrement belliqueux : il a balancé trois
grenades sur un nid de mitrailleuses après avoir cisaillé les barbelés des boches .
Bourdeau , un jeune picard qui lui prêtait main-forte , a été tué à côté de lui . Nous
nous jetons dans la tranchée , crottés et suants . Un bombardement de notre position
commence . C'est le tir tendu de canons de campagne , à l'oreille : du 7,7 , pour nous
décourager d'y revenir .
- Martial dit quelque chose que nous n'entendons pas .
- Le capitaine . Il commandait l'assaut . Il remet son revolver dans son étui et s'essuie
le front . Il met sa main en cornet autour de son oreille : "Quoi ? … qu'est-ce que vous
dites ?"
- Martial s'asseoit sur la chaise qu'il considère comme sa propriété , celle bancale - il lui
manque la moitié d'un pied mais dans le cloaque où elle est enfoncée ça n'a guère
d'importance - qu'il a ramenée d'une patrouille sur l'antique Montrepont , c'est ainsi
qu'il appelle ce village plus anéanti qu'une cité de Mésopotamie . Son visage et sa
capote sont maculés de boue , comme les nôtres . Il semble indifférent aux giclées de
terre que nous balancent les 7,7 d'en face . Il croise les bras et hurle : "Ça ne m'amuse
plus !"
- Le capitaine s'approche de moi et me crie dans l'oreille : "Qu'est-ce qu'il dit ? … je n'ai
pas compris !"
- Moi , aboyant de la même manière : "Il dit que ça ne l'amuse plus !"
Soudain , aussi brutalement qu'il a commencé , le bombardement cesse . Les boches ,
semble-t-il , estiment que nous sommes calmés .
- Martial cherche quelque chose dans la poche de sa capote . Sa pipe , je suppose , et sa
blague à tabac : "Je disais , mon capitaine , que ce grand jeu , ça ne m'amuse plus !"
- Le capitaine : "Qui vous parle d'amusement ?"
- Martial a extrait de sa capote sa pipe et sa blague à tabac : "Pauvre Bourdeau !"
- Le capitaine : "Oui … pauvre Bourdeau …"
- Martial : "Un jeu sans fin … si , au moins , ils nous la laissaient prendre cette Cote 137 !
… pauvre Bourdeau !"
- Le capitaine et moi : "……….."
- Martial bourre sa pipe : "Je suis sûr qu'eux aussi ça ne les amuse plus … la Cote 137 ,
ils nous la laisseraient si on leur demandait poliment … pauvre Bourdeau !"
- Le capitaine et moi : "……….."
- Martial tire une première bouffée de sa pipe : "On devrait leur demander de modifier
les règles à l'État-Major … au Château de Chantilly … le jeu que nous jouons ici est un
peu bébête , non ? … pauvre Bourdeau !"
- Le capitaine et moi : "……….."
- Martial : "Mais on ne va pas les déranger , hein , mon capitaine ? … on ne va pas les
déranger dans leurs parties de bridge ! … pauvre Bourdeau !"
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