Enfant , comme je savourais ces instants où mon père froissait un gros papier en
forme de crèche qu'il couvrait de farine à l'image de la neige qui , réelle et dense ,
tombait sur notre potager ! . Nous plaçions , cérémonieux , les pièces de cette histoire
multiséculaire , façonnées par papa dans l'argile et cuites au four à pain , peintes aux
couleurs de la tradition : Marie immaculée et sa cape bleue , Joseph portait sa bure
brune de charpentier , l'âne était gris sauf le museau laiteux , le boeuf brillait de
rousseurs , les bergers avaient endossé sur leur pauvre vêtement de toile une veste
en peau de mouton et ils avaient aux pieds des bottes fourrées en cuir de renne
disait mon père . Il y avait aussi les moutons eux-mêmes et sur quelques épaules
des agneaux . Accrochés aux poutres , trois anges en plumes de poulet ouvraient la
route à la transcendance qu'à minuit précise , en la personne d'un minuscule nouveau-
né , nous introduisions dans notre vallée de larmes , au centre de la scène sur un
indigne lit de paille .
Alors nous buvions un lait de poule que ma petite mère avait préparé .
Le 24 décembre de je ne sais plus quelle année au beau milieu de je ne sais plus quel
océan , dans la grande salle qui sert de réfectoire à bord du Kritik , Monsieur Lee ,
Toms et le timonier dressaient une crèche sur mes instructions et avec la bénédiction de
Krant . La grotte était faite de quelque emballage rebuté , la paille était celle dont nous
fourrions nos bottes sous les extrêmes latitudes et le timonier avait sculpté les personnages
dans de l'ivoire de morse .
Je goûtais ces moments comme je les goûtais jadis . Je voyais dans les gestes du
timonier , autour des yeux de Toms , et même je devinais sous le sourire de Monsieur
Lee que ce qui était pour nous - enfants - un mystère , l'était encore ici .
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