vendredi 19 juin 2020

KRANT 228 . CHANGEMENT DE PEAU

    Nous cabotions le long d'îles frisonnes . Monsieur Lee était assis à côté de moi
sur  le prélart d'un panneau ; nous suivions distraitement , sans mot dire , la course
des vagues . Le ciel était lourd , une lourdeur grise , et des éclats d'écume arrachés
à la mer frappaient nos vareuses . Nous les recevions sans émotion , avec l'indiffé-
rence de ceux qui , longtemps , ont partagé un même espace : les accessoires de la
mer - le vent , l'embrun , le déferlement - ne touchaient plus nos sens .

- Moi , rompant le silence : "Monsieur Lee , quelle bizarre impression …"
- Monsieur Lee , comme sachant de quoi je parlais : "Hi , hi ..."
- Moi : "Nous ne sentons plus rien … le vent , l'embrun , le déferlement de ces masses
d'eau ne nous affectent plus …"
- Monsieur Lee : "Hi , hi , hi …"
- Moi : "Nous ne sentons plus rien … sommes-nous à ce point apathiques ?"
- Monsieur Lee : "Cela vous étonne , chef ?"
- Moi . Un oiseau de mer frôla sans un cri nos mâts de charge : "Amorphes … inertes
sur ce panneau de cale … insensibles à l'éclat des vagues …"
- Monsieur Lee . Il s'était tourné vers moi et regardait par-dessus mon épaule la ligne
basse de Sylt à peine visible . Il passa le bout de la langue sur ses lèvres blanches de
sel : "Nous avons troqué nos peaux pour une autre …"
- Moi : "Comment cela ?"
- Monsieur Lee : "Ce goût de sel … nous SOMMES la mer … hi , hi , hi …"

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