mercredi 17 juin 2020

KRANT 226 . LES OIES , CE SOIR-LÀ

    Octobre . Krant et moi , nous ne naviguions plus . Nous étions , comme certain
philosophe , fixés à Koenigsberg . Il nous arrivait de marcher pieds nus , pantalons
retroussés , sur l'infini cordon dunaire . Je parlais peu et Krant soliloquait : considé-
rations sur la marche des navires , sur le bon usage du sillomètre ou de l'octant de
Rust , remarques à propos du plan de l'orbite d'un astre , du rôle de la logique pure
dans la vie de tous les jours , des bonnes raisons de douter de l'existence de Dieu ,
de la vision apodictique du monde , particulièrement chez les chats , et chaque fois
me prenant à témoin comme s'il invoquait dans un miroir l'avis de son reflet . Ce soir-
là , un train de nuages gris roulait sur l'horizon des masses d'eau énormes dans un
mouvement uniforme si lent que nous dûmes nous arrêter pour comprendre le sens
de sa marche : il venait du nord et le capitaine certifia qu'avant demain il aurait
déversé ses tonnes de liquide dans le Kattegat . A peine ceci dit que l'air , devant nous ,
derrière les oyats , s'agita , murmura d'abord puis se mit à bruire comme si le vent d'un
coup s'était levé : une centaine d'oies sauvages formée en V passèrent au-dessus de nos
têtes en cacardant .

- Krant , le visage tourné vers le ciel : "Elles s'en vont vers le sud … la Mer Noire …
ou l'Afrique …"
- Les oies : "Ang , ang , ang"
- Moi : "Rien à faire … ces oies sauvages me serrent le coeur"

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