jeudi 23 janvier 2020

VOUKTYL

    C'était en octobre à Vouktyl dans la République des Komis . Mes pinceaux étaient
alignés sur une table avec ma palette et mes tubes de couleur . La toile vierge tendue
sur  son châssis reposait sur le chevalet et , comme la neige tombée la nuit , elle attendait
quelque chose . Moi , je n'attendais rien . Tout m'échappait . Rien ne semblait devoir
advenir . Or , il y eut un froissement de draps comme si quelqu'un , à l'autre bout du
village , sortait de son lit . J'ouvris la fenêtre . Des chants , des cris , des rires retenus
au-dehors derrière la vitre givrée entrèrent dans ma chambre , au premier étage . Je m'as-
seyais devant mon chevalet en resserrant mon peignoir au moment où une petite foule
emmitouflée a déboulé . Un drapeau rouge brimbalait entre les têtes chapeautées . Mon
coeur bondit parce que cet instant me sembla l'un des plus prometteurs de ma vie :
quelque chose , à partir de rien , s'était mis à palpiter . Vouktyl , sous son linceul blanc ,
remuait . Vouktyl , malgré tout , vivait . J'ouvris un tube , saisis une brosse ronde et
écrasai au milieu de la toile un aplat de rouge .

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