La Divinité - le Créateur , ou Zeus ? - intervient-il dans les affaires des hommes ,
dans leurs empoignades ? . Pendant l'été 1917 , voici ce qu'il advint : nos artilleurs
et ceux du Kronprinz règlent leurs comptes , duel d'artillerie lourde . Pas l'aimable
artillerie de campagne ! . Du lourd : du 240 , du 270 et même du 320mm . Cette
métallurgie destructrice nous passe au-dessus de la tête , chaque camp s'acharnant à
réduire l'adversaire en poudre . Nos oreilles subissent , nos cervelles et notre santé
mentale aussi . A côté de moi , Prigent . Il est pâle comme Lazare dans ses bandes
de lin . Il claque des dents . D'énormes obus perforent les collines où sont tapies nos
batteries et , devant nous , la Cote 137 vacille à chaque coup porté derrière sa ligne
où sont embusqués des canons monstrueux . Or , une masse noire phénoménale ,
qu'on n'a pas vue venir , blindée d'acier et fulgurant de zébrures , vient de l'ouest ,
en travers du champ de bataille comme si Dieu le Père , ou quelque divinité , fâché
de n'être convié au Grand Chambardement , à la Grande Tuerie , tentait de faire
entendre sa voix . Martial se jette sur mon flanc : "Nom de Dieu !" , hurle-t-il dans
le pavillon de mon oreille en pointant du doigt l'énorme cumulonimbus . "Nom de
Dieu" , exulte-t-il "un orage !"
D'abord , dans le tolu-bohu de la bataille , on ne perçoit pas le tonnerre : l'omni-
potence de Dieu contre la folie des hommes . A Lui le chaos , aux hommes les
Schneider et les Krupp , à Lui la puissance créatrice , aux hommes l'ingéniosité
destructrice . Mais bientôt , on n'y voit plus rien : une pluie furieuse vient frapper nos
capotes comme une abattée de sagaies , puis une bordée de grêlons ricochent sur nos
casques . La foudre se déchaîne sur nous , sur nos chevaux de frise , sur nos barbelés ,
dans un tonnerre simultané . On n'entend plus rien de notre guerre . Elle disparaît sous
des trombes d'eau . Ça dure dix minutes , le temps du Déluge …
Tout s'arrête brutalement . L'orage s'éloigne . Un résidu de pluie disperse ses perles
minuscules dans l'air ressuscité . Le duel d'artillerie a tourné court . Silence sur la ligne
de front . Martial , hilare et tout dégoûtant , au milieu de la tranchée inondée , au
capitaine rembuché dans sa cagna : "Orage de Dieu contre orage de fer , mon capitaine !
… ça leur a cloué le bec aux artilleurs !"
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